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Superstitions en Afrique noire

Chez tous les peuples arriérés, les superstitions tiennent une grande place. Ces superstitions sont entretenues par les sorciers, maîtres suprêmes des villages noirs par leur autorité incontestée sur les chefs et les habitants.

La coutume de faire des cadeaux, et d'en recevoir, est universelle. Chez les noirs du Nyassa, les cadeaux les plus communs consistent en un plat de bananes avec un beau quartier de viande au milieu, ou en cruches de bière. Comme il est toujours agréable de recevoir un cadeau, il existe des présages de cadeaux. Ainsi le lézard, lorsqu'il tombe du toit dans l'entrée de la case, est l'annonce d'un prochain cadeau, et celui qui tuerait le lézard serait traité d'empoisonneur. Il en est de même pour l'araignée qui descend du faîte de la demeure dans le cercle familial. II faut la saisir rapidement, sinon le cadeau ... en perspective s'échapperait.

Un certain nombre de présages sont fournis par les animaux. Le chien hurlant à la mort, au lieu d'annoncer la mort d'un habitant de la maison, comme on le croît dans certaines régions de France, prédit la mort d'un parent ou d'un ami.

Les cases noires du Nyassa ont des toits s'abaissant jusqu'à terre. Si une brebis a le malheur de monter sur le toit d'une case, on lui coupe les oreilles et on la tue. La case est ensuite abandonnée et détruite, car une mort rapide emporterait l'audacieux habitant.

Tout bon chasseur s'estime heureux lorsqu'il rencontre une perdrix. Pour le noir, si la perdrix s'envole en poussant son cri habituel, c'est le signe du bonheur ; mais si elle s'envole en silence, le malheur est proche.

Le pigeon noir et blanc entrant dans une hutte en construction et non encore pourvue de toit annonce la mort de celui qui oserait l'habiter. La hutte est démolie et l'on en construit une autre plus loin.

Le bourdon entrant avec bruit dans la demeure annonce une visite ; le papillon tombant dans le foyer prédit la pluie pour le lendemain.

Lorsque la marmite de bananes bout dans le foyer, il ne faut pas qu'un crapaud tombe à côté. Ce serait la mort prochaine d'un habitant de la maison. L'homme est aussi fort que son destin et, pour conjurer le sort, il jette immédiatement les bananes au dehors par une ouverture pratiquée à l'opposé de la porte.

Les cases n'ont qu'une seule ouverture qui leur sert de porte, de fenêtre et de cheminée. La suie, tombant sur la feuille où est déposé le plat de bananes autour duquel les gens sont accroupis, ou tombant sur la tête de quelqu'un, annonce des pleurs funèbres pour le lendemain. Si la suie tombe sur le pied, il n'y a  rien à craindre ; il suffit de dire : « Mort, je t'ai foulée aux pieds, tu ne me frapperas pas ! »

En vidant la marmite de bananes sur la feuille servant de nappe, il peut arriver que l'une d'elles se plante droit parmi les autres ; il est alors coutume de dire que le spectre de la mort s'est encore levé.

II est donc de nombreux présages d'événements malheureux qui guettent les païens de Nyassa.

Manger de la viande est une aubaine, et il y a aussi des présages pour annoncer cette réjouissance.

La souris qui traverse le sentier du voyageur en est un, ainsi que la fourmi qui se promène sur la purée de bananes.

Certains actes involontaires de l'homme sont aussi des présages :

Le tremblement de la paupière inférieure est l'annonce d'un deuil. Mais le tremblement de la paupière supérieure est un présage heureux de bonne chère.

Le fourmillement des pieds invite celui qui le ressent à se tenir prêt pour la marche. Il sera appelé dans peu de temps pour une raison quelconque.

Un événement heureux va arriver si l'on heurte quoi que ce soit de la plante du pied.

L'éternuement est de mauvaise réputation. C'est avec compassion que le noir dit : « Kira Watu », (guérissez monsieur !) En effet, éternuer à côté de quelqu'un, c'est l'empêcher d'entreprendre le voyage qu'il a projeté.

En Europe, passer sous une échelle porte malheur. Les bananiers plient parfois sous le poids trop lourd des régimes. On soutient le bananier trop chargé par une branche d'arbre appuyée contre le tronc. Passer sous cette branche porte malheur. En Europe, le malheur peut venir d'un pot de peinture ; au Nyassa, il viendrait de la chute inopportune du régime sur la tête du téméraire.

On ne saurait arrêter cette énumération sans parler du mauvais œil.

Toute personne peut jeter des maléfices par simples regards. Mais ceux-ci n'ont d'effet que sur les bébés jusqu'à trois ans. Aussi les mamans attachent-elles au cou de leurs nourrissons une amulette prescrite par le sorcier. Si la mère omet de se servir du talisman et que l'enfant tombe malade, nul doute : ce ne peut être que le mauvais œil. Il faut aller trouver le sorcier, qui fera quelques entailles dans la peau du bébé et sucera un peu de sang qu'il crachera à terre ... avec le mauvais œil. L'enfant sera guéri.

De très nombreux noirs sont encore païens et fétichistes ; toutefois, les lents et pénibles efforts des missionnaires catholiques et protestants arrachent tous les jours quelques malheureux à l'angoisse des superstitions, souvent cruelles, entretenues par les sorciers.

G. VIGNE.

Le Chasseur Français N°648 Février 1951 Page 118