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Un peu de gaieté

Long cours et court bouillon

Les « Souvenirs de Jeunesse », parus ici même le mois dernier, m'ont encore procuré une inondation de missives de tous les acabits, voire un télégramme expédié par une lectrice de Brisbane (Queensland, Australie). Ma charmante correspondante m'y supplie de raconter encore quelque aventure de ma vie propre (of your own life), moyennant quoi elle s'engage à m'expédier « un baiser dans une boîte par poste aérienne » ... N'ayant Jamais reçu de colis postal de cette sorte et curieux de voir en quoi cela consiste (tout le monde me comprend, n'est-ce pas ? ... surtout les messieurs), je m'empresse de lui donner satisfaction. Cette histoire est, du reste, la suite de mon dernier récit.

Ayant donc attendu vainement, pendant deux mois, le retour de ma fiancée, la princesse, et de son ami, le prince, je partis à pied de Venise et me rendis ainsi à Marseille. J'étais décidé à me faire une situation dans la marine.

Dès mon arrivée à la ville des Phocéens, je me présentai au siège d'une importante compagnie de navigation et demandai à être mis en présence du directeur général.

Ce haut personnage me demanda, évidemment, ce que je lui voulais. Je lui expliquai que, me sentant une vocation irrésistible pour la grande navigation, je serais très désireux qu'il me confiât, dès ce jour, un poste de capitaine sur un long-courrier devant partir incessamment. J'ajoutai qu'une décision urgente s'imposait, vu que je ne possédais plus, pour toute fortune, que trois francs français, deux lires italiennes et un shahi persan qui me venait je ne savais d'où.

Le directeur général se gratta le nez, se frappa le front de l'index et me répondit avec beaucoup de bonté :

— Mon petit ami, je crois qu'il m'est, malheureusement, impossible de donner aussi rapidement une heureuse solution à votre demande, mais je puis vous procurer, en attendant, si vous le voulez bien, un emploi d'aide-chauffeur sur un paquebot.

Je voulus bien et, dès le lendemain, je partis, armé d'une pelle, dans la chaufferie du François-Ravaillac, qui faisait route vers le cap de Bonne-Espérance via Gibraltar et les Canaries.

Au bout de six jours de navigation, nous fîmes escale à Banana, au Congo, pour acheter quelques pelotes de ficelle afin de réparer l'hélice qui avait une pale cassée.

Je descendis à terre avec la ferme Intention de ne plus remettre les pieds à bord. J'avais, en effet, une autre idée en tête : faire du haut commerce avec les sauvages du Centre de l'Afrique,

Ma fortune se composait de ce que j'ai énuméré plus haut, c'est-à-dire environ 5 fr. 50, somme à laquelle il fallait ajouter 1.753.234 fr. 25 en argent liquide, que j'avais barbotés dans la cabine d'un gangster international bien connu qui, sous un nom d'emprunt, voyageait en première classe sur le François-Ravaillac.

Je fis plusieurs emplettes dans une factorerie de l'endroit. Tout d'abord, une garde-robe complète, puis une auto-amphibie, une carabine Winchester et des munitions, des vivres suffisants pour plusieurs semaines, enfin des tire-bouchons, des soutien-gorge, des pardessus, des tire-lignes, des édredons, des skis, des muselières, des stylos, du poivre, des oignons, des partitions d'opéras, des carottes, du persil, de l'ail, des souricières, etc., bref des objets indispensables aux noirs de la brousse et que j'espérais bien échanger contre de la poudre d'or et des pelleteries.

Je partis un matin avec tous mes ballots entassés sur mon auto-amphibie. Après un mois et demi de voyage, par eau et par terre, n'ayant rencontré âme qui vive, conduisant dans une solitude écrasante, par des déserts brûlants ou des forêts d'une profondeur insondable, j'arrivai au pays des Niam-Niams. Je fis mon entrée, par un joli matin de décembre, au village de Olakséfo, où je résolus d'écouler mes marchandises. Le roi du pays, nommé Vazimonkoko, était un homme fort affable qui m'embrassa trois fois sur le nez en me disant dans sa langue vernaculaire ; Imano mseutu nevne ibels ios, ce qui veut dire : Sois le bienvenu, tu es mon ami.

Les indigènes et le roi lui-même achetèrent, le Jour suivant, tout le chargement de mon auto-amphibie avec promesse ferme de me payer dans huit lunes en poudre d'or, en gynécées de pavette et en peaux de crocodiles. Vous pensez si j'étais heureux !

Inutile de dire que j'avais appris la langue du pays en quelques heures, ce qui facilitait étrangement les entretiens.

Vazimonkoko me donna une case fort bien aménagée et dix esclaves pour mon service. Mes serviteurs étaient aux petits soins pour moi, ainsi, du reste, que Sa Majesté, qui venait me visiter plusieurs fois par jour et causait familièrement avec moi, me questionnant sur la France et s'intéressant spécialement à la cuisine française. Je lui expliquai quelques recettes, en particulier celle du court-bouillon, dont il prit note et qui lui plut extrêmement.

Ma nourriture, très copieuse en des repas fréquents, se composait de purées de patates douces, de farine de sorgho, de haricots rouges, d'œufs de fourmis et, parfois, d'une viande bizarre, que je ne connaissais pas, mais qui était, somme toute, fort mangeable avec beaucoup d'épices.

A ce régime, je ne manquai pas d'engraisser en trois semaines de 43 kilogrammes. J'étais devenu énorme, gros, luisant, joufflu, ventru, à ce point que je ne pouvais plus marcher qu'avec peine ...

Un soir, Vazimonkoko, tout souriant, m'apporta un gros colis bien ficelé, accompagné d'une lettre scellée, et me dit :

— Cher hôte, je veux te charger d'une mission de confiance. Tu vas porter de ma part cette lettre et ce colis à mon oncle vénéré Topodoko, roi de Mélapouloppo, à 8.108 pâhs d'ici (300 kilomètres 20 mètres 3 millimètres, le pâh étant une mesure olakséfiste équivalant 37m,003). Pars tout de suite, avec ton auto-grenouille.

Très fier de cette confiance royale, j'embrassai trois fois Vazimonkoko sur le nez et je partis.

A moitié chemin, je rencontrai un détachement de troupe belge accompagnant un capitaine en tournée d'inspection. L'officier me demanda où j'allais. Je lui contai mon aventure.

— Faites voir le pli que vous portez à Topodoko, me dit-il en tendant la main.

Je lui passai la lettre. Il brisa les cachets et me lut la missive. Voici ce qu'elle contenait :

Mon cher oncle,

Pour ta fête, je t'envoie un cadeau de roi. C'est un imbécile de jeune Français que j'ai engraissé à ton intention. Fais-le cuire dans une préparation qu'il m'a indiquée et qu'il appelle court-bouillon. Dans le paquet, tu trouveras la recette et tout ce qu’il faut : oignons, carottes, persil, ail, poivre, etc ... qu'il m'a vendus. Il te procurera plusieurs repas délicieux. Je t'embrasse et te dis : bon appétit.

Je n'ai porté ni le paquet ni la lettre à Topodoko.

Roger DARBOIS.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 192