- A vous. Perdreau ! … L'oiseau, bien lancé, va
passer en plein travers à trente mètres. Ça y est, je le tiens ... façon
de parler. Dépassons largement. Feu ... Serait-ce un blindé ? … Il
file de plus belle.
- A vous ! A vous !... Rasant les genévriers, son
frère de coquille arrive, il m'a vu. Brusque virage. Un chêne va le masquer.
Rapide visée. Vlan ! … Il me semblait que j'étais en retard ; cependant,
le fugitif vient de pirouetter au milieu d'une volée de plumes. Je n'y
comprends plus rien ...
Un moment après, tout en cassant la croûte, mon compagnon -
un fort en math - dans un cours de balistique ultra-précis envisage les
principaux cas de tir de la plume et du poil. Et pour chaque cas il a la
solution, une solution toujours mortelle. Chaque vol ou course constitue un
problème de géométrie. Son œil perçant a vite fixé le point de rencontre. Avec
ses théories, rien ne devrait être raté. Heureusement, la mise en pratique
amène bien des déconvenues. Têtu, mon compagnon ne veut pas l'admettre. Il
pense que son expérience devrait servir à tous les chasseurs.
- Si vous en parliez dans une de vos causeries ? …
me dit-il. Je m'insurge. Alors que le gibier diminue, alors que les chasseurs
se multiplient, je deviendrais un agent de propagande de cette science
meurtrière ? … Jamais de la vie.
Au lieu d'aligner des mètres-seconde gibier, des vitesses plomb
pour savoir de combien de longueurs vous devez dépasser la pièce trottante ou
volante, je vous dirai plus sagement : ne tirez qu'aux portées vraiment
efficaces. Inutile de lancer du plomb à des 70 ou 80 mètres. Oui, je sais,
parfois l’oiseau tombe, le lièvre cabriole. Bien souvent le gibier file, et de
nombreuses pièces meurent. A ces portées, les maladroits ont autant de chances
que les fins tireurs. Les partisans de concentrateurs K ou Z souriront
doucement et continueront d’expédier leurs obus à des distances
invraisemblables. Ne croyez-vous pas que la protection du gibier, revenons-y
encore, exigerait la suppression radicale de tous les artifices de chargement
augmentant portée ou dispersion en même temps que les risques d'accident ?
Parlons un peu de ces dangers. Dernièrement, j'ai assisté,
une fois de plus, à une courte scène où l’imprudence des uns le disputait à l’inconscience
des autres.
Figurez-vous un ravin caillouteux formant cuvette, semé de
petites broussailles. Sur les bords opposés, à quelque soixante mètres, presque
face à face, quatre chasseurs. Au fond de la gorge, autant de chiens. Parmi eux,
un cinquième nemrod fort occupé à explorer le moindre buisson. Parfois des deux
pieds il écrasait l'abri ; parfois aussi il fouillait avec le canon du fusil
transformé en tisonnier. Soudain, un lapin jaillit. Et le tisonnier cracha sa
réserve de mitraille en deux rapides hoquets. Des bords du cratère, trois ou
quatre tonnerres roulèrent en direction du lapin, des chiens et du copain.
L'orage passé, miracle : ni morts ni blessés. Pas même le lapin que la
meute « engueulait » à perdre haleine sur divers tons. Quant aux
acteurs bipèdes, ils s’en disaient de bien bonnes. Chacun, avec force gestes,
prétendait le camarade mieux placé et se trouvait d'excellentes excuses.
Personne ne parla du danger couru par les toutous et leur accompagnateur. Ce
dernier, qui devait avoir entendu siffler les plombs, ne protestait pas.
Peut-être affaire d'habitude … Je n'aurais guère aimé sa place.
Ce cas pourrait, au cours de la saison, se tirer à des
dizaines d'exemplaires presque identiques. Bien des lecteurs ont connu, au
moins une fois, l'aigre musique des plombs. Les « plombés » y ajouteront
de cuisants souvenirs. D'autres, hélas ! ne pourront conter ce dernier
souvenir. Et, chaque année, de nouvelles victimes allongent la liste …
Quelques accidents ne seront jamais évités. Ne voit-on pas
de paisibles promeneurs glissant sur le sol et chutant ? Neuf cent
quatre-vingt-dix-neuf fois il n'y aura rien de grave ; la millième, ce
sera peut-être une fracture du crâne amenant là mort. En terrain varié, les
chasseurs ont de multiples occasions de tomber. Les suites pourront devenir
graves, car l'arme multiplie les risques pour le porteur et ses compagnons. A
côté de ces cas imprévisibles, que d'accidents dus à l'imprudence des chasseurs ! …
Trop de porteurs de permis, et il ne s'agit pas seulement de
jeunes inexpérimentés, oublient qu'un fusil, même inoffensif sur le gibier,
peut semer la mort. Et chaque année, ils la sèment. Parfois ils en sont les
victimes, mais souvent aussi leur négligence coûte la vie à un camarade, à un
inconnu ou à leur enfant.
Des revues cynégétiques, des journaux réimpriment avant
l'ouverture certains sages conseils de prudence mis en vers. Peine perdue. Vous
pouvez, avant la mise en route, les crier dans le pavillon auditif de certains « chauds »
fusils. Autant en emporte le vent d'une compagnie de perdreaux. Devant le
gibier, plus rien n'existe. Peu importe qu'il y ait un autre chasseur à
proximité ou un travailleur en face. Pan ! pan ! ... Et, de
temps à autre : Aïe ! aïe ! Ce n'est guère la manière du gibier
d'accuser ainsi le coup. Si lapins ou lièvres étaient destinataires, on entend
parfois un aboiement plaintif : Rip ou Zita en tiennent. Un spécialiste,
docteur es plombages, disait très sérieusement pendant que la bête hurlait :
« Pas grave. Il n'est pas mort, puisqu'il crie si bien ! »
A côté de ces dangereux compagnons, il existe une gamme
d'imprudents qui ne réalisent jamais qu'en terrain varié semé de haies, de
chemins creux, de bosquets, donc manquant de visibilité, les dangers augmentent.
Certes, ce perdreau, cette caille filant à hauteur d'homme, ce lièvre
caracolant vers la haie sont bien tentants : mais n'y a-t-il pas quelqu'un
derrière l'obstacle de verdure, en face ? Nous l'ignorons. Alors baissons
l'arme. Parmi les bois ou nos maquis provençaux, que d'embûches ! …
Un Jour, chassant la bécasse, j'ai vu une branche grosse comme le pouce coupée
net à moins d'un mètre de ma tête ... L'instant de stupeur passé, je
voulus connaître l'auteur de cette maladresse. Plus personne. Il s'agissait
sûrement d'un « tireur au bruit ».
On devrait retirer définitivement le permis à ces
inconscients.
Malgré le nombre des chasseurs et la multitude des coups
tirés en tous terrains, les accidents de tir proprement dits sont heureusement
fort limités, mais, chaque année, nous lisons dans les faits divers les tragiques
conséquences d'imprudences. Jamais on ne répétera assez : Hors du terrain,
pas de fusil chargé. D'accord. Ajoutons : Basculez l'arme, même si vous
êtes seul, pour franchir un fossé, escalader un mur. Faites en de même si vous
vous arrêtez un moment. Ce geste si simple évitera des déboires. L'action de
chasse terminée, retirez vite vos cartouches. Oui, faites-le immédiatement,
avant même d’allumer une cigarette. Après, vous oublierez. Parfois la
catastrophe est au bout : coup de feu au rendez-vous de chasse, coup de
feu dans l'autocar ou le train, coup de feu sur la route, coup de feu à la
maison retentissent un peu partout dans la France entière. Heureusement, tous
ne font pas des victimes.
A la maison, surtout s'il y a des enfants, redoublez de prudence.
Les armes exercent une attirance malsaine pour nos garçonnets. Voyez les Jeux
des gamins de six ou sept ans : un bout de bois devient mitraillette. Pan !
pan ! pan ! ... Aussi, lorsque carabine ou fusil sont suspendus
à la portée de leur main, quelle envie de toucher un peu, rien qu'un peu ! ...
Un jour, personne au logis. Le gosse veut épater le petit camarade :
- Regarde, je sais chasser, moi ! …
L'arme est saisie maladroitement ; parfois on met en joue
le copain. Boum ! … C'est la catastrophe. Papa avait oublié d'enlever
les cartouches. Et les regrets tardifs ne pourront plus rien, s'il y a un petit
cadavre étendu au milieu d'une mare de sang …
Enfants tués, enfants défigurés, enfants infirmes, vous êtes
trop nombreux ... L'un de ces pauvres petits, malgré sa terrible blessure,
s'accusait :
- On m'avait défendu de toucher le fusil. J'ai désobéi.
C'est ma faute …
… Non, ce n'est pas ta faute, pauvre gosse, mais bien celle
de ton père, qui laissa une cartouche dans l'arme.
Toujours il a existé des bambins turbulents, espiègles,
touche-à-tout. A l'heure actuelle, leur nombre s'accroît. Raison de plus de
redoubler de vigilance et d'être prudents pour eux. Avez-vous remarqué le lourd
tribut payé par les gosses et adolescents, victimes de leur insouciante curiosité,
lorsqu'ils trouvaient grenade ou obus non explosés ? Et la liste n'est
malheureusement pas close.
Tous les accidents d'après chasse doivent diminuer et tendre
à disparaître. Une police bien comprise en éviterait bon nombre. Dans un moyen
de transport en commun, on n’accepte pas un chien non muselé, et, cependant,
son maître, non muselé, bien sûr, prend place avec une pétoire prête à
fonctionner. A-t-on vérifié si elle n'avait rien dans le ventre ? Remède
très simple : exiger que le fusil soit démonté. Et d'une pierre on aura
fait deux coups, car, en arrivant à la maison, l’étui, même abandonné dans un
coin, sera sans danger pour les mioches.
Évidemment, la majorité de chasseurs ruraux continueront
d'avoir le fusil accroché près de la cheminée. A ceux-là répétons : Un
fusil entretenu dure plus longtemps. En rentrant, vite un coup de chiffon, même
si vous n'avez pas tiré. Ainsi, pas d'oubli possible de cartouches dans les
chambres.
A. ROCHE.
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