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La truite

Pêche à devonner.

La pêche de la truite vient de s'ouvrir ; c'est donc le moment d'en parler. Il y a quarante ans, la pêche dite « au lancer du moulinet » était inconnue dans nos régions, et j’ai pu longtemps parcourir les meilleures rivières à truites du Massif Central sans rencontrer un seul pêcheur qui la pratiquât ; cela n'est venu que plus tard. La plupart des professionnels, outre la classique pêche au ver, péchaient également à « devonner », c'est-à-dire avec un poisson artificiel métallique tournant, dénommé « devon », presque toujours assez gros, muni de quatre grappins, manœuvré à l'aide d'une canne généralement longue, raide et dépourvue de moulinet ; leurs montures étaient généralement grossières. Cela, néanmoins, paraissait n'influer à peu près en rien sur les résultat, puisque j'en ai rencontre plusieurs fois qui transportaient de quinze à vingt livres de truites dans leur vaste panier d'osier Conscient de mon infériorité, due à une moindre habileté et à ma connaissance plus imparfaite des rivières, je me suis efforcé de pallier ces déficiences par l'emploi d'un matériel moins rudimentaire et que je jugeais plus approprié : cannes moins lourdes, moins rigides, emploi du moulinet, de bas de lignes plus longs, moins visibles, d'un émerillon supplémentaire et de devons de taille correspondante à celle des poissons que je pensais rencontrer selon l’importance du cours d'eau. Ces remarques m'amènent à établir une distinction entre la pêche dans les grandes, moyennes ou petites rivières, car elle y diffère souvent.

A. Fleuves et grands affluents.

— En général, touches peu nombreuses. La truite est relativement rare et disséminée sur de vastes espaces ; il faut la chercher. Par contre, on peut y trouver de très belles pièces et cela compense. Dans la Loire, l'Allier supérieur et surtout dans le Rhône, j'ai capturé plusieurs fois des truites de 2 à 3 kilogrammes et j'ai vu mes montures brisées comme fétus, malgré une certaine robustesse. Il est donc inutile de dire qu'ici la résistance prime tout. Dans le Rhône, notamment, j'employais une canne de 7 mètres, en bambou marbré, assez raide, munie de larges anneaux de laiton et d'un bon moulinet simple à frein et à cric. Corps de ligne en soie émaillée calibre E, terminé par un émerillon à link. Bas de ligne de lm,80, tout en florence Marana 1re, fixé à l'émerillon du devon. Ce dernier toujours de belle taille — 50 millimètres environ — lourd en tête et armé de 4 grappins n° 8. Nous l'avons dit, il faut chercher la truite. Celle-ci est décelée par ses chasses en plein courant, où elle produit, si elle est grosse des bouillons impressionnants.

Malheureusement le « devonneur », même habile, ne peut envoyer son appât aussi loin que le pêcheur « au lancer » et doit se contenter de prospecter les courants vifs et profonds assez rapprochés des herbes. Là, son leurre devra évoluer le plus profondément possible et assez lentement, pourvu qu'il tourne bien. La touche d'une grosse truite est presque toujours violente et produit une sensation d'arrachement. Dans ce cas, inutile de ferrer ; s'il en est besoin, laisser dérouler en freinant quelques mètres de fil, puis raidir. Travailler la prise entre deux eaux, puis amener à l'épuisette ou à la gaffe. Tuer immédiatement la bête avant tout essai de récupération du leurre.

B. Rivières de moyenne Importance.

— Même genre de pêche, mais truites plus petites et moins rares. Matériel plus léger, moins encombrant. Canne de 5 mètres environ, dite « tiercée », ligaturée ; scion bambou assez raide ; moulinet bien roulant. Corps de ligne en soie émaillée grosseur F. Bas de ligne : 1 mètre de Marana 2e, 1 mètre de padron ; toujours un émerillon en tête ; devon doré ou argenté de 32 millimètres, à 2 ou 3 grappins. Pêcher de préférence en remontant la rivière, sauf en courants trop rapides. Lancer légèrement ; se préoccuper de la visibilité en cas d'eaux claires. Touches assez nombreuses de truites moyennes (200 à 600 grammes), généralement assez faciles à ramener ; prises au devon, elles résistent beaucoup moins qu'à la mouche artificielle ou au ver ; une bonne épuisette suffit.

C. Petits cours d'eau.

— Les plus intéressants, surtout ceux des régions montagneuses, aux eaux fraîches et bien peuplés de truites. Nombreuses touches un peu partout. Prises ordinaires de poissons variant en poids de 150 à 400 grammes, rarement plus. Pêcher assez fin : canne de 4 mètres à 4m,50 en roseau ligaturé, scion bambou assez nerveux, moulinet facultatif, mais toujours recommandable. Corps de ligne soie émaillée grosseur C. Bas de ligne : l mètre de Régular, 1 mètre de Fina teinté. Devon plutôt petit : 25 millimètres, doré ou argenté selon les rivières. Pêcher de préférence en remontant ; bien se cacher et marcher sans bruit. Raser avec l’appât tous les obstacles et les bords creux ; le faire évoluer près du fond et pas trop vite ; il suffit qu'il tourne bien et cela se sent très bien à la main, qui perçoit une sorte de trépidation régulière et continue.

En général, touches assez franches, surtout en eau teintée. Ne jamais laisser le fil se détendre ; toutes les petites truites seront enlevées d'autorité, celles de une demi-livre et plus avec une petite épuisette télescopique légère.

De nos jours, rares sont les confrères qui pèchent encore « à devonner ». La pèche au lancer du moulinet a remplacé presque partout l'ancien mode, surtout celle au « lancer léger » ; les professionnels eux-mêmes y viennent.

Plus de matériel lourd et encombrant : une canne courte et légère, un moulinet à « tambour fixe », un fil ténu et des petits leurres qui sont des merveilles. De même, le fin, invisible, incassable « nylon » a remplacé nos anciens bas de ligne à nœuds, toujours sujets à ruptures.

Bien entendu, la pêche, ainsi comprise, n'est pas aussi facile que celle de nos pères : il faut un apprentissage et tous n'arrivent pas à être des « as ». Qu'importe ? — le plaisir se mesure souvent à la difficulté et aux efforts à faire pour tendre vers la perfection. Jeunes confrères, apprenez le « lancer léger », il vous procurera des jouissances absolument inconnues de vos devanciers.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 150