On désigne sous le nom de catamarans les bateaux
multicoques, ce qui remplace avantageusement des néologismes peu euphoniques
comme trimarans, bicoques, etc. On a déjà vu, avec le Triton de M. Bruneau (1),
les avantages du bateau à flotteurs latéraux. Je précise qu'il s'agit d'un
bateau à une coque stabilisée par deux flotteurs, type dérivé de la pirogue
indigène à balanciers. Lorsqu'on veut rendre un bateau pratiquement
inchavirable, l'adjonction d'un ou de deux flotteurs latéraux est la solution
la plus simple permettant de conserver à une petite embarcation ses qualités de
légèreté, de démontage et de transport. La transformation est facile, puisqu'on
trouve dans le commerce des stabilisateurs à double balancier adaptables sur
tous les canoés, d'un poids de 20 kilos, facilement démontables pour le
transport ou le garage et qui permettent d'atteindre en toute sécurité des
vitesses étonnantes. On peut se contenter d'un seul balancier, mais l'expérience
prouve que c'est au détriment de la stabilité, de la sécurité, de la tenue de
mer et de l'esthétique.
Construire un petit voilier à double balancier ne présente
pas de difficultés particulières. Nous avons une coque classique avec des
traverses aux extrémités desquelles sont fixés les flotteurs. Le mât est
solidement tenu par un bon écartement des haubans. Étayage normal ; mais il
faut soigner les attaches des traverses qui supporteront un effort continu de
dislocation. Un spécialiste a étudié un de ces voiliers à double balancier et
dérive centrale dont on peut voir ci-contre les lignes d'ensemble. Il mesure 5
mètres de long sur 3 mètres de large. Si l'ensemble pèse 160 kilos, il peut
être rapidement démonté pour le transport. Il porte 14 mètres carrés de voilure
(le caneton n'en porte que 10), et il peut recevoir 3 équipiers. Pour le
construire, un amateur devrait sacrifier environ 190 heures de travail, soit 24
jours de 8 heures, et ... 70.000 francs de fournitures, en tenant compte
que les voiles seraient confectionnées par un professionnel ainsi que la mâture
brute. On ne peut prétendre que ce soit là le bateau à tout faire, mais il est
certain qu'il apportera à de nombreux plaisanciers une solution pratique pour
concilier des exigences que ne pourrait offrir un bateau classique ;
dimensions réduites, légèreté, facilité de transport, bon porteur, large marge
de sécurité (il est pratiquement inchavirable), grande vitesse possible qui
doit lui permettre de battre tous les bateaux classiques de même longueur ;
enfin économie.
Bien que certains yachtmen classent le bateau à balanciers
dans la catégorie des multicoques, donc des catamarans, il est plus exact de
réserver ce dernier terme au bateau constitué par deux coques reliées par des
traverses portant la mâture. La caractéristique la plus frappante des
catamarans réside dans des possibilités de vitesse très supérieures à celles de
n'importe quel voilier. Certains ont atteint et même dépassé 16 noeuds, soit 30
kilomètres à l'heure, ce qui est peu commun pour des voiliers de petites
dimensions. Le modèle est simple en théorie. En fait, il doit remplir de
multiples conditions, et sa construction pose des problèmes nouveaux. Comment
fixer le mât, les étais, le gouvernail entre les coques où il y a le vide ?
Chaque coque doit avoir un déplacement suffisant pour rester en surface à la
gîte, puisque, à la limite, il doit pouvoir marcher sur une seule coque, cas
extrêmement rare du fait que le catamaran possède un couple redresseur très
grand en comparaison de son déplacement, ce qui le rend à peu près
inchavirable. Enfin il y a le problème des liaisons. Il semble que, si les
catamarans ont été délaissés après leur vogue aux U. S. A. vers 1880, c'est parce
que les précurseurs s'obstinaient à construire des coques indépendantes au
point de vue tangage. Cet assemblage déformable imposait des liaisons très
compliquées et rendait très coûteuse la construction de ces bateaux. Il est
évident que plus les coques sont importantes, plus les efforts de torsion sont
considérables, d'où justification de ces assemblages. Pour la construction des
catamarans de petit et moyen déplacement, on se contente actuellement d'un
ensemble rigide, mais l'alternance des efforts risque de disjoindre les plus
solides liaisons. Une solution mixte inspirée des pirogues indigènes a été
réalisée dans la série des catamarans « Tropiques », où l'ensemble
est aussi rigide que possible, mais garde une souplesse qui diminue les efforts
sur les liaisons.
Il n'y a pas de gréement spécial pour les catamarans. Le mât
est fixé sur le pont ou sur une traverse, solidement haubané et étayé pour
tenir toute la toile aux fortes brises. Faut-il un ou deux gouvernails ?
Cela dépend des formes des coques. Avec des quilles et des plans minces à
l'arrière, mieux vaut deux gouvernails. Avec un tableau rasant la flottaison,
on se contente d'un gouvernait central. Si les coques ont peu de profondeur,
prévoir des ailerons fixes ou des dérives relevables. Les supprimer si les
coques sont étroites et profondes. Dans le cas de dérive mobile, on peut installer
une dérive dans chaque coque ou une seule dérive médiane. Dans ce dernier cas,
on libère les coques de l'encombrant puits de dérive, mais par contre la
fixation sur les traverses est assez délicate. Les équipiers prennent place
dans les coques où des cockpits peuvent être prévus, mais ils doivent pouvoir
circuler aisément d'un flotteur à l'autre pour faire contrepoids, d'où tendance
à remplacer les traverses par une plate-forme plus praticable. Quand les coques
sont réduites à de simples flotteurs étanches, on supprime les cockpits, et les
équipiers se tiennent sur le plancher. Un inconvénient du catamaran est de
mouiller. Les embruns provoqués par les étraves sont rabattus vers la
plate-forme. II y a aussi entre les coques des interférences, et le clapot
projette des embruns en hauteur. On protège l'équipage en fixant un plancher jointif
qui avance vers l'avant formant bouclier contre les embruns d'étrave. Ces
améliorations progressives ont conduit les constructeurs au catamaran
monocoque. Qu'on imagine les deux coques et la plate-forme soudées, profilées
avec angles arrondis. C'est en fait une seule coque avec deux renflements
porteurs. Est-ce là le yacht de l'avenir ? Certains y voient la forme des
grands paquebots futurs. Nous ne savons ce que deviendra le catamaran. Il est
un fait, c'est qu'il est mal connu, et peu d'architectes se sont penchés sur
les problèmes techniques qu'il soulève.
Contentons-nous d'être des pionniers avec un modeste
catamaran que nous pourrons construire nous-mêmes. L'étude dont on peut voir
ci-contre les lignes générales est un catamaran « Tropiques » de 4m,50
de long avec une largeur totale de 2m,40. Les deux coques pèsent respectivement
60 kilogrammes et portent 14 mètres carrés de voilure. Trois places sont
prévues à bord. L'ensemble est démontable et pèse au total 200 kilogrammes. Le
prix de revient de ce petit catamaran est d'environ 70.000 francs, main-d'œuvre
non comprise. Celle-ci représente 160 heures de travail en moyenne, soit 20
jours de 8 heures. Il a été étudié spécialement pour une construction d'amateur
facile et économique. Le bordé est prévu en bois mince entoilé ou en
contreplaqué, ce qui assure une étanchéité totale. D'ailleurs, les liasses des
plans comportent toutes les indications nécessaires à la construction. Le
travail peut être grandement facilité si l'amateur achète dans un chantier les
jeux de membrures tout préparés. Cela lui évite la construction des gabarits et
les réglages, d'où gain de temps appréciable et assurance d'avoir des coques
parfaites.
On trouve aussi, dans la série des « Tropiques »,
des modèles monocoques peut-être plus marins et plus secs, capables de grandes
croisières, mais leur construction est beaucoup plus onéreuse et plus
compliquée.
Le voilier de 5 mètres à flotteurs latéraux et le catamaran
de 4m,50 sont suffisants pour réaliser les projets des plaisanciers qui
recherchent des promenades sur les côtes, avec des exigences particulières
auxquelles le bateau classique ne peut répondre, alors que le catamaran résout
les problèmes posés.
A. PIERRE.
(1) Voir Le Chasseur Français de janvier 1947.
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