Au cours de chaque année, un certain nombre de chasseurs
dont le fusil n'est plus, comme eux, de la première jeunesse nous demandent, en
présence de la baisse de leur rendement cynégétique, de faire la juste part
entre les responsabilités de l'arme et celles du tireur.
Il est malheureusement trop certain que l'âge diminue les
qualités du chasseur : le fusil vieillit-il également et dans quelle
mesure ? Nous nous proposons dans cette causerie de le préciser.
On sait que le rendement d'une arme dépend de son réglage,
de son groupement, de la pénétration qu'elle permet d'obtenir avec des
munitions convenables ; examinons tout cela d'un peu plus près.
Il ne faut pas, en premier lieu, confondre la précision
d'une arme et son bon réglage, car les deux peuvent sensiblement différer ;
une arme destinée au tir à plombs est précise lorsque les centres de groupement
d'une série de coups coïncident à quelques centimètres près. Nous dirons en
outre qu'elle est bien réglée lorsque le point moyen de ces centres se trouve
dans le plan de la ligne de mire et légèrement au-dessus du point visé, de
manière à permettre au chasseur de découvrir la pièce.
Dans quelle mesure un fusil précis et bien réglé — et il est
facile de s'en assurer lors de son acquisition — peut-il perdre ses qualités
par l'usage ? En lui-même, le canon ne peut subir aucune modification ou
altération ; nous verrons plus loin ce qu'il faut penser de l'usure
interne. Mais, en ce qui concerne la liaison avec la bascule, nous pouvons
constater à la longue, un jeu plus ou moins sensible ; ce jeu, combiné
avec les flexions normales du canon au moment du tir, dérègle parfois
sensiblement l'arme. On peut s'assurer de l'importance du jeu en question en
supprimant le devant de bois et en secouant l'arme par la poignée.
Si l'on essaie l'arme en cible sommairement, on risque de
conclure à une augmentation de la dispersion, car le point visé se trouve
excentré dans la périphérie du groupement. Pour se prononcer avec certitude, il
faut- recueillir la totalité de la charge de chaque coup, chercher les centres
et examiner la position du point moyen. En cas de défaut notable, il sera
facile de faire serrer le canon sur la bascule et de constater, après de
nouveaux essais, que la dispersion n'a pas varié.
II faut, d'autre part, des milliers de coups pour user d'une
manière appréciable l'intérieur des canons d'une arme de chasse ; si elle
est bien entretenue et n'est pas gravée intérieurement, la dispersion ne sera
pas modifiée par de longues années d'usage. Nous avons même observé certains chokes
ayant donné des groupements plus réguliers après le tir de quelques centaines
de cartouches, et les forages de ce genre ne peuvent être détériorés que pour
le tir de balles non appropriées.
En ce qui concerne les autres parties de l'arme, les
batteries et platines en particulier, on peut dire qu'un entretien intelligent
leur assure un bon usage d'un demi-siècle ; nous renvoyons nos lecteurs à
ce que nous avons expliqué, dans une précédente causerie, au sujet des détentes
trop dures ou trop douces et des inconvénients qui en découlent.
En conclusion, nous pouvons affirmer que le fusil bien
entretenu ne vieillit guère et peut, en cas de besoin, servir à plus d'une
génération de chasseurs. A l'honneur de l'arquebuserie française, on peut
ajouter que les armes du XIXe siècle ont été remplacées pour des raisons tenant
beaucoup plus au perfectionnement des nouveaux systèmes que pour des raisons de
mise hors d'usage.
Que pouvons-nous dire maintenant du chasseur ? Si la vieillesse
est chose variable et condamne les uns avant les autres, particulièrement ou
définitivement, à l'inaction, elle est malheureusement assortie de conséquences
inévitables. Nous n'insisterons pas sur les douleurs, la sensibilité accrue à
la température, qui sont de petits inconvénients comptant peu pour le vrai
chasseur. Nous connaissons tous des goutteux et des rhumatisants, soi-disant
cloués sur leur fauteuil, mais qui trouvent fort bien, à l'occasion, le moyen
do se servir d'un fusil ; autrefois, des vieillards sans jambes valables
ont chassé en voiture, voire sur un âne, et s'amusèrent ainsi pendant plusieurs
années.
Il faut bien le dire, le véritable vieillissement concerne
la perte du temps de tir ; il consiste dans l'altération de la perception
et des réflexes. La perception visuelle, beaucoup plus que la qualité de
l'image rétinienne, est diminuée, le jugement de la vitesse et de la distance
du gibier est moins sûr, l'exécution du pointage est moins rapide ; tous
ces défauts font perdre en premier lieu des occasions de tirer et, en outre,
sont la cause de pièces manquées, mais ils ne réduisent jamais à néant le
tableau du vieux chasseur, qui peut toujours trouver l'occasion de faire tomber
en bon style un certain nombre de pièces. A cette perte de forme, il n’y a
malheureusement guère de remède, à part une bonne hygiène et un sage ménagement
des forces disponibles. Le chasseur qui prend de l'âge doit donc consentir une certaine
baisse de son rendement et se consoler en songeant qu’il est encore fort
satisfaisant de tenir sa place sur le terrain et même à table :
l'utilisation des restes est un beau thème de méditation. Nous le recommandons
particulièrement à ceux qui seraient obstinément tentés d'attribuer à leur arme
tous les torts en l'affaire ; un peu de philosophie souriante remettra les
choses en juste place.
Nous ferons toutefois observer qu'il y a, pour un certain
nombre de sujets, quelque chose à gagner en diminuant le poids du fusil, donc
celui de la charge, par l'adoption d'un calibre inférieur. Tel chasseur, ayant
usé pendant cinquante ans d'un calibre 12, sera parfois étonné de passer de la
charge de 32 grammes à celle de 24 grammes de calibre 20 avec amélioration des
résultats d'ensemble. Certes, il faudra renoncer à certains coups de longueur,
mais la moyenne sera améliorée par toute la série des coups exécutés dans les
conditions où la vitesse d'exécution est le facteur prépondérant de la
réussite. Il est donc assez souvent recommandable d'essayer le remplacement
d'une arme encore en bon état, mais devenue trop lourde pour le chasseur, par
une autre plus légère.
Nous avons ainsi exposé ce que l'on peut noter concernant le
vieillissement comparé de l'arme et du tireur, et c'est à ce dernier à
rechercher ce qui convient le mieux à des moyens déclinants, mais avec lesquels
on peut encore réaliser beaucoup de choses. Il y a bien des années, Deyeux,
qui, en vers parfois médiocres, exprimait fort justement certaines vérités, a
écrit quelque part à peu près ça qui suit :
Fusil vieillit fort peu, mais chasseur davantage,
Bien associés pourtant feront fort bon usage.
Nous ne saurions mieux dire actuellement, et nous souhaitons
à tous nos confrères en saint Hubert de longues années de collaboration avec
leur arme favorite.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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