On sait que la loi considère comme un délit de pêche et
punit comme tel le fait de jeter dans les eaux des rivières ou autres cours
d'eau des drogues et appâts de nature à enivrer le poisson ou à le détruire.
C'est toujours l'article 25 de la loi du 15 avril 1829 relative à la pêche
fluviale qui prévoit ce fait ; il a été modifié par la loi du 9 février
1949, et plusieurs arrêts récents en ont précisé les conditions d'application.
Dans sa teneur actuelle, le texte en question est ainsi
rédigé : Quiconque aura jeté dans les eaux des drogues ou appâts qui
sont de nature à enivrer le poisson ou à le détruire sera puni d'une amende de 5.000
à 200.000 francs et d’un emprisonnement d’un à cinq ans. Ceux qui se sont
servis de la dynamite ou d'autres produits de même nature seront passibles des
mêmes peines.
Les tribunaux pourront, en outre, prononcer, pendant deux
ans au moins et cinq ans au plus, l’interdiction de séjour déterminée par l’article
19 de la loi du 27 mai 1885.
Aucune transaction par l'administration n'est possible
pour les délits prévus par le présent article, sauf s'il s'agît de pollution involontaire
provoquée par des déversements industriels. Toutefois, dans ce cas, la
fédération départementale de pêche sera préalablement consultée.
A première vue, il semble que ce texte ne s'applique que dans
le cas où le fait prévu a été commis sciemment et dans un but précis, celui de
permettre la capture du poisson ; cette présomption est renforcée par le
fait que ce texte est incorporé dans la loi sur la pêche fluviale parmi les
dépositions répressives applicables aux faits de pèche. Si telle a pu être à
l'origine la pensée du législateur, la jurisprudence n'a pas tardé à faire
application de cette disposition dans des cas bien différents, surtout depuis le
développement considérable pris par l'industrie et la multiplication des
établissements industriels.
Sans entreprendre ici une étude complète de la jurisprudence
en la matière, nous pouvons préciser qu'il est aujourd'hui admis uniformément
que les pénalités de l'article 25 sont applicables même si le fait incriminé
s'est produit en dehors de tout but de pêche ou de capture du poisson(Trib-correct.
Saint-Dié, 6 juillet 1950, rapporté au Recueil Dalloz de 1950, p. 573 ;
Grenoble, 26 mai 1950, rapporté à la Semaine juridique de 1950, 2e
partie, n°5879), spécialement dans le cas où il s'agit du simple écoulement
d'eaux polluées par un usage industriel. De même tout le monde admet que,
malgré les termes de l'article 25, il n'est pas nécessaire, pour que ce texte
soit applicable, qu'il y ait jet de drogues au sens propre du mot ;
il suffit qu'il y ait eu déversement d'eaux contaminées par des produits nocifs
(arrêt de Grenoble, précité, et arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 1850,
rapporté à la Semaine juridique, loco citato). Enfin, en cette matière,
de même que pour tous les délits de chasse ou de pêche, le prévenu est punissable
même si l'intention dolosive n'est pas relevée à son encontre (Cassation, 4 mai
1950, précité).
Maïs, pour que la pénalité puisse être prononcée, il faut
nécessairement que le fait ait été commis volontairement, comme c'est la règle
en matière de délits de chasse ou de pêche, et en pleine connaissance de cause
de la nocivité des produits déversés (même arrêt de la Cour de cassation). Tel
n'est pas le cas lorsque le fait reproché a consisté simplement dans le
déversement des eaux d'un réservoir d'usine reçues d'usagers supérieurs et sans
altération de leur teneur (arrêt de Grenoble du 26 mai 1950, mentionné précédemment).
Tel n'est pas non plus le cas lorsque le déversement résulte d'un fait purement
accidentel tel que la rupture d'une vanne ou d'une cuve (arrêts d'Amiens du 15
juin 1932 et de Douai du 12 avril 1935, rapportés au Recueil hebdomadaire de
Dalloz, 1932, p. 466, et 1935, p. 433). Dans tous les cas où il s'agit d'un
fait involontaire ou accidentel, il ne peut y avoir lieu à poursuites pénales ;
la personne responsable peut seulement être l'objet d'une demande en dommages-intérêts
portée devant la juridiction civile et n'encourra même de condamnation
qu'autant qu'il sera établi que le déversement motivant la poursuite est la
conséquence directe d'une faute, d'une négligence ou imprudence commise par la
partie poursuivie.
Reste à savoir si la personne qui, restée étrangère au jet
ou au déversement de produits nocifs, se borne à ramasser les poissons morts ou
enivrés se rend coupable d'un délit. A notre connaissance, la question n'a
jamais été soumise aux tribunaux ; nous estimons qu'elle doit être résolue
par la négative en raison de ce principe que la prise de possession de poissons
morts n'est pas un acte de pêche.
Paul COLIN,
Docteur en droit,
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.
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