A la suite de la causerie sur le black-bass parue ici sous
la signature de notre distingué confrère Delaprade, plusieurs pêcheurs m'ont
demandé de consacrer quelques pages à la partie pratique de la pêche de cet
excellent poisson.
Toute la vallée du Rhône a fait, cette année, connaissance :avec
le black, et les dernières crues du grand fleuve ont littéralement peuplé
toutes les parties calmes : lônes, délaisses, mares, etc., en
communication avec lui.
Il y eut des surprises réellement heureuses, d'abord pour
les pêcheurs au lancer, puis pour tous les trempeurs de fil.
J'ai vu prendre cinq beaux poissons de suite par un gamin de
douze ans qui péchait au ver rouge.
C'est dire que tous peuvent espérer de belles captures avec
un matériel ad hoc. Nul besoin qu'il soit digne d'un nabab, pourvu qu'il
réunisse quelques conditions essentielles que nous passerons en revue au cours
de cette causerie.
Disons d'abord que tous les leurres, artificiels ou
naturels, tous les insectes, tous les vers sont utilisables, présentés, et
manœuvrés différemment, c'est certain.
Le black-bass (la perche noire) est, comme notre perche commune,
attiré surtout par le mouvement. A première vue, il semble bien que les leurres
de lancer soient les meilleurs, puisque la récupération les fait vivre.
D'ailleurs, dès son apparition dans nos eaux, le black-bass
se capturait exclusivement à la petite cuiller, agrémentée ou non du pompon
rouge.
La perche noire et la perche commune se prenaient avec le
même leurre.
Puis le devon connut aussi le succès ; enfin, lorsqu'on
s'aperçut que ces deux leurres étaient dédaignés certains jours, le poisson
nageur entra en lice.
Ce fut vraiment du sport ; on eût dit que le black-bass
était comme fasciné et attiré irrésistiblement par le nouveau venu, qui fut
sacré roi de la fête.
Tous les modèles de nageurs sillonnèrent les eaux, et
certaines lônes du Rhône connurent une vogue méritée.
J'ai dénombré vingt et un lanceurs, en aval de Lyon, sur un
kilomètre de rive.
Et tous prenaient des blacks ; il semblait qu'ils
fussent du même frai, car ils pesaient tous à peu près entre 400 et 500 grammes ;
les spécimens de 600 étaient rares, mais non absents. J'en ai pris un de 800
grammes.
La large gueule de notre vorace lui permettait de s'attaquer
à de fortes proies ; il y avait tout avantage à lui présenter des appâts
assez volumineux, armés solidement ; peu de décrochages se produisaient.
Puis, soudain, plus de captures avec des appâts métalliques
ou en bois ; on eut beau essayer les leurres américains les plus
fantaisistes, en pensant que l'atavisme jouerait un rôle plus attractif encore
que les réflexes actuels, il n'en fut rien.
Il fallut remiser toute notre ferblanterie.
On essaya le vif et le succès revint ; projeté au loin
à l'aide du tambour fixe, en plein dans les éclaircies de végétation, les touches
redevinrent fréquentes, les captures nombreuses et, de nouveau, arrêt presque
brutal de toute attaque.
L'appât fut déplacé par quelques coups de manivelle, ce qui
améliora un peu le rendement.
Enfin, on essaya le gros ver de terre, qui fut utilisé de
deux façons différentes : à la pose ou en mouvement.
1° A la pose : Projeté au loin par un gros
flotteur lesté et maintenu entre deux eaux, le gros ver bien vivant se
tortillait et battait le rappel. Si, au bout de quelques minutes, aucune
attaque ne se produisait, quelques tours de manivelle ramenaient le flotteur,
faisaient remonter le ver, qui retombait dès l'arrêt de la récupération.
L'attaque avait souvent lieu à ce moment. Et, petit à petit,
l'accoutumance se fit et on ne prit presque plus rien.
2 En mouvement : Nous changeâmes de
méthode : supprimant le flotteur, nous plombâmes le gros ver à 60
centimètres en avant et, d'un coup de lancer, le fîmes plonger à 25 ou 30
mètres. Le temps de le laisser s'enfoncer, il fut récupéré par à-coups, comme
une cuiller, et sans arrêt prolongé.
La chance revint et les blacks aussi.
L'expérience, cette année, s'arrêta là, mais j'ajoute :
tout ceci s'applique aux voraces immigrés cette année dans la région, car,
depuis longtemps déjà, le black peuple des étangs privés, et nombre d'entre
nous le connaissaient déjà. J'écris donc pour des novices.
Quoi qu'il en soit, la nouvelle recrue semble se plaire ici,
dans les endroits calmes seulement, et ces derniers jours, où la crue fut
violente, les professionnels du filet ont fait des hécatombes de blacks-bass.
Souhaitons donc qu'il veuille bien devenir un de nos
poissons sédentaires,
Tant pis — ou tant mieux — s'il creuse des vides parmi les
porteurs d'arêtes, depuis l'infect hotu jusqu'à la désagréable perche-soleil.
La chair détestable de ces parasites deviendra excellente
lorsqu'elle se sera incorporée dans l'embonpoint de notre perche noire, et il
me semble qu'un black d'une livre vaut bien le paquet d'arêtes appelé hotu.
Je vais terminer par un conseil aux pêcheurs déjà avertis,
connaissant bien leur affaire.
Si vous avez la chance, en été, de repérer un banc de
blacks, ou même quelques individus isolés, en surface, envoyez-leur une mouche
artificielle flottante, assez volumineuse, bien graissée, rouge ou noire ;
vous aurez l'occasion d'une belle bagarre, avec sauts en hauteur,
retournements, vrillages en l'air qui laisseraient désarmé tout néophyte.
Mais vous, pêcheurs de truites, vous connaissez votre
affaire et saurez sortir vainqueurs de la lutte.
Le black, n'étant pas seulement un poisson de surface,
évolue souvent entre deux eaux ; la grosse mouche à saumon (nos
5, 6, 7), noyée, récupérée par saccades, est un très bon leurre.
Donc, puisque le black a des goûts éclectiques, que tous les
trempeurs de fil peuvent espérer sa capture, il ne me reste qu'à souhaiter
bonne chance à tous les confrères en leur demandant de me faire connaître leurs
succès ou leurs déboires … s'ils en ont.
Marcel LAPOURRÉ,
Délégué du Fishing-Club de France.
|