On peut dire que le flotteur lesté (1) peut être employé
dans presque tous les cas où la mouche classique pourrait l'être. II n'y a que
la pêche à vue qui ne le peut pas, et c'est énorme. Le choc du flotteur tombant
près du poisson l'effraye à coup sûr. Le flotteur doit être lancé loin du
poisson pour être amené naturellement par le courant près de celui-ci. Cette
grande différence avec la mouche classique fait la grande supériorité de cette
dernière. Certains puristes n'admettent que la pêche à la vue précisément à
cause des difficultés qu'elle comporte. On peut dire, en effet, que c’est là
que réside le grand art de la pêche et qu'il est interdit au flotteur lesté.
Mais tous les pêcheurs n'ont ni le temps, ni la volonté de s'astreindre à un
long entraînement. Le flotteur lesté est, pour eux, le moyen facile d'y
suppléer. Il y a cependant, en dehors de la pêche à vue, bien d'autres moyens
intéressants de faire travailler les mouches. Certains pensent même que le sens
de l'eau, qui fait deviner la présence du poisson en un point bien précis, est
un art équivalent à celui de lancer à vue avec précision et légèreté. La
satisfaction de voir la touche se réaliser selon l'intuition n'est-elle pas
comparable à celle de voir le poisson monter à la mouche ? La recherche du
poisson qui anime celui qui pêche l'eau n'est-elle pas une joie inconnue à
celui qui ne pêche qu'à la vue ? La mouche classique ne serait-elle qu'un
jeu d'adresse et de cache-cache ? Le pêcheur qui pêche l'eau ne doit-il
pas avoir le sens de l'eau, chose peu commune et même rare ?
Pêcher au flotteur lesté c'est pêcher l'eau, sauf par
éclosion et gobages. Lancer au hasard le flotteur réussit en certaines rivières
très poissonneuses ; mais de nos jours et de plus en plus les rivières
s'appauvrissent. Les vieux pêcheurs qui depuis longtemps pèchent un même
parcours connaissent le lent mais inexorable processus de la disparition du
poisson. Autrefois, en mon coin préféré, il y avait du poisson partout. Le
moindre petit coup contenait du poisson. Insensiblement, mais sûrement, le
nombre de prises a diminué dans chacun d’eux. D’année en année, l’un après l’autre,
bon nombre de coups se sont vidés. Il n’y a plus rien. II faut chercher plus
loin, dans les coups éloignés de la rive ou encore, les poissons y étant plus
tranquilles, on en trouve quelques-uns. La canne à mouche et le « wading »
y sont insuffisants. C’est au large, dans les vastes remous, en aval des
chutes, au pieds des grandes falaises concaves, abruptes, impêchables du haut
de la rive, mais possibles, quoique lointaines, de la rive opposée,
généralement basse et abordable ; dans les vastes courants éloignés, que
le poisson restant s’est réfugié. La canne à mouche y est impuissante, le
flotteur lesté, au contraire, y trouve son emploi. C’est vraiment une joie
quand, dans un calme, invisible au pêcheur inexpérimenté, entre deux nerfs de
courant, dans un contre-courant au milieu des vagues, du clapotis, le pêcheur
habile pique et sort dans ce chaos une jolie pièce que nul autre procédé ne lui
aurait permis de prendre. Quand un sport vous donne de pareilles satisfactions,
il ne faut pas médire de lui.
Mais lancer routinièrement et attendre qu’un hasard
providentiel vous vienne en aide n'est pas très sportif, et ressemble un peu
trop à la cuiller aveugle qu’on ne voit jamais. Le flotteur peut et doit être
intelligent. Le bon pêcheur au flotteur lesté doit plus qu’aucun autre
connaître au premier coup d’œil les endroits favorables, il doit les deviner,
les supposer souvent sans les voir. C’est ainsi que, parfois, il devra s’élever
sur la rive pour voir la topographie du coup lointain où les courants, les
vagues lui cachent le point favorable quand il est dans la rivière. Il doit
noter dans sa mémoire ce qu'il ne peut voir d’en bas ; le flotteur en son
parcours surveillé, retenu, abandonné, repris, lui confirmera la tactique
prévue. C’est là le grand art du flotteur lesté, et j’avoue que, pour moi, j’y
trouve des joies aussi grandes que dans la mouche sèche au style le plus pur.
Après ce lyrisme quelque peu passionné, j’en conviens,
passons en revue les méthodes de lancer.
Je suppose connue la façon de tenir la canne et la pratique
du lancer. Je souligne cependant la nécessité de veiller à ce que le crin ne s’appuie
que sur la pulpe de l’extrémité de l'index. Trop profondément tenu, ce fait
peut retenir le flotteur qui, fortement lancé, casse et vous dit au revoir,
emportant les mouches avec lui. Autre précaution : il faut, pendant le
lancer, précédé d’un balancement du flotteur, que le pêcheur sente la traction
du flotteur qui bande la canne et ne pas relâcher cette traction, sinon un vide
se produit, suivi d’une reprise sèche, qui ainsi peut casser ou couper le
ressort de la canne. Le lancer est court. Il n'est pas nécessaire de lancer
fort, la canne seule doit, par sa détente, projeter le buldo.
Tous les lancers : droits, de revers, par-dessus la
tête, sous la main, sont utilisés, mais, avant de lancer, vérifier que vos
mouches ne rencontreront pas d’obstacles sur le sol ou en l’air.
On pêche en amont dans les courants pas trop rapides, selon
la capacité de récupération du moulinet ; en travers, en dérivant, en
éventail, en descendant en aval, à l'arrêt : tout est permis. Guider le
flotteur dans les remous, le faire passer en prenant ou rendant du fil là où
vous voulez qu'il passe. Faire presque constamment des relâchers surtout en
descendant. Pêcher trois quarts ou demi-amont, tendre la ligne en faisant
passer le flotteur perpendiculairement au courant, faire vibrer les mouches sur
l’eau. Tendre la ligne en prenant appui sur le flotteur, faire sautiller les mouches
(sèches) en manœuvrant la canne de haut en bas, avec adresse et doigté.
Inspirez-vous de l'éphémère, qui fait de petites envolées, et sachez aussi
faire couler vos mouches. En descendant, relâchez et donnez du fil après chaque
relâcher Jusqu’à la fin du parcours où vous terminez par un arrêt. Faites aussi
des arrêts successifs dans les courants. Enfin parfois, dans les remous, dans
certains calmes au milieu de places mouvementées, laisser faire le buldo, canne
haute, en le suivant : la mouche noyée y pourra réussir. Sur des éclosions,
des gobages, lancer en amont, pêcher en suivant ligne légèrement tendue,
mouches en surface libres. Pêcher en courbe, c’est-à-dire flotteur en amont des
mouches en descendant ligne courbe, les mouches arrivant les premières sur le
poisson. En fin de parcours, ramener loin du parcours de pêche pour éviter
d'effrayer le poisson. Mais, surtout, sachez vous placer : la pratique
vous l'apprendra.
Enfin, pour terminer, à la touche même brutale, ferrez
plutôt fort (l'élasticité du nylon l'exige), mais ramenez doucement, ne forcez
pas le poisson, faites du « pumping » pour économiser votre matériel,
et ne faites pas ce que je n'ai fait que trop souvent ; n’oubliez pas
votre épuisette à la maison, ni sur la rive.
P. CARRÈRE.
(1) Voir Le Chasseur Français, n° 644 et suivants.
|