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Football professionnel

Quelques décisions discutables récentes ont été l'occasion, dans le groupe des « pros », de revendications et de mauvaise humeur. Ce qui d'ailleurs est assez naturel puisque, par définition, toute décision venant d'en haut fait des heureux et des mécontents. Et quand on pense que des hommes se croient qualifiés pour juger d'autres hommes, on est pris d'un grand frisson.

Mais pour ne parler que de l'une d'elles, qui ne comporte aucune question de personnes, retenons celle-ci, qui nous semble regrettable, relative aux « forfaits » :

Une équipe de seconde division, Marseille II, s'est trouvée dans l'obligation, du fait de difficultés de trésorerie, de déclarer forfait au cours de la saison.

Or l'article 4 du règlement des championnats de France « pros » dit ; « Lorsqu'un club est exclu de la compétition ou déclare forfait, au cours de la saison, les buts pour et contre et les points acquis par les formations continuant à prendre part à l'épreuve sont annulés. »

Ce verdict nous semble illogique et inéquitable ; il a d'ailleurs soulevé de virulentes protestations.

En effet, si des équipes comme Cannes, Besançon, Valenciennes, Monaco, qui ont été battues par Marseille II, bénéficient de deux points qu'ils n'ont point mérités, d'autres, telles que Lyon et Le Mans, qui avaient battu Marseille sur son terrain, perdent le bénéfice de deux points sportivement et régulièrement acquis sur le terrain. Il en résulte une appréciable modification au classement général, et cette décision ressemble un peu trop à ce que, en droit, on se refusait à admettre dans notre pays jusqu'à l'avènement de l'ordre nouveau : le principe de la « rétroactivité » d'une loi ou d'un règlement. Ce règlement est en outre contraire à l'esprit sportif, qui veut qu'un athlète accepte loyalement une défaite subie dans des conditions régulières.

En somme, pour prendre pour exemple le cas de l'U. S. du Mans, ce club, qui était 6e ex aequo avec Monaco, devenait 8e parce que les joueurs de la Principauté ont eu la chance d'être battus par Marseille, alors que les Manceaux ont eu la malencontreuse idée de gagner contre ce même club ! C'est la belote « à qui perd gagne ».

Et cette « gaffe » eût été d'autant plus facile à éviter que Marseille a eu la correction d'attendre, pour déposer son bilan, la fin des matches « aller », si bien que la conservation logique du statu quo à cette date précise eût été équitable pour tout le monde, chacun des survivants ayant joué régulièrement son match avec le disparu.

Imaginez qu'au moment des matches du « barrage » final pour la montée en première division Metz ou Lyon soient distancés d'un seul point par Cannes et Besançon, qui profitent (sans l'avoir demandé ni prévu et qui sont de parfaite bonne foi) de cette mesure paradoxale, on n'ose penser aux controverses qui alors ne manqueraient pas d'éclater.

A tout accident s'impose une moralité. Étant donné que, par définition, l'existence durable d'une formation professionnelle est liée à des questions budgétaires, c'est-à-dire à l'assurance de recettes suffisantes, l'expérience démontre qu'il n'y a pas de place chez nous pour deux équipes professionnelles dans la même cité. Pour Paris, certes, il y a exception. C'est le cas du C. A. P., qui se maintient (ou qu'on soutient précisément pour cette raison) parce que son existence même permet d'organiser un match supplémentaire, donc une recette supplémentaire, en faisant jouer ce club le samedi.

Mais, puisqu'il est prouvé qu'à Marseille, deuxième ville de France, il n'y a pas de place pour deux (surtout à cause de la concurrence du rugby et autres sports), il faut craindre que, à plus forte raison, l'expérience ne soit pas à tenter dans des villes de moindre importance.

Par contre, il est un règlement qui semble donner pleine satisfaction, c'est celui qui tient compte du « goal average ».

D'abord parce qu'il permet de départager les ex aequo, ensuite parce qu’il constitue un stimulant dans certaines rencontres où, bien qu'étant certain de gagner son match, le plus fort est quand même obligé de faire un effort pour tenter d'améliorer sa moyenne. Si bien que le public en a pour son plaisir ... et pour son argent, et que la qualité du jeu s'en améliore.

Tout ceci dit sans aucune critique péjorative pour le football « pro », car, tout en restant de ceux qui regrettent les temps heureux de l'amateurisme et de l'esprit de club qu'il comportait, il faut admettre que le professionnalisme, grâce aux moyens dont il dispose, permet au sport de pénétrer les masses, sans empêcher de vivre, à coté de lui, les « mordus » qui veulent que le sport reste pour eux un violon d'Ingres. Car depuis quelques années, hélas ! tout le monde n'est pas M. Ingres, et le violon coûte cher !

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 158