Transport du poisson vivant

Outre le transport dans l'eau, le poisson peut être transporté à sec.

Le transport à sec ne s'applique que pour certaines espèces et à de courtes distances. Il est bien évident que les poissons à écailles fragiles, tels que le gardon, ou bien les carnassiers, tels que le brochet, le black-bass et surtout la perche, ne peuvent supporter à sec un trajet supérieur à une demi-heure ou une heure. Ce sont surtout les poissons à mucus épais, tels que la carpe et la tanche, qui peuvent être transportés dans ces conditions. Les précautions à prendre sont évidemment d'éviter les coups de soleil et la dessiccation.

On transportera les alevins de carpe et de tanche dans des caissettes empilées les unes sur les autres ; on évitera de mettre plus d'une couche de poissons par caissette ; on arrosera le tout avant le départ, et de temps en temps pendant le transport ; on peut ainsi atteindre une durée de une ou deux heures. Pour des transports de carpes et de tanches, on peut aussi utiliser un matelas de paille, aéré et mou, sur le fond d'un camion ou d’une charrette. Quant à des reproducteurs de forte taille, on peut, avec certaines précautions que je vais indiquer, atteindre de véritables records. C’est ainsi que l’année dernière j'ai pu expédier à sec et vivants des reproducteurs de carpe, par avion, de Paris à Madrid, trajet qui a duré près de sept heures. Pour cela, j'avais pris la précaution d’entourer d’une serviette humide chaque reproducteur ; je les avais mis dans leur position normale, c'est-à-dire sur le ventre, et non à plat ; ainsi les deux ouïes fonctionnaient-elles normalement ; tous les poissons étaient serrés tête-bêche et remplissaient une caisse surmontée d'une caissette à glace. En auto, on peut parfaitement se passer de glace et mouiller de temps en temps les linges qui entourent le poisson.

Je répète les conditions de succès : éviter les coups de soleil et la dessiccation ; placer les sujets dans leur position normale, c'est-à-dire sur le ventre, entourés de linges humides et bien serrés afin qu'ils ne se fatiguent pas en sautant. Je signale encore un petit truc qui consiste à leur mettre dans la bouche un petit tampon imbibé d'alcool. Ce procédé n'est applicable évidemment qu'à d'assez gros poissons. Je ne donne pas d'explication physiologique à ce truc, mais il est excellent et je l'ai employé à plusieurs reprises.

A l'arrivée, qu'il s'agisse d'alevins ou de reproducteurs, il ne faut point les jeter brutalement dans les étangs ou les rivières qui doivent les recevoir ; les poissons, fatigués par le voyage, piqueraient la tête dans la vase et finiraient par s'étouffer. Il faut donc choisir, si possible, un fond sableux ou de graviers ; si ce n'est pas possible, déverser les poissons sur une aire en planche immergée et attendre patiemment quelques minutes qu'ils aient repris leurs sens et s'en aillent tout seuls.

J'ai oublié de signaler que la petite anguille, ou civelle, voyage parfaitement à sec dans ces conditions.

Quant aux écrevisses, des transports ont été réalisés de France au Maroc par avion ; les sujets étaient placés dans des caissettes contenant des copeaux de bois rigoureusement secs (l'expérience a montré qu'avec des copeaux de bois humides les écrevisses mouraient, alors qu'elles supportent fort bien vingt-quatre à vingt-six heures de voyage à sec).

Mais le transport le plus normal du poisson se fera dans l'eau, qui peut être contenue dans un récipient quelconque (lessiveuse, tonneau, etc.). Toutefois, les récipients a bords rigides transmettent intégralement au poisson les secousses du véhicule ; aussi les récipients à bords souples, comme les bâches, donnent-ils de meilleurs résultats.

Comme il y a intérêt à transporter le moins d'eau possible en raison des frais de port, le poisson est très serré et arrive à épuiser très rapidement la provision d'oxygène de l’eau, qu'il importe de renouveler. Pour cela, employer une bouteille d'oxygène munie d'un diffuseur de porcelaine ou d'un tuyau de caoutchouc perforé de fins trous d'aiguille, qui laissera constamment diffuser les bulles dans l'eau. L'oxygène offre des dangers, aussi ne doit-on l'employer qu'avec précaution ; en effet, il risque de « cuire » les branchies des poissons ; il est excellent pour transporter les poissons de consommation que l'on mangera dans quelques jours, mais il faut s'en méfier s'il s'agit d'alevins et ne le confier qu'à des mains expertes. En principe, lorsque le véhicule voyage sur route (camion, wagon), le mouvement de l'eau suffit pour absorber l'air, et la bouteille d'oxygène ne sera là qu'en secours ; j’ai toujours donné pour instruction à mes convoyeurs de ne l'employer que dans le cas d'arrêt du camion (panne, livraison), et je m'en suis toujours bien trouvé.

Naturellement, l'eau qui sera mise en réservoirs sera une eau très claire et très pure ; on prendra en principe de l'eau de source. On peut utiliser l'eau de pluie ou de puits à condition de remplir à la pompe avec un jet à pomme d'arrosoir, de façon à réoxygéner ; éviter toutefois certaines eaux de terrains sablonneux qui renferment parfois de l’hydrogène sulfuré, qui est un toxique radical pour le poisson.

Envisageons maintenant quelques cas particuliers.

Je laisse de côté le cas du transport des alevins de truite, qui est sans doute le plus délicat et sur lequel je me propose de revenir dans une prochaine chronique en donnant le maximum de détails pratiques.

Dans le cas de transport de poissons de consommation robustes, tels que la carpe et la tanche, on pourra les placer dans de grands bacs contenant 500 à 600 litres d'eau en amenant la bouteille d'oxygène en secours. On pourra normalement mettre dans un bac 4 à 5 parties d’eau pour une partie de poisson, c'est-à-dire 150 kilogrammes de carpes et de tanches dans un bac de 600 litres pour un transport de quatre à cinq heures. Si le parcours est plus court, si le temps est frais et si on peut oxygéner, on peut transporter le poisson dans deux fois son poids d’eau ; j’ai même vu des cas où, une bâche étant placée dans le fond et fixée aux ridelles d'un camion, l'on mettait moitié eau moitié poisson ; il est vrai que cette eau était sur une faible profondeur et que le ballottage du camion l'oxygénait abondamment. Mais, en principe, il faut mettre, pour les gros poissons, quatre fois environ leur poids d'eau.

Pour les alevins de carpe et de tanche, pour les reproducteurs d'espèces fragiles tels que le gardon ou les poissons blancs, on mettra cinq à six fois leur poids d'eau. Pour les très jeunes alevins de poissons blancs délicats, on mettra sept à huit fois leur poids d'eau.

Pour « casser » les mouvements de l’eau dans les récipients on pourra mettre une planche en surface, ou encore disposer une ou plusieurs séparations verticales ; mais le plus simple est d'utiliser des bidons de 50 à 60 litres, où le ballottage est peu important.

Pour le brochet et le black-bass, qui sont délicats, il faudra employer un volume d'eau égal à huit fois leur propre poids. Pour ces deux poissons, il sera prudent de renouveler l'eau après une demi-heure de transport, car ils vomissent après les secousses, ce qui corrompt l'eau.

Enfin, en ce qui concerne la perche, je ne conseille guère de la transporter à plus de 30 ou 50 kilomètres, car c'est un poisson extrêmement délicat, très nerveux, et qui, butant du nez contre les parois, s'abîme, s'irrite et meurt rapidement.

Le mode de transport Idéal est le camion ; il permet d'éviter les transbordements en allant du point de départ au point d'arrivée.

Pour transporter le poisson sur de longues distances, le chemin de fer est également utilisé. Il existe en France quelques wagons-viviers spéciaux appartenant soit à des piscicultures privées, soit à des groupements de producteur de poissons tels que le Syndicat des Dombes, soit à des marchands de poissons particuliers.

Enfin, il existait avant la guerre, et il existe toujours en Allemagne, des péniches-viviers qui, par les canaux et les voies de navigation, permettent de transporter de grosses quantités de poissons en toute sécurité, malgré la lenteur de déplacement.

DELAPRADE.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 149