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La revanche du choupille

Qu'était donc ce personnage maintenant rayé de la liste de nos chiens de chasse ? A dire vrai, il n'appartenait pas à une race définie. Ce nom désignait plutôt un chien caractérisé par un certain comportement. Toutefois, c'était presque toujours un épagneul de taille réduite, entre 0m,45 et 0m,50, plus ou moins pur ou croisé on ne sait de quoi. Cela fouillait les plus mauvaises brousses à proximité du chasseur, bourrait et faisait voler ou bondir du gîte : en somme, les mœurs des spaniels, que les Anglais ont su codifier et dont la clientèle s'étend sur tous les continents.

Lorsque, chez nous, l'élevage du chien d'arrêt produit avec un semblant de méthode commença à être pratiqué, il semble qu'on ait eu honte de l'humble auxiliaire si longtemps en faveur. Il y a plus de soixante ans, étant alors enfant, je voyais un vieux sportman de l'ancienne école qu'accompagnait invariablement une paire de chiens, dont l'un était un choupille. Il y tenait beaucoup pour explorer talus, fossés et ronciers, comme il en est tant dans la région. Au retour de la première guerre, j'eus l'occasion d'en découvrir un qui mettait trop de zèle, dans une maison où nul ne chassait, à s'intéresser aux lièvres et lapins, qu'il rapportait d'ailleurs fidèlement au logis. Je lui trouvai amateur en lointains parages, amateur qui en fut enthousiasmé, tant il lui fit tuer de lièvres dans les trous d'obus de la zone rouge.

En vérité, ces épagneuls demeurés psychologiquement au stade du chien surpreneur, du fait de croisements chez nous et d'une sélection suivie en Grande-Bretagne, peuvent être très meurtriers. Au nombre de ces spaniels, deux présentent le comportement de notre défunt choupille : ce sont les deux springers et le cocker, de loin les plus connus, en vertu de leur dynamisme. Or voilà que le springer, dont le plus répandu est l'anglais, quoique celui du pays de Galles soit aussi plein de qualité, est en train de concurrencer le chien d'arrêt, le cocker conservant ses dévots, qui, malheureusement, ne sont pas tous chasseurs.

D'après les renseignements reçus, la faveur croissante du springer en sa patrie serait un peu le fait de la situation économique. Les difficultés de ravitaillement ont beaucoup pesé sur la prospérité des élevages, réduisant sensiblement les effectifs de ces importants chenils de chiens d'arrêt dont le nombre des têtes égalait celui des équipages de hounds, eux-mêmes assez atteints.

Chez nous, ces grands élevages de chiens d'arrêt appartenant à d'autres personnes qu'à des professionnels sont très rares, et pourtant voit-on nombre de chasseurs amateurs abandonner le chien d'arrêt pour le cocker ou le springer, la vogue récente de ce dernier allant en s'accentuant. Il faut donc chercher explication aux causes de cet état de fait. Eh bien ! la cause principale, et peut-être unique, de ce revirement d'opinion vient de la sauvagine croissante de la perdrix, tant grise que rouge, qui ne se laisse plus arrêter, même dans les régions pourvues de couverts. Au lieu de se raser comme jadis devant le danger, elle s'est mise à pratiquer le système de défense par la vue adopté depuis longtemps par la perdrix des grandes plaines à céréales. Les lamentations s'élèvent de toutes parts. Qu'on en soit à ce point, il n'y a pas à en être surpris. Dans telle commune où l'on prenait autrefois cinq permis, il y en a maintenant cinquante. Ne chasserait-on que trois fois la semaine ou même deux, il est facile de comprendre que la perdrix, dérangée constamment, ne cesse d'être sur l'œil, s'envolant hors de portée. Les refuges ultimes, quand il y en a, sont les haies, les vignes, les buissons, et plus incertains les champs de pommes de terre et de fourrages. Il y a encore les grands choux dans l'Ouest et les cultures d'artichauts. Lorsqu'il s'agit de sortir un gibier de ces couverts, surtout les plus rébarbatifs, c'est travail de spaniels s'affairant à petite portée, pointant et bourrant. Dans les régions nues comme la main, il y a longtemps qu'on s'est fait une philosophie. Un jour que j'assistais à un trial d'été où rien ne tenait, je demandai à un indigène comment on pouvait tuer un perdreau à l'ouverture. Sa réponse fut qu'on pratiquait la battue dès le premier temps de la saison. Donc, là, rien de nouveau ; mais on comprendra la surprise des chasseurs habitués à fréquenter perdrix ayant conservé jusqu'à ce jour leurs mœurs d'antan. Eux aussi, pourtant, doivent se faire une philosophie ; il y a quelque chose de changé, du fait de l'humanité incapable de modérer ses appétits et parfaitement indifférente à la perpétuation des espèces sauvages. Il ne faut pas se dissimuler, en effet, que des méthodes radicalement nouvelles de la chasse à la perdrix (tant qu'il en restera) s'imposant, il y ait là un rude coup porté à la prospérité de certaines races de chien d'arrêt, et plus ou moins aux autres. Ce sont celles qui produisent le chien de taille moyenne ou un peu au-dessous, allant volontiers aux couverts, protégé, en conséquence, par la vêture appropriée, dont on peut escompter le succès.

Mais, comme on chassera toujours la bécassine au chien d'arrêt et même la bécasse, les chiens d'entreprise et de haut nez, arrêtant ferme, s'imposeront pour ces port. On remarquera qu'ils sont partout exigés par le tueur de bécassines et même de bécasses. Dans une région particulièrement favorisée de la présence de celle-ci, personne ne songe à la chasser avec des spaniels. Les quelques essais tentés avec les cockers ne se sont pas révélés d'un rendement tel qu'il ait semblé devoir les adopter.

Restent les springers, chiens de 0m,50 environ, l'Anglais comme le Gallois, vifs et costauds, sans doute battant plus de terrain. Le physique du Gallois rappelle beaucoup celui de l'épagneul breton, son parent. C'est devant les événements, disons-le en passant, qu'il importe de rappeler aux intéressés l'importance qu'il y a à maintenir chez l'épagneul breton ce qu'il a de psychologiquement springer dans son comportement. En Grande-Bretagne même, le welsh springer est rare, et sans doute n'en reste-t-il plus en France. Il fait donc songer à son concurrent.

L'english springer est un chien doublé et fortement membré, de 0m,50, portant la plupart du temps la livrée de l'épagneul français, auquel il a été probablement allié dans un lointain passé. On dirait assez, à l'examiner, qu'il représente une condensation de notre épagneul national. Il en a la belle figure bien encadrée, l'ensemble céphalique et l'aimable caractère, mais un influx nerveux plus accusé. Il pointe l'arrêt et sans doute serait-il aisé à confirmer dans cette pose à un degré plus accentué. On y a bien dressé des fox-terriers. Quelques amateurs, qui en sont munis, m'ont écrit en être très satisfaits. Ce sont des broussailleurs émérites, rapportant très bien les runners et les oiseaux en eau profonde. Les mêmes m'ont vanté la qualité de leur nez. Élevé en sa patrie, uniquement en vue de la chasse, en dehors de toute influence de la mode, il est peu surprenant qu'il ait largement profité de cette sélection utilitaire. Ces dernières années, des professionnels ayant longtemps vécu dans l'intimité de chiens de grand style ont exprimé leur surprise, dans les colonnes des périodiques cynégétiques, devant l'efficacité du travail des springers.

Personnellement, je n'ai aucun intérêt à exposer ce qui me semble simplement l'expression de la vérité. La vérité qui vient soudain bousculer certaines façons de penser est toujours offensante. Il faut pourtant bien la faire connaître, ne serait-ce que pour renseigner les esprits prévoyants sur les mesures à prendre.

Je suis de ceux qui envisagent avec peine cette extension du nouveau comportement de la perdrix en des régions où ses mœurs étaient autres. La chasse classique au chien d'arrêt comporte de la part du sportman la connaissance des habitudes du gibier et de l’art de la conduite de leur auxiliaire, outre les talents du tireur. C'est un sport qui a passionné justement bien des générations. Le voir prendre autre figure, avec moins d'allure, même en admettant efficacité égale de rendement, ne peut qu'attrister ceux qui l'ont connu dans sa splendeur durant de longues années. Mais l'histoire est un éternel recommencement ; les événements tournent en rond, généralement par notre faute. Si nous assistons à la revanche de choupille (mettons, de luxe, si vous voulez), ce n'en est pas moins un retour sur le contre. Du haut du paradis de saint Hubert, nos arrière-grands-pères doivent sourire en voyant le renouveau de faveur du compagnon de leur jeunesse, un temps oublié.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 145