Les plus récents traités de météorologie classent le mistral
en cinq types différents. Il n'est pas utile de les décrire par le détail.
L'étude sommaire que je fais n'y gagnerait qu'en longueur. Contentons-nous de
savoir que ces cinq types sont différenciés en mistral local, en mistral
général, accompagnés l'un ou l'autre de tramontane, ou existant encore l'un ou
l'autre, mais sans tramontane.
Disons, puisque l'occasion s'en présente, quelques mots sur la
tramontane. C'est de toute évidence un vent qui vient des « monts »,
et, dans toutes les régions, il y a sans doute un vent qui s'appelle « tramontane ».
Mais celui qui nous intéresse est le même qui reçoit parfois le nom de « narbonés »,
ce qui indique bien que les montagnes en question sont les Pyrénées et les
Cévennes.
Le mécanisme de formation de la tramontane est le même que
celui qui engendre le mistral.
Seulement le centre dépressionnaire, le centre attractif,
est situé bien moins au nord et à l'est que celui du mistral. Il est en général
centré entre les Baléares, la Corse et la Sardaigne, à hauteur les bouches de
Bonifacio.
Venant directement de l'Atlantique, ce vent est d'abord
humide. Par un effet de fœhn, les Cévennes le dessèchent en grande partie.
C'est la trouée de Corbières, entre les Cévennes et les
Pyrénées, qui joue pour la tramontane le rôle que la vallée du Rhône remplit
pour le mistral. La tramontane débouche de cette trouée avec la même
impétuosité que le mistral à certains jours. Les marins qui essayent sur leurs
navires de « doubler » le cap de Creus par tramontane fraîche en
savent quelque chose ! Ils sont bien souvent obligés d'aller attendre, au
mouillage dans la baie de Rosas, qu'une embellie leur permette de doubler le
cap. Cette attente dure parfois plusieurs jours.
Les neiges du Canigou refroidissent fortement la tramontane,
et cette diminution de température se fait sentir jusqu'à une trentaine de
kilomètres au large. Parfois plus.
Si on n'y réfléchit que superficiellement, on pourrait
supposer que c'est le violent appel d'air causé par le mistral qui, par un
effet de « trompe », attire vers lui les masses d'air du Roussillon
et amorce la tramontane. Il n'en est rien du tout, puisque, s'il y a parfois
mistral et tramontane, il y a souvent mistral sans tramontane (même du mistral
assez fort) et qu'il existe aussi de la tramontane forte sans un soupçon de
mistral.
Au surplus, un simple coup d'œil sur des cartes isobariques
montre qu'il peut très bien y avoir coexistence des deux vents dans certains
cas, mais que ceci n'a rien d'obligatoire. Il est pratiquement impossible que
souffle la tramontane s'il n'y a qu'une dépression située dans les parages du
golfe de Gênes, et pareillement impossible que le mistral naisse grâce à la
présence d'un centre dépressionnaire entre les Baléares et la Corse.
* *
Je disais à l'instant que la tramontane refroidie par les
neiges pyrénéennes (et notamment par celles du Canigou) était un vent froid.
Peut-on en dire autant du mistral ? Le mistral est-il
un vent froid ? Sincèrement non, mais le mistral est un vent qui
refroidit.
Certes, ayant traversé le Lyonnais, une partie du Dauphiné,
frôlé les monts d'Auvergne, caressé même les contreforts des Alpes, il ne peut
pas être un vent chaud, mais l'impression de fraîcheur, de froid même
qu'il provoque est due à d'autres raisons que celles qui refroidissent la
tramontane.
D'abord, le mistral arrive dans des régions de plus en plus
chaudes et, sa grande vitesse ne lui ayant pas permis de se « climatiser »,
il apporte en chaque point qu'il traverse la température qu'il a trouvée une
cinquantaine de kilomètres plus en amont.
Puis entre en scène son extrême sécheresse. Ce vent, qui a
laissé sur les pentes ouest du Massif central, le Forez et le Beaujolais, toute
l'humidité qu'il tenait de sa première forme de vent d'ouest venant de
l'Atlantique, est un vent très sec, donc avide d'eau, et, sur son passage, ce
vent crée partout une intense évaporation.
Faut-il rappeler qu'on rafraîchit une gargoulette,
uniquement en l'exposant, toute suintante, à un léger courant d'air à la
température ambiante ? Le mistral, en créant sur son passage une intense
évaporation, entraîne le refroidissement de tout ce qu'il touche.
Autre chose encore : pour réchauffer nos doigts gourds,
nous soufflons dans nos mains.
Quand nous voulons refroidir notre soupe, nous soufflons sur
notre cuillère.
Par quel miracle, un souffle provenant d'un même individu
peut-il, suivant le cas, réchauffer ou refroidir !
D'abord parce que cet air de température constante est
appliqué la première fois sur plus froid que lui, la seconde sur plus chaud et
que, dans les deux cas, il y a eu tendance à équilibrer les températures.
Enfin, remarquons que, pour réchauffer nos doigts, nous
avons largement ouvert notre bouche et fait sortir notre haleine bien
lentement, tandis que, pour refroidir notre soupe, nous avons serré nos lèvres
et soufflé beaucoup plus rapidement.
Est-ce que cette « vitesse » du déplacement d'air
ne vous rappelle pas un peu le mistral, et l'étranglement de vos lèvres ne vous
semble-t-il pas un peu cousin avec la vallée du Rhône ? Et ne croyez-vous
pas qu'on puisse trouver dans les quelques lignes qui précèdent l'explication
du « refroidissement » causé par le mistral ?
* *
Certaines personnes ont cru remarquer que le mistral se levait
toujours après qu'il avait plu. C'est parfois vrai, c'est souvent faux, comme
95 p. 100 des proverbes édictant les lois populaires de la météo.
« Mon grand-père le disait et le tenait de ses anciens ... »
Oui, cher monsieur, seulement ni votre grand-père ni vous-même n'avez pris la
peine de vérifier !
C'est ainsi que l'année prochaine, malgré l'éclatant démenti
infligé cette année-ci au dicton de la Chandeleur, il y aura encore des gens
pour attendre la « quarantaine », parce que les anciens le disaient ! ...
Mais fermons cette parenthèse et revenons-en aux relations
du mistral et de la pluie.
Il n'est pas impossible que la dépression, qui est une des
causes du mistral, ait amené de la pluie avec elle.
Alors cette dépression aura arrosé partout sur son passage,
puis, lorsque continuant son déplacement vers l'est elle aura atteint l'endroit
où, de toute éternité, la présence d'une dépression engendre le mistral,
celui-ci prendra naissance pourvu qu'il y ait des pressions plus élevées dans
l'ouest du Massif central. La pluie n'y est pour rien et le vent se serait levé
quand même si la dépression n'avait pas donné d'eau, de même qu'il n'y aurait
pas eu de vent du tout, même après la pluie, si cette pluie n'avait pas été
amenée par une dépression, ou si cette dépression s'était désagrégée sur place,
ou encore avait suivi un itinéraire autre que celui où, passant par un certain
point, elle « appelle » le mistral.
M. Morineau, ancien directeur du Centre météorologique de
Marignane, a étudié les causes des « arrêts nocturnes du mistral à
Marignane ». Nous allons essayer de résumer cette étude pour bien mettre
en évidence combien ce vent est capricieux, et combien sont nombreuses et
complexes les lois auxquelles il obéit.
Remarquons tout d'abord que l'étang de Berre est très peu
profond, puisqu'il est enfermé sur trois côtés — comme dans un fer à cheval —
par la chaîne de collines d'Éguilles au nord, celle de Vitrolles à l'est et
celle de l'Estaque au sud et au sud-est.
Il n'y a qu'une distance d'une vingtaine de kilomètres entre
Istres et Marignane. II ne devrait donc pas exister de différence notable de
température entre ces deux centres, mais cependant, nous fait remarquer M. Morineau,
cette différence non seulement existe, mais encore entraîne un changement de
régime du mistral entre les deux localités. C'est ainsi que ce vent « tombe »
presque toujours le soir à Marignane, alors qu'il « veille », comme
on dit, à Istres, et sur la région côtière entre Martigues et Marseille.
L'auteur attribue ces faits d'abord à l'action du peu de
profondeur des neuf dixièmes de l'étang et des marais salants voisins, puis à
la « réaction » protectrice des chaînes de Vitrolles et de l'Estaque.
D'abord, le peu de profondeur : alors qu'une masse
d'eau profonde joue le rôle de régulateur thermique, une simple pellicule d'eau
change très rapidement de température et celle-ci varie sans arrêt.
Il y a donc, dès le coucher du soleil, formation au-dessus
de l'eau d'une couche d'air froid, par conséquent très dense, qui, poussée par
le vent, se dirige vers Marignane où elle s'arrête et s'accumule, coincée entre
les collines dont il était question plus haut. Il va donc se former là une zone
d'air froid et lourd, un véritable anticyclone local, en somme, qui ne se
laissera pas attaquer par le mistral ; l'air en mouvement sera obligé de
passer au-dessus ou à côté. Aussi n'est-il pas rare de voir, à l'aube, une
moitié de l'étang agitée par un vent violent, tandis que la moitié qui comprend
Marignane reste calme ou presque calme. Mais, dès que le soleil levant commence
à chauffer cette masse d'air froid, c'est-à-dire dès que les rayons du soleil
passent au-dessus des collines de Vitrolles (à l'est), l'air encaissé dans la
cuvette se réchauffe rapidement, la masse froide se désagrège et le mistral se
remet à courir au ras du sol, comme la veille.
Ce n'est donc pas, pouvons-nous remarquer après ce bref
résumé de l'étude de M. Morineau, ce n'est donc pas toujours une montagne, un « mur »
qui nous abrite du vent, mais parfois simplement la réaction de ce mur, ou même
tout simplement un anticyclone plus ou moins étendu.
C'est ce qui nous est arrivé l'année dernière quand
l'anticyclone situé sur l'Europe occidentale nous a mis pendant des mois à
l'abri des perturbations et des vents humides de l'Atlantique.
PYX.
(1) Voir Le Chasseur Français, nos 641, 644 et
647.
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