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Le basset droit

Dans le Chasseur Français du mois de novembre dernier, j'ai lu avec grand plaisir l'argumentation scientifique et réaliste du docteur vétérinaire Hérout, en faveur du basset à pattes droites. Je suis entièrement de son avis et je le félicite de n'avoir pas peur de « rabâcher », comme il dit. Il y a des vérités qu’i1faut répéter et répéter toujours, avant qu'elles ne triomphent des boniments.

Il constate que seuls parmi les bassets de tous les pays deux bassets français sont à pattes déviées, torses ou demi-torses : le basset bleu de Gascogne et le basset artésien-normand. C'est une exclusivité dont il n'y a pas à se glorifier ; c'est aussi ridicule que déplorable.

Encore faut-il remarquer que les rédacteurs du standard du bleu de Gascogne se sont montrés infiniment plus éclectiques, plus perspicaces et plus chasseurs que ceux de l'artésien-normand. Le standard du bleu admet, en effet, les membres antérieurs droits.

Si j'en juge par les quelques lettres que j’ai échangées avec M. de Carville et M. Mathias, qui me semblent bien être les plus importants éleveurs de cette race, j'ai l’impression que l'un et l'autre, en vrais chasseurs, orientent leur sélection vers un type droit et leste.

Dans tous les cas, M. Mathias m'a présente à la canine de Niort une très jolie bassette, légère, distinguée, très typée, avec une jolie oreille sans excès de longueur et des pattes à peu près droites.

De son coté, M. de Carville m'a envoyé une photographie d'un étalon, tout à fait du même modèle, bien gascon, sans lourdeur, et des pattes à peu près droites. Ils représentent, à mon avis, l'idéal du basset bien français, peu encombrant et agile, réclamé par une immense majorité de petits chasseurs.

Comment se fait-il qu'il n’y ait qu'en France que l'on ait cultivé avec amour de telles difformités ? Question de mode ancienne qui a subsisté. Peut-être ! Mais en France on se paie d'idéologie souvent fausse.

Et puis dans beaucoup de pays, spécialement en Angleterre, où l'élevage a atteint un haut degré de perfection, on apprécie et on utilise les compétences.

En France, dans tous les domaines, l'incompétence est souvent maîtresse de nos destinées.

Il serait bien extraordinaire qu'il y eût exception dans le monde canin, en général, et dans le monde basset en particulier.

Chez nous il y a des malins, parfaitement ignorants, mais très présomptueux, très ambitieux; et très intrigants, qui réussissent à se faire prendre au sérieux et à se faufiler partout parmi les dirigeants de groupements canins. Pendant qu'ils sont en si bon chemin, pourquoi ne feraient-ils pas bénéficier la Centrale elle-même de leurs lumières ?

Comme tous ceux dont l'instruction, l'éducation et les capacités intellectuelles sont rudimentaires, ils sont autoritaires et intransigeants.

N'ayant rien appris, ils sont convaincus que le ciel les a dotés de la science infuse, et, par leur ténacité et leur assurance, ils en imposent à de vrais connaisseurs, plus modestes et plus timorés, et jouent un rôle néfaste.

Le Dr Hérout a parfaitement réduit à néant le fameux mythe de la nécessité des membres tors ou demi-tors chez les bassets.

A quelque point de vue que l'on se place : scientifique, expérimental, utilitaire, esthétique ou sentimental, la torsion est condamnable.

Je me garderai bien d'ajouter quoi que ce soit, en ce qui concerne le côté scientifique et les constatations réalistes, à ce qu'a dit fort justement l'homme de l’art expérimenté qu'est le Dr Hérout.

Au point de vue utilitaire, il n'est pas une personne de bon sens et de bonne foi qui puisse admettre qu'on choisisse des animaux de travail parmi les impotents et les infirmes. Tous ceux qui ont étudié la question cheval on la question chien savent bien que les bons aplombs, les bons pieds, les membres secs et les tissus fins et denses sont des qualité essentielles.

Pour les bassets, les plis de peau, c'est-à-dire les tissus lâches (indice certain de lymphatisme), seraient une qualité !

Seraient encore des qualités les aplombs défectueux et les pieds qui ne portent que sur deux coussinets plantaires !

La nature a doté le chien de quatre coussinets à chaque pied. Mais les inventeurs du basset français tors ont décidé qu'il était préférable qu'il ne se serve que de deux doigts sur quatre !

Cela prouve une fameuse connaissance de l'anatomie canine !

Le Dr Hérout conclut à ce sujet : « La marche est rendue très pénible. »

Même les chiens à qui on ne demande qu'une allure ralentie ont besoin de se mouvoir sans trop de peine, car 1e métier de chien courant est un rude travail, qui exige une belle résistance.

Si l'allure de tels chiens est pénible, la tâche de vrais juges de chiens courants est également très pénible lorsqu'ils ont à juger ces bassets rampants. Je me rappelle tout spécialement une exposition canine de Poitiers, bien avant la guerre. Dans la classe ouverte mâles des bassets artésiens normands, il y avait un beau chien, un peu grand, avec des pattes droites, très bien fait de partout, et en vrai chien de chasse. Esclave du standard, j'ai dû le reléguer parmi les mentions, alors que les prix allaient à des chiens difformes. Devant de tels classements, j'ai l'impression que les non-initiés aux mystères des malformations exigées par le standard doivent penser : « Le juge est complètement cinglé. »

Au point de vue esthétique, aucune discussion n'est possible. Lorsqu'on voit un basset tors qui se dandine avec toute la grâce et l'élégance dans les allures d'un crocodile il faut connaître le standard pour trouver que cet animal est beau ! En toute sincérité, il est parfaitement laid.

Au point de vue sentimental, tous ceux qui aiment le chien et qui le considèrent comme un ami ont pitié d'un tel animal, ainsi déformé par la perversion, l'originalité ou la malignité des hommes. Pitié surtout à la pensée qu'on l’a produit infirme pour lui imposer un travail au-dessus de ses forces.

Les bassets sont surtout destinés à la chasse au lapin, c'est-à-dire le plus souvent au milieu des fourrés épais. Alors, voilà un pauvre animal qui se meut déjà difficilement en terrain plat, de par sa lourdeur, de par sa longueur, de part ses pattes courtes et tordues ! Cela ne suffit pas à ses créateurs. Ils lui veulent, en outre, de très longues oreilles, qui| se prennent dans ses petites pattes et qui s'accrochent dans les ronces et les épines !

En même temps qu'un travail trop pénible, on lui impose la douleur des déchirures. Je m’étonne même que la Société protectrice ne s'émeuve pas de cet état de chose.

On poursuit et on punit ceux qui, dans un mouvement de rage excessive, maltraitent les animaux. Bien plus inhumains et bien plus cruels sont ceux qui, de sang-froid et avec préméditation, préparent des martyrs !

Le Dr Hérout termine en disant : « J'aurais plaisir à voir les clubs de bassets s'intéresser à cette importante question capitale pour les utilisateurs. »

II est certain qu'elle est capitale pour les utilisateurs. La meilleure preuve, absolument indiscutable, c'est la vogue des bassets droits de Vendée et des nains droits : les beagles. C'est tout naturel ; les chasseurs qui veulent chasser veulent des chiens qui marchent et qui soient aptes à lancer et à poursuivre un animal.

Il est moins sûr que l'appel du Dr Hérout soit ententu par le club du basset artésien-normand. J'ai conté et commenté ici même l'autorité et l'intransigeance totales avec lesquelles le président de ce club s'était opposé à la résurrection officielle du basset à prédominance artésienne et droit, en faisant réponse à la demande adressée par un certain nombre d’amateurs de bassets réclamant un chien « moins rampant et moins infirme et plus apte à chasser sérieusement tout gibier ».

Ce sont les termes mêmes de la requête, qui évidemment n'était pas tendre pour le basset artésien-normand.

Qu’une minorité ayant des conceptions très spéciales sur ce qu’est la chasse aux chiens courants, tienne à cultiver un chien qui ne marche que lentement et péniblement sur deux doigts de pied, c'est son droit. Mais qu’elle empêche l'immense majorité ayant une conception différente d'avoir officiellement un chien qui ne soit pas infirme et qui marche, c'est invraisemblable !

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 146