C'est,
dit-on, le plus petit de nos gibiers. C'est surtout, pour ceux qui ont trouvé dans
leur berceau la passion de la chasse, le premier gibier conquis. Le jour où la 6
millimètres a tué une alouette au lieu du moineau ou du pinson habituel, ce fut
aussi important pour le porteur de l’arme que le premier perdreau ou le premier
lièvre.
Ces
oiseaux pleins de modestie et de gentillesse ont payé un lourd tribut au progrès.
Si je me penche sur mes souvenirs lointains, déjà ! je ne retrouve plus les
alouettes de mon enfance. On ne voit plus dans nos régions les calandres
picorant dans le crottin de cheval, ou jaillissant du sentier pierreux dans les
champs et les garrigues. Que sont-elles devenues ? Ici on ne peut accuser le
braconnage. Elles n'ont pas de valeur vénale.
Cependant j'ai connu quelques chasseurs
modestes, peu à la vérité, qui les poursuivaient et étaient devenus très forts
pour les distinguer parmi les pierres, auxquelles elles ressemblent complètement.
Est-ce l'hiver glacial 1939-1940 et l'extraordinaire chute de neige qui s'est
produite l'hiver suivant qui les a détruites ? Je n'ai pas noté le fait
sur le moment, mais il me semble que leur disparition date d'une dizaine d'années.
Si ces hivers trop rudes en sont la cause, elles n'ont pas été remplacées comme
cela a pu se produire auparavant.
Je
n'ai tué qu'une ou deux calandres depuis que je chasse, mais je regrette leur
envol transformant deux pierres en oiseaux, car elles allaient souvent par
couple. Elles donnaient de la vie aux chemins du retour, et j'entends encore
mon père disant : «Tiens ! des calandres !» En ce temps-là, je
portais un carnier seulement et j'étais fier du lièvre qui presque toujours
tirait sur mon épaule.
S'il
n'y a plus de calandres, il y a toujours des lulus. Que ce soit dans un champ
de luzerne, sur une colline pierreuse où poussent de maigres herbes parmi les « argelas »,
les genêts épineux, on est encore souvent surpris par le départ simultané de
sept ou huit oiseaux. On ne les a pas vus à terre, car, depuis le moment où l'approche
les a mis en alerte, ils ne bougent plus. Ils n'étaient ni serrés, ni éloignés
les uns des autres, mais répartis sur 2 mètres carrés. Après leur départ, ils
volent de concert, évoluent de la même manière, choisissent un autre
emplacement qui leur convienne et s'y posent tous ensemble d'un seul coup. Ils
restent immobiles ; puis, dès qu'ils sont tranquillisés, ils cherchent leur
nourriture avec application sans se grouper.
Les
lulus, les « lauzetto » (petites pierres) sont de charmantes
alouettes qu'on rencontre rarement isolées ; peu de chasseurs les poursuivent. Malgré
cela, on n'a pas l'impression qu'elles croissent en nombre.
L'alouette
des champs ou alouette commune, qu'ici nous appelons « criou » à cause
du cri qu'elle pousse, est encore assez abondante, bien que la vision de vols
immenses ait disparu. L'été, elle quitte nos régions desséchées. Elle est une
estivante des monts du Vivarais et de la Lozère. Là elle niche et chante éperdument.
Qui n'a vu et entendu, sur les hauts plateaux de ces montagnes, l'alouette s'élever
dans la lumière, s'immobiliser et chanter à perdre haleine ? Nos ancêtres
en avaient fait un symbole.
Mais
l'automne est bientôt là qui éteint ce chant. Alors les alouettes commencent à descendre
vers les plaines, en petits vols ou dispersées comme les lulus, mais sur de
plus grands espaces ; elles s'installent dans les plaines les plus ouvertes et
les plus larges. Elles partent alors d'assez près, d'un vol rapide qui les éloigne,
puis elles ouvrent plus grandes leurs ailes et évoluent avant de se poser
ailleurs. Certains auteurs affirment que les chasser au cul levé est un
excellent exercice pour le tir au pigeon, et je les crois sans peine.
Le
froid a pour effet de les réunir dans de grands vols. C'est pour elles la période
de la souffrance ; la neige surtout est leur ennemie, car elles trouvent
difficilement leur nourriture. J'en ai vu dans mon jardin réduites à manger les
feuilles des choux. De plus, les vols groupés attirent les chasseurs. Chaque
coup de fusil en tue et en blesse plusieurs. Elles ne peuvent prendre ni repos
ni nourriture avant la nuit glaciale qui les attend. On en trouve alors
beaucoup, pauvres corps dérisoires, raidies et soudées à la terre glacée.
Les
derniers hivers ne leur ont pas amené ces misères. Ils n'ont pas été rudes, et les
oiseaux ne se sont pas réunis en grands vols. On a l'impression qu'il y a moins
d'alouettes. Il faut attendre de grands froids pour en juger.
C'était
en février 1941. Un coup de froid se produisait. Vers midi je descendis dans mon
jardin. Je le trouvai plein d'alouettes, qui prirent aussitôt leur vol en
direction du sud. Mais, du côté du Tanargue, en Vivarais, je vis arriver
d'autres vols de cent à cent cinquante unités. Ils se posaient sur la terre ou
dans la prairie, s'arrêtaient quelques minutes et reprenaient aussitôt leur
voyage. Nous en tuâmes quelques unes avec mon père, puis nous observâmes le phénomène
(1).
Durant
plus d'une heure, les vols se succédèrent en vagues ininterrompues, toujours
aussi pressés de repartir. Il en passa ainsi plusieurs milliers. Les arrivées
s'espacèrent, les groupes se firent moins nombreux et le passage cessa complètement.
Je
n'avais jamais constaté un tel passage, et je n'en ai plus revu depuis.
Jean GUIRAUD.
(1)
Je précise, pour ceux qui pourraient penser que nous braconnions, que ma propriété
est close.
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