La série d'articles que nous avons publiés sur
l'organisation de la cynophilie française contient, épars, les différents rôles
qui incombent aux clubs des diverses races de chiens. Il n'est pas inutile de
les rappeler en les regroupant et de faire ressortir leur importance.
Leur rôle général, défini dans tous leurs statuts, est de
veiller au maintien de la pureté de la race dont ils s'occupent, d'en
perfectionner les qualités et d'en encourager l'élevage. Nous en avons exposé
les moyens ; or ceux-ci sont souvent plus théoriques qu'efficaces, et bien
des clubs perdent de vue leur véritable objet ou n'ont pas les moyens de
l'accomplir. Mais il est clair que, s'ils en prenaient mieux conscience, ils
pourraient soit créer ces moyens, soit les obtenir de l'organisme central qui,
parfois, les en prive.
Le maintien de la pureté d'une race ne se conçoit que par la
surveillance des alliances et le contrôle des inscriptions aux livres
d'origines. Cette surveillance est difficile à exercer et la difficulté
augmente avec le nombre des éleveurs. Un moyen de l'améliorer consiste à
désigner des délégués régionaux, choisis parmi les amateurs les plus sportifs
et les plus indépendants, qui peuvent, dans une certaine mesure, s'enquérir de
la mentalité des éleveurs de leur région et de l'exactitude de certaines
saillies. Un autre moyen est de n'admettre comme membre que des amateurs ou
professionnels d'une honorabilité garantie par des parrains connus ; en un
mot, d'opérer une sélection dans le recrutement des membres. Malheureusement,
la politique du nombre primant celle de la qualité, dans l'état actuel des
règlements de la Société centrale canine, les clubs sont obligés de se montrer
très généreux de leurs cartes de membre s'ils veulent obtenir et maintenir leur
influence auprès de l'organisme dirigeant.
Mais à quoi sert la surveillance, en admettant qu'elle soit
effective, si le club n'a pas le pouvoir de contrôler les inscriptions au livre
des origines ? Le bon sens voudrait que non seulement les clubs aient le
droit de veto sur les inscriptions, mais qu'ils tiennent eux-mêmes leur
Stud-Book. Or ce dernier est tenu par la S. C. C., qui n'a pas, et ne peut
avoir, le moyen de contrôler l'exactitude des déclarations. Une seule race a le
privilège, en France, de posséder son livre d'origines indépendant : le
griffon d'arrêt à poil dur. A l'heure où nous écrivons, ce privilège est sur le
point de lui être retiré ... Dans divers pays, en Allemagne notamment,
chaque club tient le livre officiel de sa race, et il est reconnu même par la
Société centrale canine française.
Ainsi donc ce premier rôle importé aux clubs (la
surveillance et le maintien de la pureté de la race) leur échappe en pratique.
Le maintien et la perfection des qualités s'obtiennent
différemment, selon qu'il s'agit des qualités physiques, esthétiques, ou des
qualités morales, utilitaires, pratiques.
Le maintien des qualités physiques est le rôle des Juges
d'exposition. Nous avons dit ici même par quels moyens les juges étaient
choisis. Si les règlements étaient strictement appliqués, la compétence des
juges serait certaine ; mais ils ne le sont pas, nous l'avons dit aussi.
Or la compétence des juges a besoin pour s'exercer de directives
précises quant à l'interprétation des standards. C'est en ce domaine que
l'initiative des clubs ne trouve aucune entrave ; c'est donc par ce moyen
qu'ils doivent exiger des juges de respecter leurs instructions, sous peine
d'interdire à leurs membres de présenter leurs chiens aux juges qui refusent
d'en tenir compte. Combien de clubs ont le courage de le faire ?
Les qualités pratiques ne peuvent s'apprécier qu'au moyen
des épreuves. Nous avons souvent déploré que celles-ci soient standardisées par
des règlements uniformes imposant à toutes les races les mêmes aptitudes et
ignorant la manifestation des aptitudes particulières à chacune d'elles, qui
font leur raison d'être. Il appartient aux clubs spéciaux, en marge des
concours standard, d'organiser des épreuves spéciales réservant la plus large
part aux aptitudes particulières de chaque race. Or, si la plupart des clubs
organisent des épreuves fermées, réservées à leur race, il en est bien peu qui
adaptent ou modifient leur règlement en fonction de ces aptitudes propres.
Les clubs ont, enfin, pour mission statutaire d'encourager
l'élevage et de propager l'utilisation de la race dont ils s'occupent. Nous
disons mission statutaire, pour souligner que, si la plupart des statuts
prévoient cette propagande, l'interprétation qui en est faite est trop souvent
contraire à l'esprit qui devrait l'animer.
Il est certain que le devoir d'un club est de veiller au
maintien de l'existence d'une race, à porter ses efforts sur l'encouragement
des éleveurs, afin d'éviter soit sa disparition, soit une réduction d'effectifs
qui ne pourrait que compromettre la sélection, donc le maintien et
l'amélioration des caractères. La propagande pour l'utilisation en est le corollaire.
Mais l'encouragement des producteurs et la propagande auprès des utilisateurs
éventuels ne se conçoivent, dans un esprit sportif, que dans l'intérêt de la
race. C'est dire que, s'il est indispensable de veiller au maintien d'un
certain effectif de cheptel canin, c'est sortir de l'esprit sportif pour tomber
dans l'esprit commercial que vouloir répandre une race au delà d'une certaine
limite. C'est aller à l’encontre de ses intérêts. Quand le nombre des
producteurs se multiplie, la proportion des véritables éleveurs compétents, et
sérieux diminue au profit de fabricants de chiens dont l'ignorance, la
négligence et, trop souvent, l'esprit commercial font régresser la race au lieu
d'en faire progresser les qualités. Le fait que la majorité des chasseurs au
chien d'arrêt, par exemple, utiliseraient une race donnée ne devrait prouver
autre chose que la majorité de ces chasseurs pratiquent: leur sport dans des
conditions telles que cette race leur convient. Serait-ce une raison pour
l'imposer aux diverses fractions de la minorité qui, chassant dans des
conditions différentes, ont besoin d'un chien différent ? Et, si telle
autre race peut convenir à dix chasseurs sur cent, serait-ce bien conforme aux
intérêts de cette race de faire effort pour la faire adopter par la majorité ?
Or la propagande faîte autour de certaines races tend bien à
vouloir la répandre partout, même pour des besoins où elle est contre-indiquée.
C'est en ce sens que certains clubs comprennent mal leur rôle et que cette idée
fixe de la propagande du nombre leur fait perdre de vue leur véritable raison
d'être au détriment de leurs missions majeures : maintien et
perfectionnement. Certains dirigeants de club mettent un point d'honneur à voir
gonfler leurs effectifs ; ils ont raison dans la mesure où ils sont sûrs
des qualités des éleveurs qu'ils encouragent (directement ou indirectement) et
de la convenance de la race aux besoins des utilisateurs auxquels ils la
conseillent. Qu'ils prennent garde : l'inflation est le commencement de la
faillite. Car, quelquefois, ils ne sont que les instruments, passifs ou
inconscients, d'un esprit commercial qui, peu à peu, fait passer l'élevage du
chien au rang de l'élevage du lapin : produire et vendre.
Les clubs ne doivent pas être des groupements de fabricants
de chiens.
Il va de soi que leurs dirigeants, s'ils produisent, ne
doivent pas avoir l'esprit « marchand », mais l'esprit « éleveur »,
et que, dans les compétitions notamment, celui qui fait partie d'un club ne
doit considérer que l'intérêt supérieur de la race et non son intérêt
personnel.
C'est cette sélection des qualités dans son état-major et
dans ses effectifs qui est à la base de la valeur d'un club. Elle seule peut
lui permettre de fixer ses efforts sur les objets majeurs qui font sa raison
d'être. Un club ne doit réunir que des éleveurs éprouvés, des utilisateurs
sportifs et convaincus du rôle qu'ils ont à jouer dans le maintien et le
perfectionnement de la race. Cela ne saurait nullement exclure certains
professionnels plus sportifs que certains « amateurs » ou se
prétendant tels, pas plus qu'il ne saurait signifier que des produits de
qualité ne doivent se vendre un juste prix. C'est cette qualité qu'un club doit
pouvoir garantir, donc contrôler. Et c'est aussi la qualité de l'utilisateur
dont il doit s'enquérir. Un club n'est pas un organisme commercial et, dans les
temps où nous vivons, l'esprit marchand menace la cynophilie. Quand un
secrétaire de club indique à un amateur un sujet à vendre, il doit pouvoir
garantir la qualité de ce sujet ou tout au moins celle du producteur ou du
vendeur. Or, souvent, il ne peut le faire que dans des cas restreints. Il ne
peut donc remplir son rôle et le fait, pour un amateur, d'acheter un sujet à un
membre du club ne peut le garantir d'un dol.
Ce rôle de surveillance et cette garantie, les clubs ne
peuvent les assumer qu'en renonçant à la politique du nombre au profit de la
qualité. Réduits alors à un noyau d'éleveurs compétents et désintéressés,
d'utilisateurs convaincus de leur rôle, ils trouveraient, dans leur
indépendance et leur esprit entièrement sportif, assez de force pour imposer
aux organismes dirigeants l'octroi de moyens efficaces pour contrôler et
maintenir la pureté et les qualités de leurs races.
Car, après tout, ils pourraient bien se diriger tout seuls.
Jean CASTAING.
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