Course libre et corrida de toros, que d'images chatoyantes
et hautes en couleurs, en pittoresque, ces mots prestigieux éveillent dans
notre esprit. Nous voici d'un seul coup d'aile de notre imagination transportés
de notre belle Provence à l'orgueilleuse Espagne. D'un côté des monts à
l'autre, que ce soit dans le cirque surchauffé des splendides arènes mauresques
ou dans les petits ronds fermés d'un cercle de charrettes sur lesquelles
s'entasse une multitude joyeuse et enthousiaste, partout on fête le taureau-roi
avec la même profondeur de sentiments que prenait le mysticisme des Anciens à
célébrer le culte, de Mithra. La Jeune Arlésienne sent battre son cœur aussi
vite que la belle Andalouse aux yeux rêveurs, cachant son ardeur derrière son
éventail largement déplié. Le défilé des combattants étale ses fastes à la même
heure, sur un sable analogue, aux sons d'une musique identique, sous le
déferlement des bravos et des acclamations. Fiers toreros vêtus de soie et
d'or, armés d'une cape fleurie de rose et de sang ; rapides et légers
provençaux ou landais, en habit blanc, ceinture rouge et coiffe noire, leur
courage est le même, leur vaillance a les mêmes sources, leur amour est semblable.
Et, lorsque les clarines sonnent pour l'ouverture du toril d'où jaillira le
danger commun, le souffle puissant des vents antiques de Grèce suspendra, en
passant les frontières, l'attention des cœurs émus à l’armure noble et fière
levée vers le soleil.
Les connaisseurs vont soulever une objection majeure :
la corrida de toros suppose toujours la mise à mort du fauve, et il est de fait
que tout taureau paraissant dans une plaza espagnole doit être estoqué. En France,
un grand cocardier est plutôt entouré d'une espèce de vénération le
garantissant de toute blessure ou peine physique. Mais le but de cet article
n'est pas de souligner les inévitables différences qui existent entre deux
manières d'affronter le même adversaire. Précisément, une des phases de la
corrida se rapproche étrangement de l'art des razeteurs et des écarteurs, c'est
le tercio des banderilles.
Le mot tercio signifie : partie, division, un peu à la
manière d'un acte de théâtre ; et, en effet, le drame de la corrida est
divisé en plusieurs actes : tercios des piques, des banderilles, de mulets,
et celui qui nous occupe est peut-être celui où le plus de sang-froid et le
plus de décision sont exigés. Dans cette suerte (phase) des banderilles,
il existe plusieurs modes de planter les petits fuseaux de bois enjolivés de
papiers ou de rubans en couleur et munis à une de leurs extrémités d'an harpon
très fin ; nous en citerons deux et tenterons la comparaison avec l'écart
landais et le razet à l'aide de quelques croquis.
Le quiebro, ou cambio, s'exécute ainsi :
le banderillero s'avance lentement vers le fauve en le citant (appelant) de
loin ; au moment où l'animal s'ébranle et arrive à sa hauteur, l'homme
étend rapidement une de ses jambes vers l'extérieur et la remet à coté de
l'autre ; le taureau, trompé par ce mouvement et emporté par son élan, passe
près de l'homme, qui lui plante les fuseaux dans la croupe. Le mouvement doit
être parfaitement synchronisé, de telle sorte que la feinte corresponde à la
pose des banderilles. Chez les écarteurs landais, une manœuvre identique est
précisément utilisée et se pare justement du nom de feinte : c'est la
parade du chat écureuil, qui consiste à appeler le taureau et à l'attendre de
pied ferme jusqu'au moment où les cornes vont atteindre le corps du belluaire ;
d'un rapide pas de côté celui-ci se dégage, et le fauve, médusé, continue sur
sa lancée.
Le razeteur provençal utilise une manœuvre un peu
différente. Un de ses compagnons joue le rôle de tourneur et passe devant le
cocardier en partant du côté de la barrière ; dès que l'animal se détourne
vers lui, le premier cité part en courant dans une direction contraire et
tente, en croisant le taureau, d’enlever la cocarde on la ficelle primée qu'il
porte entre ses cornes. Lorsque le torero banderille al sesgo por fuera
(de biais en dehors), i1 part des barrières et croise le fauve en un large
demi-cercle : un peon (aide), muni de sa cape et placé à quelque
distance détourne l'animal du torero en danger dès que celui-ci a placé ses
bâtonnets à la fin de son demi-cercle.
Comme on le voit, l’homme a trouvé l'art qui rend son
travail à la fois gracieux et angoissant. Légère silhouette de clair vêtue, il
s'élance souvent ainsi vers la mort ou la blessure grave sous le regard ardent
de milliers de personnes. Et, si son front se couvre des lauriers de la
renommée, il sait aussi verser son sang généreux et brave.
CURRITO.
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