Les chiens courants sont ceux qui ont le moins à redouter
l'influence malencontreuse de l'expositionnisme, parce qu'ils sont presque
toujours élevés par ceux mêmes qui les veulent utiliser, et parce qu'ils sont
ainsi sévèrement sélectionnés sur le modèle utile et sur la qualité.
Cela n'empêche pas d'ailleurs que les chiens courants, et
spécialement ceux de grande vénerie, ont toujours eu et toujours conservé la
plus grande uniformité et la plus grande fixité dans le type.
Cela tient à ce qu'ils n'ont pas subi l'influence de
l'exposition ... qui malheureusement n'est pas toujours faite pour
maintenir la fixité. L'exposition subit l'influence de la mode. La mode n'est
pas toujours la même. On sait que toutes les modes sont capricieuses et
changeantes, et un changement dans la mode entraîne certains changements de
détails.
La mode peut être aux chiens de grande taille, de moyenne
taille, aux chiens très puissants, aux chiens plus élégants, etc.
Et l'on a pu constater les effets désastreux de certaines
modes : chiens sans grandes taches et très élégants, qui tournaient à
l'albinisme et à la gracilité, chiens à tête très sculptée et au crâne étroit,
qui tournaient à l'imbécillité.
Malheureusement, il y a certains détails qui peuvent
paraître insignifiants au premier abord et qui entraînent des conséquences
graves, non seulement sur le modèle, mais encore sur le moral.
Mais l'uniformité et la fixité des chiens d'équipage
tenaient aussi, et pour beaucoup, à ce que les maîtres d'équipage avaient la
connaissance du chien, l'expérience de l'élevage et la suite dans les idées. Ce
sont là des qualités essentielles pour réussir de beaux et bons chiens. Ils
avaient aussi le type dans l'œil, et bien avant que les standards n'aient été
inventés et codifiés, ils savaient ce qu'était le type de leur race et ils
savaient produire et maintenir ce type.
A propos du type de la race, les grands connaisseurs
proclament que les caractéristiques intangibles de la race résident dans la
tête, l'oreille et la queue.
Peut-être. Mais, si l'on s'hypnotise trop sur ces points, on
peut aboutir à des erreurs très préjudiciables à la race que l'on prétend
respecter et maintenir.
Par exemple, vous sacrez champion un chien qui a une tête et
une oreille idéales et un fouet parfait, mais qui n'est pas très bien bâti par
ailleurs pour faire un bon galopeur, résistant, ou qui manque de qualités
morales.
Croyez-vous que vous avez servi la cause de la race ?
Pas le moins du monde. Vous avez signalé à l'attention des éleveurs un animal
qui est un mauvais géniteur, incomplet ou néfaste.
Vous avez, d'autre part, créé un courant d'opinion
absolument faux sur le véritable type utile, en ne mettant en lumière que des
détails que la grande majorité des amateurs et des éleveurs vont alors pousser
vers l'excès.
Tout en prétendant sauver le type de la race, vous avez
préparé sa décadence et peut-être sa mort.
Certains chiens dits d'utilité — plus ou moins avérée — et
tous les chiens d'agrément sont élevés pour leurs caractéristiques propres et
cela souvent poussé à l'exagération, parce que chez eux des anomalies
deviennent des points de beauté. Cela n'a aucune importance, puisque leur
raison d'être et de vivre, c'est précisément leurs particularités.
Mais avec les chiens courants, rien de semblable. Les
chasseurs aux chiens courants n'élèvent pas et n'achètent pas des chiens
uniquement pour admirer ou faire admirer la pureté de leur profil et la
splendeur de leur fouet. Ils veulent des chiens qui chassent. Ils sont plus
soucieux de les voir briller sur le terrain que dans le ring.
On me dira qu'il est impossible au juge d'apprécier les
qualités probables d'un chien que l'on campe et que l'on fait évoluer devant
lui pendant quelques instants.
Rien n'est plus exact.
Mais lorsqu'un chien remarquable par sa tête, son oreille et
son fouet a des aplombs défectueux, une poitrine et un coffre insuffisants, une
ossature et une musculature pauvres, ce chien est indigne d'un premier prix.
Parce qu'un premier prix, cela équivaut pour beaucoup d'amateurs
à une recommandation comme reproducteur.
Les aptitudes à la chasse sont encore plus difficiles à
deviner.
Cependant, un chien à l'œil hagard, ou stupide, un chien
craintif, qui rampe et qui se chatouille le ventre de son fouet, est en
principe un chien également indigne d'un premier prix. II est appelé à produire
des supernerveux, des timides, des inutiles. Il est rare qu'un chien qui manque
d'assurance et de cran soit un vrai bon chien. Le vrai bon chien courant doit
avoir de la hardiesse et de l'initiative. Entre les deux défauts extrêmes :
fouet trop canaille ou fouet serré entre les cuisses, le premier est une
meilleure recommandation de vigueur, de santé, de vivacité et d'intrépidité.
Un jour, le même exposant me présente trois chiennes
griffons vendéens en classe ouverte. Je lui donne le premier, le deuxième et le
troisième prix. Il aurait dû être enchanté. Eh bien, pas du tout ! Et, sur
ma demande, il m'a expliqué sa déception.
— Je pensais, m'a-t-il dit, que ce serait la chienne classée
troisième qui serait la première.
— Il est exact, ai-je reconnu, que la troisième est la plus
jolie et la plus typée, mais je l'ai jugée indigne de la première place parce
qu'elle m'a semblé complètement idiote.
— Dans ce cas-là, m'a dit l'exposant, vous avez raison. Elle
est tout à fait inutilisable à la chasse et je comptais même sur un premier
prix pour la vendre plus facilement et plus cher !
N'est-ce pas un exemple typique du carton de premier prix
qui aurait recommandé à l'acheteur une nullité, future mère de nullités ?
Les juges qui attachent une importance capitale au modèle utile
et aux apparences morales sont souvent critiqués.
On les accuse d'ignorance totale ou de partialité, parce
qu'ils ne priment pas avant tout les détails très orthodoxes.
Ils font cependant moins mal à la race que les juristes
convaincus et intransigeants, qui, au mépris de l'ensemble, du modèle utile et
des apparences morales, priment avant tout les caractéristiques sacro-saintes
de la race.
Lorsqu'une race fait preuve de qualité et jouit d'une grande
faveur, elle est élevée en grand nombre, et, avec une sélection experte et
saine, on peut améliorer les détails physiques. Au contraire, lorsqu'une race a
perdu ses qualités, elle est délaissée. Il n'y a plus à espérer la moindre
sélection parce que l'effectif des géniteurs diminue de plus en plus.
On la laisse de côté et elle est appelée à disparaître.
Paul DAUBIGNÉ.
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