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Cabanon en Provence

J'avais écrit dans le Midi mon précédent article sur le « Pavillon familial en banlieue ». Au contraire, c'est du buffet de la gare de Lyon, à Paris, parmi ceux qui s'en vont vers le soleil, que j'écris mon commentaire sur le « Cabanon en Provence ». Après deux ou trois jours de gelée, sinon de neige, il est particulièrement agréable de se transporter en rêve vers ce pays charmant dont mon camarade corse Guelfi disait, alors que nous y vivions ensemble : « II n'y a qu'une Provence au monde. » Et bien des gens penseront comme moi qu'il vaut mieux passer une existence modeste et joyeuse dans un petit cabanon, simple, commode et clair, qu'une vie fastueuse et tourmentée dans un château nordique, au milieu des brouillards et des fumées d'usines.

Le cabanon que je vous présente aujourd'hui n'a pas été conçu pour l'habitation permanente, mais, comme ses pareils, pour le week-end et les vacances de courte durée. Pourtant, bien des gens seraient heureux d'avoir semblable logement ... Mais les chambres n'ont pas les 9 mètres carrés réglementaires. Il faudrait sans doute une autorisation spéciale de M. le ministre ... Déjà, en 1925, je disais à M. Maumené, directeur de Vie à la Campagne : « Il faudrait bousculer les préjugés bourgeois et organiser l'habitation d'une manière plus rationnelle : avoir une salle commune, vaste et lumineuse, une petite cuisine-alcôve et des chambres réduites, installées comme des cabines de paquebots. » ; Le principe de la « cuisine-alcôve » avait été retenu par M. Loucheur, qui, dans son discours de Lyon, en 1928, reproduisait textuellement un paragraphe d'un de mes articles de Maisons pour tous. Ce principe semble avoir été abandonné par ses modernes successeurs — et je crois que seuls les Hollandais ont fait une application hardie des chambres-cabines.

Avec le même argent, on pourrait avoir des maisons plus agréables, mieux construites, mieux équipées, où les femmes auraient plus de plaisir et moins de peine.

Distribution.

— Nous accédons à mon cabanon par un perron de trois ou quatre marches, flanqué de deux grosses jarres fleuries. La porte en bois à deux vantaux comporte à la partie supérieure deux châssis vitrés avec panneaux de défense en fer forgé formant soleil. Nous pénétrons dans le petit vestibule tambour de 1m,85l x 2m,40, au fond duquel se trouve un placard vestiaire avec portes à coulisse. Ce placard a 1m,85 de large et 0m,60 de profondeur, ce qui permet de placer, perpendiculairement à la paroi du fond, de nombreux portemanteaux glissant sur une tringle. Au-dessous et au-dessus de la partie formant penderie, se trouvent des tiroirs et des petits placards hauts.

A gauche de l'entrée se trouve le lavabo-vestiaire (1m,30 x 1m,10) avec lavabo d'angle et placard-penderie, d'où l'on passe au w.-c. (1m,10 x 0m,85) avec cuvette à chasse d'eau sur fosse septique, ou cuvette spéciale sur fosse à action chimique.

A droite de l'entrée, nous pénétrons dans la grande salle (6m,60 x 5m,20), qui s'éclaire en façade principale par deux grandes baies cintrées à petits carreaux, garnies de volets roulants avec projection à l'italienne. En face des deux fenêtres se trouve la grande cheminée en pierre avec âtre en briques et plaque de fonte encadrée par deux placards formant dessertes. L'ensemble monumental, constitué par la cheminée et les placards-dessertes, est encadré par les deux petites portes donnant accès aux deux chambres cabines.

Entre la porte sur vestibule et la porte de cuisine s'étale le grand buffet provençal du XVIIIe siècle orné de riches et voluptueuses sculptures. Entre les deux fenêtres cintrées se place l'horloge provençale ancienne. Sur la quatrième paroi, face au buffet, se développe un immense placard, avec parties à panneaux, parties à tiroirs ou à niches pour vases ou livres, et, au milieu, grande niche pour divan, avec glace au-dessus.

Au milieu de la salle trône une grande table ovale, autour de laquelle peuvent prendre place aisément seize convives. Ainsi les occupants de la maison (cinq personnes seulement peuvent y coucher) pourront recevoir dans la journée onze invités : belle tablée pour la dinde de Noël, tandis que dans la grande cheminée flamberont les sarments de vigne ou les branches d'olivier — et belle table sans coins dangereux autour de laquelle les enfants pourront faire la ronde après le dessert.

A gauche de la salle, nous entrons dans la cuisine (3m,40 x 3 m.), assez vaste pour que quatre ou cinq personnes puissent y manger (solution plus commode lorsqu'on est entre soi). Sous la batterie de trois fenêtres se développent en ligne : évier avec double égouttoir, cuisinière électrique, cuisinière à bois et charbon. Sur la paroi gauche, nous trouvons un grand placard de 2m,50 de long qui pourrait être un peu raccourci pour laisser la place à une porte de sortie sur le jardin. En face se place un buffet de 1m,10 et, sur la quatrième paroi, le frigidaire. Au milieu se trouve la table.

La cuisine donne accès à la salle de bains (3m. x 1m,75), où nous trouvons : baignoire avec chauffe-bains et tabouret-bidet, lavabo sous les deux fenêtres à l'appui élevé, armoire à linge. Au-dessus du lavabo, il y a une glace encadrée par deux appliques, de telle sorte que, le jour ou la nuit, l'usager est éclairé simultanément du côté droit et du côté gauche par les deux fenêtres ou par les deux appliques. Une porte spéciale, condamnable à volonté, donne accès de la salle de bains au w.-c.

De la salle nous accédons aux deux chambres-cabines par les deux portes placées de chaque côté de la grande cheminée. Ces deux chambres sont séparées par une double cloison isolante.

Chaque chambre (3m,20 x 2m,20) comporte un divan-lit de 2 mètres x 1m,40, légèrement surélevé au-dessus de deux tiroirs et monté sur roulettes pour faciliter la manœuvre. À côté du divan se place la table de chevet. La paroi opposée au divan est occupée par un placard profond avec portes à coulisse, organisé comme le placard-vestiaire que je viens de décrire. En face de la porte se trouve la fenêtre. Sous l'appui de la fenêtre se trouve une table pliante, se rabattant contre le mur quand on veut faire le ménage. Il est encore possible de placer au-dessus du divan un placard suspendu se développant en équerre sur le mur au-dessus du pied et sur la cloison latéralement.

Cette chambre-cabine ne présente-t-elle pas autant de commodités que bien des chambres plus grandes ? Certains diront : « Et le cube d'air, qu'en faites-vous ? » Je répondrai : « Le cube d'air est grand à l'extérieur, on peut ouvrir la fenêtre, ou profiter d'un système de ventilation placé à la partie supérieure. On peut aussi, accessoirement, aérer de la même façon sur la grande salle. Une petite pièce bien aérée est plus saine qu'une grande pièce qu'on n'ouvre jamais. »

Construction.

— J'ai prévu, dans mon plan, des murs en pierre du pays de 0m,50 d'épaisseur. Dans plusieurs habitations que je réalise actuellement dans le Centre et dans le Midi, il m'est apparu que le mur de 0m,50 en pierre du pays ne coûtait pas plus cher qu'un mur en briques creuses. Et, grâce à une pierre qui chasse bien sous le têtu, l'entrepreneur Solanet a pu réaliser un splendide appareillage rustique au prix de la maçonnerie brute. Il est vrai que c'est un vieux tailleur de pierre.

Les murs de refend seront en briques ou en agglomérés de ciment bien dosés. La charpente sera en sapin ou, mieux, en ciment armé, avec couverture en tuiles creuses du pays. Le sol sera carrelé en carreaux rouges de Marseille ou, mieux, en carreaux de grès cérame, pratiquement inusables et inattaquables aux acides.

Aspect extérieur.

— Moderne par sa distribution, sa construction, son confort et ses commodités, cette maison reste classique dans sa forme, mais d'un classique simple, presque paysan. Le plan carré, le toit à deux pentes, l'ordonnance des trois baies cintrées de façade avec leurs fenêtres à petits carreaux, le cadran solaire au-dessus, dans l'axe du pignon, la corniche traditionnelle formée par la dentelle génoise, en tuiles creuses, les jarres fleuries, les ceps de vigne qui viennent encadrer les ouvertures, tout cela reste dans la tradition locale, issue de la tradition romaine, avec les variantes légères apportées par les siècles.

Gérard TISSOIRE.

Architecte,
Grands prix internationaux de l'Habitation.

Le Chasseur Français N°648 Février 1951 Page 108