Au lendemain de la Libération, lorsque, enfin, le vrombissement
des bombardiers quadrimoteurs s'était apaisé, lorsque le mugissement des
chasseurs à réaction s'était tu ... d'innombrables Français avaient fait
un beau rêve !
Ces avions, que des hommes avaient été obligés de
transformer en engins de guerre, ces avions allaient être remplacés par
d'autres ... D'autres, à la puissance et aux performances plus modestes,
mais dont le moteur et l'hélice n'auraient « vibré » que pour créer
de la joie et du bonheur. Oui, d'innombrables Français avaient rêvé que ces
avions seraient un jour les leurs.
Déjà, le « Français moyen », car il sait bien ce
qu'il veut, avait vu ce qui lui conviendrait le mieux ! Un gentil quadriplace,
afin de pouvoir emmener à bord sa femme et ses gosses. Ses performances ?
Du 180 kilomètres-heure de croisière. Sa consommation ? Celle d'une 15 CV
Citroën ou d'une « 402 ». Son confort ? Dans ce domaine, il
était vraiment exigeant ! « Conduite intérieure », évidemment, à
l'intérieur de laquelle l'on pourrait causer sans crier, où l'on ne suerait pas
à grosses gouttes l'été et où l'on ne serait pas transis de froid l'hiver ...
Des sièges confortables garnis de cuir aux teintes gaies. Les qualités, l'équipement
de cet avion ? Qu'il puisse utiliser un terrain relativement court au
décollage et à l'atterrissage et qu'il pardonne certaines fautes élémentaires
de pilotage. Pas d'équipement spécial pour le vol sans visibilité, pas
d'équipement radio, l’on verrait plus tard ! Car, comme en automobile, on
n'effectuerait pas une promenade touristique lorsque le temps serait mauvais :
de même que le voyage d'affaires serait remis de quelques heures.
Alors, devant des desiderata aussi précis, nos ingénieurs,
nos ouvriers se mirent à l'ouvrage chez nos constructeurs. Un an et demi après,
plusieurs types de séduisants appareils sortaient de nos usines aéronautiques :
monoplace, biplace, triplace, quadriplace, à ailes hautes ou à ailes basses. Il
y avait de quoi satisfaire tous les goûts : ceux du pilote, pour qui
l'avion est toujours un sport, et ceux qui le considèrent comme le moyen de
locomotion le plus agréable. Certes, le prix de vente de ces avions était
élevé, trop élevé, nous l'avons déploré dans ces colonnes. Néanmoins,
l'engouement pour ces avions ne tarda pas à se manifester, et les commandes se
firent pressantes chez les constructeurs.
Les premières livraisons ne tardèrent guère, et les années
1947 et 1948 virent le développement de l'aviation privée française. Les
compétitions aériennes, les rallyes se succédèrent et furent des succès, dans
toute la France. Les terrains d'aviation, les dimanches, ne manquaient pas de
visiteurs aériens, et le propriétaire du quadriplace, gentiment, ne refusait
jamais de faire goûter les joies de l'air aux amis de ses amis. En semaine, le
représentant, le négociant, l'industriel posaient leur « taxi »
bourré de valises, pour quelques heures près des hangars du terrain de la
grande ville voisine ; le soir ils en décollaient aptes avoir conclu une
affaire. Quelle ambiance alors sur nos terrains ! C'était bien l'amorce du
développement rêvé de l'aviation privée, de l'aviation de paix.
Hélas ! il fallut bien vite déchanter. Si le
propriétaire d’un avion privé avait osé subir les foudres de son percepteur, il
allait succomber devant celles de l'Administration !
Avec une incompréhension totale, semble-t-il, et une sévérité
implacable, cette dernière a fait de l'avion privé un engin de locomotion
pratiquement inutilisable par des mesures mal étudiées, des obstacles
insurmontables ! Voyons de quoi il s'agit :
Le plan de vol.
— Imaginerait-on que l'on puisse imposer à un automobiliste le
devoir de signer a chacune de ses sorties dépassant son département une feuille
de route indiquant ses heures de départ et d'arrivée, les routes qu’il
empruntera, la pompe à essence où il se ravitaillera et le lieu où lui-même
voudra se rafraîchir et se reposer !
Cette éventualité ferait tout simplement sourire ! Eh
bien cette formalité, qui est tout simplement intolérable, est imposée depuis
l'an dernier au propriétaire d'un avion privé. Ce dernier doit établir avant
chaque voyage aérien un plan de vol. Formalité toujours longue à remplir
sur les terrains où les divers services sont souvent loin des hangars.
Et, lorsque ce plan de vol a été patiemment rempli ...
attention de le respecter scrupuleusement ! Vous devrez vous poser à
l'heure et au lieu que vous avez indiqués ! Avez-vous subitement pensé, au
cours du vol, à des amis qui seraient heureux d'avoir votre visite sur leur
aérodrome ? Une petite escale d'une demi-heure serait si agréable !
Eh bien ! non, mille fois non, l'Administration vous interdit cette
entorse au plan de vol.
Mais ce n'est pas tout ... Le propriétaire d'un avion
privé a été invité à venir passer une journée chez un de ses amis à la
campagne, dont la propriété est entourée d'immenses prairies, bande
d'atterrissage impeccable, que le propriétaire, un brave cultivateur, sera tout
heureux de voir utiliser par l'appareil de l'hôte attendu. Hélas ! la
possibilité d'utiliser ce terrain lui est interdite par l'Administration. Un
avion ne peut se poser que sur un terrain homologué ; il est donc
impossible de prévoir cet atterrissage dans le plan de vol.
Que risque un pilote à enfreindre les obstacles et à ne pas
respecter son plan de vol ? Tout d'abord : le conseil de discipline ;
je vous assure que ce n'est pas une plaisanterie ; l'atmosphère qui y
règne rappelle presque celle d'un véritable tribunal. Les sanctions y sont
sévères, un mois à plusieurs années de retrait de la licence de pilote. Pour le
cas d'atterrissage sur un terrain non homologué, c'est tout simplement la
correctionnelle.
Voilà donc résumés les inconvénients de ce fameux plan de
vol, nécessaire et indispensable pour les avions de ligne (1), mais qui est
une brimade pour le pilote privé et une entrave intolérable à l'utilisation de
son avion personnel, dont il devrait pouvoir se servir comme de son automobile.
Quel souci de sécurité a présidé à l'élaboration de ces mesures ? C'est
certainement la poursuite des gangsters et des trafiquants internationaux, qui,
hélas ! utilisent l'avion pour se livrer à leurs louches trafics. Le plan
de vol devait permettre de surveiller, de contrôler leurs déplacements. Une
récente affaire de trafic d'or en Dordogne a prouvé avec quelle désinvolture
ils se moquaient de leur plan de vol (lorsque l'on risque sa peau, l'on
peut bien risquer aussi quelques milliers de francs d'amende).
Il faut que le plan de vol soit aboli au plus tôt si l'on
ne veut pas tuer l'aviation privée française. C'est une mesure qui n’embête,
en somme, que les braves gens.
Les propriétaires français d'avions privés sont, en général,
des gens bien connus dans les cités où ils exercent leurs activités. De plus,
ils appartiennent à un Aéro-club, où une sélection s'effectue toujours pour
éliminer les membres ne présentant pas toutes les garanties morales.
Les Aéro-clubs sont prêts à assurer le contrôle et la responsabilité
des déplacements de leurs membres.
II faut supprimer le plan de vol à l'intérieur de la
France et le conserver pour les déplacements à l'étranger.
Les délits commis par quelques sombres individus ne doivent
plus obliger les braves gens à passer une demi-heure et plus à établir un plan
de vol pour pouvoir effectuer un voyage de quelques centaines de kilomètres ...
voire de 10 kilomètres.
Maurice DESSAGNE.
(1) Le Chasseur Français, novembre 1950.
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