Nous avons fait connaissance, précédemment (1), avec des
coléoptères, ennemis des peupliers, s'attaquant au bois des arbres sur pied.
Ils ne représentent pas, malheureusement, les seuls ennemis
de ce genre ; et, parmi les lépidoptères, le « gâte-bois » et
les « sésies » sont, par leurs larves, les auteurs de dégâts
importants dans le bois de la base du tronc de peupliers de tous âges.
Le gâte-bois
— C'est le Cossus L. des entomologistes, dont le
papillon, de teinte générale gris brunâtre, zébré de taches et de lignes plus
foncées, atteint jusqu'à 9 ou 10 centimètres d'envergure. On le rencontre
rarement, car c'est un crépusculaire et un nocturne, et la teinte de ses ailes,
repliées en toit pendant le repos diurne, le dissimule parfaitement aux
regards, alors qu'il est plaqué, pendant le mois de juillet, dans l'immobilité
la plus complète, sur une écorce fissurée.
La chenille ne peut jamais, en raison de sa couleur, passer
inaperçue. Elle sort, peu après la ponte, des œufs déposés dans les fissures de
l'écorce, de préférence à la base des troncs. Petite larve rosée, elle pénètre
d'abord dans l'écorce, puis dans le bois, en creusant des galeries sinueuses,
se croisant en tous sens et renfermant encore une partie de la sciure provenant
de son travail de forage. Une quantité importante de cette sciure s'écoule à
l'extérieur, au niveau de l'orifice de la galerie d'entrée, très souvent
recoupée, et, en s'accumulant au pied de l'arbre, révèle la présence du
parasite.
Les dégâts, qui durent pendant deux années et qui prennent
de plus en plus d'importance avec la croissance de la chenille, se terminent au
mois de mai de la troisième année. La chenille atteint alors la dimension d'un
doigt ; et, de couleur générale rosé chair, elle est munie sur la face
dorsale de chaque anneau d'une tache couleur lie de vin. Elle se nymphose dans
son couloir, aux abords de l'entrée d'une galerie, au milieu d'un réseau lâche
de soie entremêlée de copeaux. La chrysalide est brune et pourvue, sur les
derniers anneaux, de rangées de crochets fins orientés vers l'arrière.
Au moment de l'éclosion, par des contorsions de son abdomen,
en s'appuyant sur les crochets en question, la chrysalide réussit à progresser
de quelques centimètres vers la surface, à crever la mince pellicule d'écorce
et à passer par l'ouverture la portion antérieure de son corps. Dès que le
papillon est prêt à partir, la carapace de la chrysalide se fend et, s'écartant
comme les pétales d'une fleur, livre passage à un animal lourd, aux ailes
molles,
qui vont en quelques heures terminer leur croissance et se
sécher. Le soir, le papillon sera prêt au vol.
Il arrive que l'on rencontre parfois, sur les chemins, ces
chenilles rouges et dodues, parties à la recherche d'un arbre plus propice à
leur alimentation ou d'un lieu de nymphose que, par hasard, le lieu de leur
croissance ne leur offrait pas.
Les dégâts de la chenille, qui, normalement, intéressent les
qualités technologiques du bois, ont une répercussion immédiate évidente sur le
revenu à espérer d'une plantation. Mais ils sont surtout la porte ouverte à
l'entrée d'autres parasites dangereux : les champignons. Aussi est-il
indispensable que les plantations soient bien surveillées et, dès
qu'apparaissent les premiers signes de l'attaque, débarrassées au plus vite de
leurs ennemis. Un fil de fer peut permettre d'embrocher les larves dans leur
demeure, mais l'emploi des gaz asphyxiants, tels que sulfure de carbone,
acétylène, dont il a déjà été parlé à propos des saperdes, permet seul
d'atteindre, à coup sûr, l'ennemi au fond de ses couloirs tortueux.
Les sésies.
— Sous ce nom, figure toute une série de lépidoptères à
physionomie très particulière qui miment, le plus souvent, l'aspect d'insectes
du groupe des abeilles ou des guêpes, et représentent d'ailleurs une exception
parmi les lépidoptères. Les ailes des papillons sont, en effet, à peu près
dépourvues de ces écailles multicolores qui font l'admiration.
L'espèce la plus importante, et aussi la plus commune, parmi
celles qui s'attaquent aux peupliers, avec un corps dont les poils forment une annellation
brune et jaune, et des ailes translucides et enfumées simplement bordées d'une
frange de poils bruns, ressemble beaucoup à une guêpe.
C'est Trochilium apiforme Cl. == Sesia apiformis
L., dont l'adulte, qui atteint 3 à 4 centimètres d'envergure, vole en
moyenne en juin et dépose ses œufs dans les fissures de l'écorce à la base des
troncs. Les larves qui en sortent sont des chenilles de couleur jaunasse ou
blanc sale. Elles grossissent pendant deux ans, dans les galeries qu'elles
creusent dans le bois. Après les deux hivernages, la nymphose a lieu, comme
pour le cossus, tout près de la surface du tronc, sous une très mince couche
d'écorce, ou très près de l'orifice déjà ouvert, dans un cocon soyeux, très facilement
reconnaissable aux débris de bois dont il est tapissé extérieurement. Ici
aussi, la chrysalide, grâce à des crochets tournés vers l'arrière et à des
contorsions nombreuses, arrive à crever la mince pellicule d'écorce. Le fragile
papillon n'a plus, alors, qu'à fracturer l'enveloppe nymphale qui subsiste
comme un témoignage obstruant l'orifice de sortie, pour jouir de la lumière et
perpétrer de nouveaux méfaits.
Les moyens de protection ou de destruction évoqués à propos
de la grande saperde sont valables ici aussi.
Les mouches des taches médullaires.
— Ce sont de petits diptères de la famille des Agromyzidae,
ayant au maximum 1 centimètre d'envergure, qui pondent leurs œufs isolément
dans l'écorce mince des peupliers, au printemps. Les asticots filiformes qui en
sortent forent, pour se nourrir, en quelques semaines, une galerie étroite
longitudinale qui n'intéresse que la zone de cellules actives, en voie de
multiplication, située entre bois et écorce, et qui porte le nom de cambium. La
galerie larvaire de 1 millimètre de large au maximum, abandonnée en fin juillet
au plus tard, est bientôt recouverte de nouvelles couches de bois, par la
multiplication des cellules du cambium, alors en pleine activité. Elle est même
quelquefois en partie comblée par cette multiplication et ses parois conservent
une teinte brune due pour partie aux excréments, et pour partie aux déchets
décomposés des cellules détruites.
Si ces attaques, sans danger pour l'arbre, se répètent
pendant de nombreuses années, on trouvera, sur une section transversale de
l'arbre, au niveau des couches de bois de printemps, un semis de petites taches
brunes. Sur les faces longitudinales des débits, les galeries ressortiront
comme de longues traînées brunes, très étroites, qui tranchent défavorablement
sur la teinte claire du bois.
Aucun moyen curatif ne permet de se débarrasser des larves.
L'exiguïté de l'orifice de ponte ne permet d'ailleurs pas, sans l'aide des
instruments de laboratoire, de soupçonner leur présence. Des pulvérisations
d'insecticides de contact sur la base des troncs permettraient
vraisemblablement de détruire beaucoup d'adultes au moment de la ponte. Des
essais sont à tenter dans ce sens.
LE FORESTIER.
(1) Voir Le Chasseur Français, n° 642.
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