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Historique rapide du fusil

Ne fût-ce que par simple curiosité, il me semble intéressant de savoir à quelle époque les premières armes à feu furent utilisées pour la guerre, et plus tard pour la chasse.

Des documents précis font remonter cette époque au XVe siècle : exactement en 1414, où les Bourguignons, qui défendaient la ville d'Arras contre Chartes VI, employèrent pour la première fois des « canons à main ». Ce n'est que dans la deuxième moitié de ce même siècle que la « couleuvrine à main », lourde, grossière, informe, fut remplacée par l'arquebuse, plus facile à porter et plus maniable.

En 1472, les bourgeois de Beauvais, formés en corps francs d'arquebusiers, défendirent la ville contre les Bourguignons et, en 1477, les armes à feu des Suisses (des arquebuses, que Philippe de Commines appelle encore des couleuvrines à main) mirent en déroute, à la bataille de Nancy, les gens du duc de Bourgogne.

A ce moment seulement, l'idée vint de faire la guerre aux animaux au moyen de ces armes si efficaces contre les hommes, et ce malgré d'énormes imperfections et une maniabilité tout à fait relative.

L'arc et les flèches étaient, à cette époque, 1'« arme » par excellence ; est-ce à dire qu'ils furent détrônés par cette innovation ?

Pas du tout ! Et ceci pour deux raisons : nos ancêtres, d'abord, étaient loin d'avoir l'enthousiasme facile (ce qu'ils prouvèrent en maintes occasions), et, de plus; l'arc était à ce point leur arme favorite, son usage était tellement ancré dans les mœurs qu'il soutint pendant longtemps encore et  avec succès la comparaison avec l'arquebuse. Mais oui, avec succès ! ...

Cette affirmation pourrait paraître hasardée. Réfléchissons cependant ... Nos magnifiques fusils modernes, descendants ennoblis de l'arquebuse, pourraient un moment vous leurrer et rendre absurde l'idée d'une comparaison favorable à l'arc, et pourtant !

« Le présent fait juger partialement du passé, et on ne peut concevoir, en présence d'une destinée aussi prodigieuse, qu'il y ait eu jadis rivalité entre ces deux instruments. »

L'arquebuse cependant, avec ses imperfections, sa lourdeur, son manque de précision, son difficile maniement, ne put pendant longtemps soutenir la comparaison. Ce fut seulement en 1517 que François 1er promulgua un édit classant l'arquebuse parmi les engins de chasse.

Lors de l'entrevue célèbre du « Camp du drap d'or » en 1520, le roi d'Angleterre Henri VIII, grand archer, provoqua l'enthousiasme des meilleurs tireurs à l'arc français, en mettant toutes ses flèches dans le centre du but à une distance de 240 yards (218m,40).

Que pouvaient faire les arquebuses devant de tels résultats ! « Des documents puisés à une source dont l'authenticité ne fait pas de doute permettent d'affirmer que les flèches empennées pouvaient aller jusqu'à 525 mètres, et qu'à 350 mètres un archer habile atteignait fréquemment un écu d'argent ! »

Le roi Henri VIII, cité plus haut, décida que, dans son royaume, chacun de ses sujets serait tenu d'étudier le maniement de l'arc, et qu'il était interdit à tout homme de vingt-quatre ans de tirer dans un but placé à moins de 200 mètres avec une flèche garnie de plumes, et 125 mètres avec une flèche de faisceau. Sans commentaires !

Une troupe d'archers, en 1550, tira à une portée de 350 mètres sur un panneau de chêne de 25 millimètres d'épaisseur. Ce panneau fut transpercé, et les flèches allèrent se ficher dans une butte de terre aménagée derrière la cible.

Un bon archer arrivait à tirer une flèche toutes les cinq secondes, alors qu'une arquebuse ne pouvait se recharger qu'en cinq minutes.

Cependant les armes à feu se modifièrent : certains aménagements y furent apportés qui les rendirent plus maniables, et, insensiblement, l'espèce de discrédit qui les avait frappées disparut.

L'allégement vint d'abord, et les inventeurs s'attachèrent ensuite à modifier la mise à feu, jusque là si défectueuse. A la platine à mèche succéda la platine à rouet, inventée à Nuremberg en 1515. « Ce rouet était formé par une roue rainée et dentelée installée à la place du chien actuel. Cette roue, actionnée par un ressort à déclic, produisait par son frottement rapide sur un silex des étincelles qui amenaient l'inflammation de la poudre. »

Et nous voici en 1630. L'invention de la platine à Miquelet ou à silex amène une révolution qui généralise l'emploi des armes à feu. Le « focile », c'est-à-dire le caillou et la pièce d'acier dont on se sert pour tirer l'étincelle, donna son nom à l'arme qui devint, avec un léger changement, le « fusil ».

L'arc succomba à cette invention, et sa dernière apparition date de 1627, lors de l'attaque par les Anglais de l'île de Ré.

Les Italiens ayant inventé la grenaille en 1585, la balance avait aussitôt penché en faveur du fusil à silex, et les chasseurs, malgré son maniement encore assez incommode, l'adoptèrent définitivement. Le fusil avait chassé l'arquebuse.

En 1740, Leclère, de Paris, en établit le type. Jusqu'à ce moment, les fusils comportaient un seul canon, au deux canons superposés pivotant de bas en haut, le canon inférieur devenant le canon supérieur, le premier coup ayant été tiré.

Deux canons furent soudés côte à côte. Il y eut deux mécanismes distincts. Mais cette arme, la meilleure de l’époque, avait cependant des ratés, des longs feux qui la rendaient encore bien imparfaite. Il se produisait des crachements, et la poudre, projetée dans les yeux du tireur, empêchait celui-ci de tirer vent debout.

Enfin, en 1787, nous en arrivons à la découverte des fulminates par Berthollet. Howard, en 1800, songe à utiliser ce nouveau produit. Une petite quantité de fulminate, enfermée entre deux lamelles de papier, frappée par le chien, détonait et « boutait » le feu à la charge. Il exista plusieurs systèmes d'inflammation, mais le principe demeura le même.

La capsule de fulminate métallique fut ramenée d'Angleterre par Deloubet et appliqués aux armes de chasse vers 1820.

Il convient de signaler que, bien avant cette époque, il existait des fusils se chargeant par la culasse, et les « amusettes » du maréchal de Saxe et de Louis XV avaient utilisé ce système. Elles se fermaient au moyen d'une vis que Carnot, sous la Révolution, remplaça par un clapet.

En 1836, Lefaucheux inventa l'arme qui porte son nom. Cet excellent fusil triompha magnifiquement et, encore de nos jours, certains « fusillots » impénitents utilisent un Lefaucheux qu'ils ne délaisseraient pour rien au monde. Ce fut le fusil type, le fusil qui a servi de base à tous les fusils modernes se chargeant par la culasse. Le Lefaucheux lui-même subit d'ailleurs certaines modifications, et, si les premiers modèles comportaient une crosse glissant en arrière pour dégager les chambres, les plus modernes virent leurs canons sectionnés et basculer d'un quart de cercle.

Aujourd'hui nous demeurons béats d'admiration devant les merveilles qu'exposent nos armuriers. Est-ce à dire que le tir, avec ces armes de chasse dernier cri, est plus efficace, plus facile qu'avec nos bonnes armes d'il y a — mettons trente ou quarante ans ? Je ne le crois pas. L'avantage consiste surtout en un allégement très sensible, une maniabilité idéale, une sécurité parfaite. N'empêche que les canons de Greener ou de Léopold Bernard, un fusil de Paris ou un Purdey étaient et sont encore de bien belles armes, et leur groupement, leur portée ne laissent rien à désirer.

En nous plaçant sur le plan strictement cynégétique, il faut souhaiter, certes, des progrès, constants (bien que la perfection paraisse avoir été atteinte), mais il faut souhaiter surtout que la portée ne varie pas et qu'un coup de fusil meurtrier soit toujours aussi difficile à tirer. Si ces deux facteurs subissaient jamais une amélioration quelconque, nous devrions considérer la chasse comme définitivement et irrémédiablement perdue, notre rare gibier ne pouvant pas résister à une augmentation de l'efficacité des armes de chasse.

P. BOURREL.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 130