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Tribune libre

Réorganisation de la chasse

Tout le monde de la chasse se préoccupe de la disparition du perdreau en France et cherche les moyens d'y remédier. A vrai dire, il existe des causes générales, communes à tout le territoire national, et des causes particulières à chaque région, ce qui ne facilite pas le choix des moyens destinés à rétablir la situation. Je crois pouvoir vous signaler un moyen qui, s'il était appliqué, serait extrêmement efficace dans nos provinces de l'Ouest.

Je chasse depuis plus de vingt-cinq ans sur un même coin de bocage angevin (fréquenté à la fois par la perdrix rouge et par la perdrix grise), très morcelé et coupé de haies larges, pourvues de fossés profonds. Avant guerre, mon tableau de chasse annuel variait entre 100 et 200 perdrix selon les années, et, dans une année moyenne, je pouvais compter sur un tableau de 120 perdrix environ comprenant, grosso modo, de 30 à 40 rouges, de 80 à 90 grises et quelques roquettes. Depuis la libération, mon tableau annuel moyen est tombé à environ 50 perdrix se répartissant comme suit : 45 rouges, 5 grises, roquettes néant. Il résulte de ces chiffres que le cheptel de rouges s'est augmenté par rapport à l'avant-guerre, que le cheptel de grises a fondu dans d'énormes proportions et que les roquettes ont disparu.

Les causes générales de la disparition de la perdrix grise sont bien connues : abandon de la culture des céréales au profit des herbages (qui, dans notre région, donnent moins de mal aux cultivateurs et rapportent davantage), destruction massive des couvées de grises lors du fauchage des foins, des luzernes, des vesces (les vesces surtout, où les perdrix adorent nicher), les épidémies, les braconniers, les chiens errants, les chats harets, les nuisibles, etc ... Pour notre bocage angevin s'ajoute une cause supplémentaire, la plus terrible ; la chasse de nuit à la lanterne.

Les causes qui font que les perdrix rouges résistent mieux que les grises à la destruction sont également bien connues : moins d'épidémies, nidification fréquente dans les haies et taillis (ce qui évite, pour les rouges, les grosses destructions dues aux fauchaisons et aux moissons), etc ... Pour notre bocage angevin, j'ajoute une explication supplémentaire de la meilleure défense de la perdrix rouge : comme il arrive fréquemment que les compagnies de rouges couchent sur le dos des fossés des haies, elle redoutent moins que les grises le coup de fusil (ou de filet) du braconnier qui chasse, la nuit, à la lanterne.

Mes tableaux en perdrix, avant et depuis la dernière guerre, ont toujours été faits aux mêmes époques : en septembre et en octobre. La Toussaint passée, il est très rare, dans mon coin de bocage angevin, qu'un chasseur tue une perdrix. Par coup de chance, il arrive toutefois qu'une perdrix se laisse surprendre dans un champ de choux fourragers ou dans une haie, mais cela est vraiment très rare. On peut dire que la chasse à la perdrix est terminée à la Toussaint dans le bocage angevin, car le terrain ne se prête pas au rabat. A la Toussaint, il existe encore un assez grand nombre de perdrix, mais elles sont devenues inabordables. Les chasseurs n'en tuent plus — ou presque — et, pourtant, dès le mois de décembre on n'en voit plus que quelques-unes. Cette année, j'ai voulu laisser intacte une compagnie de 16 grises, que je levais plusieurs fois à chaque partie de chasse, mais que je ne tirais pas pour les garder comme « graine ». A la Toussaint, la compagnie avait toujours ses 16 membres. Le 20 novembre, il ne restait plus que 3 perdrix dans ma belle compagnie. Qu'étaient devenues les autres ? Oh ! c'est bien simple, il n'a fallu qu'un coup de fusil tiré, une nuit, à la lanterne. Et c'est là que je veux en venir.

Le bocage angevin, avec son morcellement et ses haies, ne se prête pas au panneautage à grande échelle, aussi ce genre de braconnage y est-il exceptionnel. Par contre, une fois les semailles d'automne terminées, beaucoup d'ouvriers agricoles pratiquent la chasse de nuit à la lanterne et, en quelques semaines, détruisent en quelques coups de fusil les trois quarts des perdrix rescapées depuis l'ouverture. La répression de ce genre de braconnage est, de toute évidence, extrêmement difficile. Pour se rendre compte des difficultés, il suffit de se mettre, par la pensée, à la place des gardes des fédérations, des gardes privés et des gendarmes qui, circulant sur les routes ou chemins vicinaux, voient au loin les lumières des braconniers dont ils sont séparés souvent par des kilomètres de terres défoncées, de « chemins creux » inondés, de ruisseaux débordants et, par quantité, de nos fameux fossés remplis d'eau du fait des pluies d'automne. De plus, les braconniers, surtout à cette petite échelle du braconnage quasi individuel — ils « travaillent » au maximum à 2 ou 3 personnes — ne tentent que des coups repérés et étudiés à l'avance ; ils savent dans quel champ, dans quel sillon s'est couchée la compagnie de perdrix qu'ils veulent détruire. Ils s'y rendent directement : un coup de lumière, un coup de fusil et tout est terminé. A la première alerte, ils éteignent la lumière et les gardes et les gendarmes — malgré leur zèle — peuvent toujours chercher ... Ajoutez à cela que si, par hasard, un braconnier de nuit est appréhendé, les tribunaux se montrent d'une surprenante indulgence. D'ailleurs, aussitôt lâché, le braconnier se remet à l'ouvrage et paie sa contravention et ses frais avec les gains de sa première nuit de lanterne. L'expérience démontre donc que gardes et gendarmes, malgré leurs efforts et leur sens du devoir, sont inefficaces dans leur lutte contre ce « braconnage artisanal » de nuit. Doit-on en conclure qu'il n'y a pas de remède ? Certainement pas. Il existe un remède et il est très simple. Ce braconnier artisanal de nuit ne braconne pas pour son plaisir, mais uniquement pour gagner de l'argent. Les perdrix tuées la nuit ne sont pas consommées sur place, mais vendues à des marchands de volailles qui les expédient sur les grands centres. Il suffirai donc, pour supprimer totalement ce genre de braconnage, de fermer la chasse à la perdrix le 15 octobre ou le 1er novembre et d'en interdire la vente. Mais, pour quelle soit efficace, il faudrait — et c'est indispensable — que cette mesure soit générale et s'applique à tout le territoire métropolitain. Tous les honnêtes chasseurs angevins sont prêts — J'en sais certain — à accepter une fermeture de la chasse à la perdrix à la Toussaint ou, mieux, au 15 octobre, mais j'imagine que, dans d'autres contrées où le braconnage artisanal à la lanterne ne sévit pas, il y aurait des protestations, surtout de la part des tireurs en battues. J'en reviens donc à la question traitée dans le premier alinéa de la présente lettre : la diversité des causes variant d'une province française à l'autre complique terriblement le choix des moyens efficaces. Notez que, bien que citant seulement le cas du bocage angevin, j'ai idée que le remède que je propose (fermeture générale de la chasse à la perdrix et de la vente de la perdrix au 1er novembre ou, mieux, au 15 octobre) produirait les plus heureux effets non seulement en Anjou, mais au moins dans une vingtaine de départements de l'Ouest, entre Bordeaux et la Bretagne incluse.

Bien entendu, il est indispensable également de mettre fin à l'usage de certains produits soporifiques ou autres, faute de quoi les braconniers n'auront bientôt plus besoin de se lever la nuit ni de tirer un coup de fusil pour ramasser quantité de perdrix en plein jour.

Tous les autres procédés généraux recommandés pour lutter contre la disparition de la perdrix en France sont valables et recommandables pour notre coin. La lutte contre les nuisibles, les chiens errants et les chats harets, le ramassage des œufs découverts par les faucheuses, l'élevage et le lâchage des petits et tous autres moyens dits et redits dans toutes les associations de chasseurs sont excellents et valables dans le bocage angevin comme ailleurs. Mais j’insiste sur ce point : j'ai la ferme conviction que les chasses de perdrix dans nos provinces de l'Ouest pourraient être reconstituées en deux ou trois ans sans aucun frais et sans limiter les jours de chasse, simplement si la chasse et la vente de la perdrix — rouge et grise — étaient interdites le 1er novembre ou, mieux, le 15 octobre de chaque année sur tout le territoire national.

Arséniates. — je n'ai pas fait mention ci-dessus des arséniates et c'est volontairement. Tous les chasseurs savent :

— que les services officiels du ministère de l'Agriculture affirment que l'usage des arséniates ne peut être une cause de destruction du gibier en général et de la perdrix en particulier ;

— mais que le Centre de phytopharmacie, 4, avenue de l'Observatoire à Paris, a conclu nettement que des perdreaux (dont les cadavres lui avaient été envoyés pour autopsie) avaient été intoxiqués par l’arséniate de plomb. Le procès-verbal de ce rapport a d'ailleurs été transmis au Conseil supérieur de la chasse.

Je n'ai pas la prétention d'être plus compétent que ces doctes organismes, mais, du fait de leurs opinions divergentes, je prends la liberté de dire que certains faits, constatés par moi, me font penser que l'emploi des arséniates peut être la cause de destructions importantes, surtout de tout jeunes perdreaux. Or il existe, paraît-il, d'autres produits contre les doryphores, d'une application aussi simple que les arséniates, pas plus onéreux et aussi efficaces qu'eux et sans danger pour le gibier. Pourquoi alors ne pas interdire l'usage des arséniates pour le traitement des pommes de terre ?

Un abonné angevin.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 141