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La modernisation de l'agriculture

Ce qui caractérise la vie paysanne de notre époque, c'est qu'elle a perdu son caractère d'isolement. Le paysan ne se tient plus à l'écart de la société et de son évolution. Il ne vit plus seul s'occupant de faire valoir sa terre, de tirer d'elle le maximum pour satisfaire aux nécessités de sa famille et aux siennes propres. Il est, au contraire, intégré complètement dans le « tout social » de notre temps, il vit; lui aussi, de l'échange. Il fournit de la nourriture ; il reçoit des engrais, des outils, des machines, des vêtements, etc. La société lui demande de nourrir de plus en plus d'hommes. C'est sa mission fondamentale.

Il s'agit de produire davantage sans rien compromettre de la fertilité de sa terre arable. Pourra-t-il y arriver ? Oui, a condition de se moderniser. A condition, de faire aller de concert la science, c'est-à-dire les grandes découvertes de l'agronomie, de la biologie et de la technique, avec la solide expérience paysanne.

Un grand nombre d'agriculteurs — les jeunes surtout — ont compris que l'esprit de tradition, toujours nécessaire en culture, ne suffit cependant plus. Il est indispensable d'adapter les méthodes de travail aux procédés modernes et de profiter des progrès réalisés dans toutes les branches de l'économie.

Parmi les problèmes qui préoccupent le plus de paysans, celui de l'équipement, et notamment de l'équipement en tracteurs et instruments de cultures et de récoltes, vient en premier lieu. Depuis plusieurs années, en effet, la motorisation et la mécanisation ont produit une véritable révolution dans les techniques agricoles. Le tracteur dans les exploitations moyennes et grandes exploitations, et aujourd'hui le motoculteur dans les petites sont devenus des instruments indispensables. Au début de la motorisation, ils servaient d'appoint aux attelages ; aujourd'hui, ce sont les attelages qui servent d'appoint à ces moyens de traction. Mais l'équipement en machines, tracteurs et moteurs des exploitations entraîne des investissements importants. Le matériel est coûteux. Il doit donc être rentable. Pour être rentable, deux conditions doivent être remplies :

— Le matériel acquis doit être simple, rustique, robuste. Il ne tourne pas, en effet, comme celui des usines, à l'abri des intempéries.

— L'agriculteur doit savoir utiliser parfaitement son matériel et avoir des connaissances mécaniques afin d'éviter les pannes, faire durer ses engins et effectuer les réparations sommaires lorsqu'en cours d'utilisation des incidents se produisent.

En ce qui concerne la première condition, nous nous bornerons, à titre d'exemple, à parler des tracteurs à roues. Ceux-ci devraient avoir les caractéristiques suivantes :

— être à voies variables, afin de rendre possible sans inconvénient les binages, buttages des plantes sarclées, dont les écartements sont différents ;

— être assez élevés pour passer au-dessus des cultures sans les abîmer et avoir, de préférence, les outils placés à l'avant ;

— La visibilité doit être excellente et, pour cela, il est préférable d'avoir un moteur relativement étroit.

— Le problème des outils portés doit recevoir une solution rationnelle et économique : charrues distributeurs d'engrais, semoirs, cultivateurs, bineuses herses, barres coupeuses, etc. Les tracteurs équipés d’un dispositif de relevage hydraulique donnent satisfaction. Il est important de savoir que les outils portés ont une influence favorable sur l'adhérence des roues et sur la brièveté des virages.

Toujours à propos des outils portés il convient de souligner qu'ils ont, en général, une vie plus longue que le tracteur. L'agriculteur doit donc pouvoir acheter un tracteur d'une marque différente s'il le désire, sans être contraint de changer tout son équipement. Il y a là, un important problème de normalisation de l'adaptation des outils à résoudre. Le développement rapide de la motoculture en dépend, et les constructeurs doivent s'efforcer de trouver très vite une solution satisfaisante.

— Le tracteur doit posséder une gamme de vitesses très complète, et l'adhérence des roues doit pouvoir être améliorée. Le gonflage à l'eau, les chaînes d'adhérence, donnent satisfaction. Toutefois, les meilleurs résultats sont obtenus, nous semble-t-il, avec les dispositifs à palettes d'acier en éventail à inclinaison réglable, qui attaquent le sol tout à fait à la manière du pas du cheval.

D'une façon générale, il faut, quel que soit le matériel à acheter, l'examiner sous le triple point de vue : simplicité, rusticité, robustesse.

La seconde condition exige un gros effort de la part du paysan, un effort cérébral, s'il nous est permis de nous exprimer ainsi. Il doit prendre le temps d'acquérir les connaissances mécaniques indispensables. Il ne doit pas hésiter à suivre des cours adéquats, à acquérir des ouvrages techniques bien rédigés. La pratique ne va pas sans une bonne théorie.

Le problème de l'équipement, pour important qu'il soit, n'est pas le seul à envisager. Les constructions rurales — l'habitat — ne répondent plus, ni par leur forme, ni par leur état, au rôle élargi qui leur échoit. Et, dans ce domaine, l'aspect humain dépasse de beaucoup l'aspect technique. Quand le paysan d'aujourd'hui pourra satisfaire ses aspirations à vivre dans un cadre plus accueillant, plus chaud, plus confortable, l'agglomération urbaine, où la vie lui paraît plus facile, ne constituera, plus une tentation, et l'exode rural prendra fin. Et puis il y a les problèmes intéressant les collectivités : électrification, amélioration des voies de communications, enseignement agricole, etc ...

L'aménagement rural du territoire, l'équipement des fermes, le développement de l'enseignement, s'ils dépendent de l'agriculteur lui-même, sont, pour une large part (financement, crédit, etc ...) du ressort des pouvoirs publics. L'agriculteur moderne n'est plus aujourd'hui le paysan d'autrefois, courbé sur sa terre, préoccupé avant tout d'assurer sa subsistance et celle des siens, en se passant de tout concours extérieur. Toute la nation est intéressée à un travail rationnel et fécond de la terre. C'est pourquoi, selon le mot de A. Demangeon : « Il faut fouiller le champ avec autant d'efficacité que l'usine ou le port, de manière à produire au meilleur marché et en plus grande quantité. »

G. DELALANDE.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 166