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En marge d'un récent procès

Subtiline et "bacille des foins"

Les découvertes des savants, si souvent déterminées par le hasard, ne manquent pas non plus d'imprévu dans leurs résultats, et celle de la « subtiline », un des derniers antibiotiques reconnus, le consacre une fois de plus à propos d'une récente décision judiciaire.

Extraite non pas d'un champignon, comme d'autres médicaments de la même famille, mais d'un bacille, le Bacillus subtilis, dénommé couramment « bacille du foin », très répandu dans la nature, la subtiline, encore appelée « subténoline », « subticelline », ou « bacillomycine », selon son mode de préparation, possède d'après certains expérimentateurs une action supérieure à celle de la pénicilline pour obtenir la cicatrisation des plaies. Notre propos laissera de côté ses différents avantages thérapeutiques pour ne faire état que des effets qu'elle est susceptible de produire, tant au point de vue agricole que social.

Au cours des journées chaudes de l'été, quand après avoir été fauchés les foins sont mis en meules, la température intérieure de celles-ci atteint facilement 80°, puis, sous l'influence de la vapeur d'eau, la fermentation du fourrage et la pullulation du bacille, cette chaleur interne peut s'élever d'une manière surprenante jusqu'à 200 et même 300°. Dans ces conditions, il est facile de comprendre que, sous l'effet d'un courant d'air, il puisse se produire une combustion spontanée de la masse, occasionnant des incendies plus ou moins graves, sans qu'il y ait lieu de suspecter une main criminelle de les avoir allumés.

C'est pourtant ce qui s'est produit, au cours de l'été 1949, particulièrement chaud, où, après une série d'incendies qui ravagèrent un certain nombre de fermes dans la région de basse Bretagne, les paysans affolés et surexcités, craignant pour leurs biens et encouragés par la vindicte publique, dénoncèrent et firent arrêter, comme auteurs responsables, onze des leurs qui, malgre leurs protestations et explications, furent jetés en prison, non sans avoir été soumis à toutes sortes de représailles à la fois stupides et cruelles.

Ces faits malencontreux ont eu leur épilogue devant la Cour d'assises de Nantes, où, au début de décembre dernier, les incendiaires du pays de Retz, ainsi qu'on les qualifiait dans les journaux d'information, ont été tous acquittés, la Cour et le jury ayant répondu par la négative aux soixante-cinq questions de culpabilité qui leur avaient été posées. Ce verdict, trop longtemps attendu, fut chaleureusement applaudi par un public nombreux, où quelques-uns trouvaient sans doute occasion de faire amende honorable, ce qui n'a pas évité à tous ces innocents — ils n'étaient que sept à comparaître — de subir une détention préventive tellement inqualifiable que Me Moro-Giafferi, en sa qualité de député, a déposé une demande d'interpellation à l'Assemblée nationale.

Signalons en plus que le professeur Lenars, l'éminent biologiste, a été aussi le bon avocat des accusés, en exposant la thèse dont nous avons parlé plus haut, démontrant la seule responsabilité du Bacillus subtilis, qu'un récent ouvrage de M. Cormerais sur La Combustion spontanée des foins confirme en tous points.

La nature prévoyante, qui place souvent le remède à côté du mal, nous incite à penser que les méfaits du bacille du foin peuvent trouver une équitable compensation dans les bienfaits qu'on peut attendre de la « subtiline » pour la conservation presque indéfinie de toutes les denrées alimentaires.

Deux savants biologistes, MM. Anderson et Michener, viennent en effet de faire sur ce point une intéressante communication à la Société américaine de bactériologie.

Des produits aussi variés que du lait, des jus de tomates et de fruits, des asperges, des haricots verts ou écossés, des petits pois, des pommes de terre pelées ou non, ont pu être conservés pendant neuf mois, en les saupoudrant d'une pincée de subtiline, après un léger chauffage, fort éloigné de la stérilisation telle qu'on la pratique ordinairement.

L'action de la chaleur doit être courte et modérée, comparable au maintien pendant vingt minutes dans un bain-marie, de manière à tuer certains germes, d'autres restant bien vivants, mais qui seront à leur tour détruits par l'apport de quelques grains de subtiline.

L'opération est beaucoup plus rapide et plus économique que celles qui se font habituellement dans la préparation des conserves industrielles. Une stérilisation complète ne demanda que des doses très minimes de poudre de subtiline, qu'on estime à environ 20 grammes pour une tonne d'aliments, quantité insuffisante pour modifier si peu que ce soit le goût des denrées qui conservent leur saveur particulière et dont on ne saurait craindre aucun risque de consommation. Des rats et des lapins ont reçu dans leur ration journalière, pendant une durée prolongée, des doses massives de subtiline, sans en être le moins du monde incommodés.

Souhaitons que l'utilisation supplémentaire de cet antibiotique, déjà recommandable dans le domaine médical, nous fournisse en même temps que des ressources alimentaires une protection contre le botulisme, maladie toujours grave, avec prédominance de symptômes nerveux très alarmants, se produisant fréquemment à la suite d'ingestion de conserves avariées. Et s'il est trop tard pour stériliser les viandes de gibier dont on fait habituellement les pâtés, en se méfiant de la tularémie, le prochain printemps, avec ses légumes, puis ses fruits, apportera maintes occasions de vérifier si la subtiline est un antibiotique aussi … subtil et utile que nous l'avons dit.

J.-H. BERNARD.

Le Chasseur Français N°648 Février 1951 Page 121