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Alcoolisme et ivrognerie

sont guérissables

II ne s'agit pas ici d'entrer dans la querelle des défenseurs et des détracteurs du vin. II s'agit seulement de parler des malades qui en abusent et surtout de ceux qui s'adonnent aux spiritueux.

Pour le biologiste, le vin n'est pas un aliment, mais il est un stimulant, au même titre que le café ou le thé, et il est assez difficile à un individu ayant pris l'habitude depuis sa jeunesse d'en consommer de s'en passer malgré toutes les meilleures raisons.

Le fait est qu'absorbé à doses modérées, et sans dépasser un demi-litre à 10° pour un travailleur manuel pesant 75 kilos et se nourrissant normalement, le vin ne présente aucun danger ... s'il n'est accompagné d'aucun autre alcool.

Il faut du reste discerner entre l'ivrogne et l'alcoolique, car ce sont deux faits très différents.

Un ivrogne est celui qui se rend malade et perd le contrôle de sa raison, puis de ses actes, sous l'effet de la boisson. Il faut dire que cet état peut être accidentel, et, s'il est isolé, est absolument sans importance, sauf la dégradation morale et le ridicule qu'il a provoqués. On a vu, du reste, des gens tomber en état d'ivresse pour être entré le matin à jeun dans un chai, et l'on conçoit qu'il faille être très prudent dans la qualification.

L'ivrognerie peut être, inversement, une habitude, et, selon l'état nerveux du malade, ne s'accompagner que de consommations minimes. Un alcoolique peut, par conséquent, ne jamais avoir été ivre, et c'est alors son organisme — particulièrement son foie — qui est lésé par l'alcool provenant soit du vin, soif surtout des apéritifs. On cite les cas de ces intoxications lentes, chez des gens n'ayant jamais absorbé la moindre goutte de vin ou d'alcool, mais, par profession, respirant continuellement des vapeurs éthyliques. L'exemple type est celui de l'employée aux fabrications de parfums.

C'est à l'école suisse que l'on doit, dès 1943, les cures de désintoxication alcoolique, mais, depuis, elles ont été généralisées, perfectionnées, et l'on peut dire qu'en 1950 on peut guérir en moins de quinze jours aussi bien de l'ivrognerie que de l'alcoolisme. C'est fort heureux, car déjà le nombre des aliénés internés a quadruplé depuis la Libération et le retour à la vente libre du vin. Le nombre des suicides est passé de 4.000 à 8.000, et le rapport général pour 1949 du Conseil Supérieur de la Magistrature à fait ressortir que l'on devait imputer à l'alcool 80 p. 100 des crimes commis en 1948, 75 p. 100 des coups et blessures, 85 p. 100 des incendies volontaires, 50 p. 100 des naissances avant terme ou d'enfants anormaux, et enfin 80 p. 100 des accidents de la circulation, qu'il s'agisse d'automobilistes, de cyclistes, de motoristes ou de piétons.

L'alcoolisme est dû à un excès d'ingestion d'alcool par rapport à la résistance de l'organisme. Or il se pose ici une grave question : celle de la cause déterminante de l'alcoolisme. En général, le véritable motif provient de ce que le futur malade est un être diminué dans une de ses facultés, et il cherche dans le stimulant alcoolique un élément propre à faire de lui un être normal. C'est le cas du professeur manquant de mémoire, de l'acteur ayant le trac et même de l'amoureux ayant peur d'être déficient. Ici, il faut non seulement consulter un médecin, mais s'adresser à un psychanalyste, car l'alcoolisme est avant tout une névrose, c'est-à-dire plus simplement une obsession se traduisant par un état déprimant si elle n'est pas satisfaite : les alcooliques et les ivrognes sont, au premier stade, des mentaux.

On connaît maintenant trois moyens de guérir radicalement l'alcoolisme.

Le premier, d'origine suisse, est quelque peu dépassé actuellement, et sa brutalité morale le fait abandonner de plus en plus. Il consiste à isoler totalement l'alcoolique pendant une cure de trois à huit jours. Non seulement on ne lui interdit pas sa boisson préférée, rhum, apéritif, vin, alcool, etc., mais, bien au contraire, on l'engage à consommer. Dès que l'euphorie se fait jour, que l'ivresse se dessine, on lui injecte 6 milligrammes d'apomorphine, qui provoque alors de très pénibles vomissements. La cure est radicale, mais elle n'est que « spécifique », c'est-à-dire que le malade n'éprouve ensuite du dégoût que pour la seule et unique boisson qu'il prenait, et non pour tous les alcools. Si la guérison est parfois définitive avec de la volonté, il arrive aussi que l'alcoolique adopte souvent une autre catégorie d'apéritif ou d'alcool, et tout est à recommencer.

La seconde méthode provoque la désintoxication par injection d'alcool glucose hépatisé ou curéthyl. Ici, on ne provoque plus le dégoût, mais on cherche à supprimer le besoin. On tend à supprimer l'obsession impérieuse de boire, pour reprendre confiance en soi, supprimer le vertige ou le trac, etc.

Le principe consiste à injecter en une semaine environ la quantité d'alcool, après l'avoir traité, que le malade aurait bue en un seul jour. L'inconvénient de ce traitement est que, s'il fait disparaître le « besoin », il n'enlève aucunement l'habitude et ne provoque aucun dégoût futur.

Enfin le troisième procédé est le plus récent, et c'est aussi le plus satisfaisant. Par simple absorption de deux à quatre cachets d'Antabuse (disulfure de tétraéthyl-thiourane) chaque matin, le produit accroît l'intoxication dès la plus faible ingestion d'alcool, et tout l'organisme se dresse pour en interdire la consommation. Ce produit n'est aucunement toxique, sans contre-indication, et son seul effet est de provoquer des tournements de tête, vomissements, rougeurs, tremblements, dès que l'alcoolique boit un tant soit peu de vin ou d'alcool. S'il n'en boit pas, il ne se passe rien.

En fait, l'Antabuse se contente d'apporter un renfort physiologique et physique là où la seule volonté de désintoxication devrait suffire.

Pour être complet sur cette question, il faut dire encore que les biologistes et surtout des biochimistes se sont souciés de trouver un produit chimique, sans goût, sans odeur, sans couleur, qui, mélangé à la boisson alcoolisée, lui enlève toute propriété toxique, ou presque, sans toutefois supprimer les possibilités stimulantes, euphoriques et de doping. Le principe en est fort simple : en même temps que le buveur absorbe son alcool, sa combustion est accélérée au maximum dans l'organisme, au point d'être terminée avant que l'effet nocif ait pu agir.

Pr A. DE GORSSE.

Le Chasseur Français N°648 Février 1951 Page 125