Nombreux sont les piégeurs qui ont eu de graves mécomptes en
piégeage dus à un défaut de camouflage de leurs pièges. Mais il faut étendre le
mot camouflage non seulement à la vue, mais aussi aux autres sens des nuisibles :
odorat en particulier, ouïe et toucher. Dans de précédents articles, nous avons
vu le rôle joué par les sens des carnivores ; il s'agit maintenant de
l'adapter aux conditions du piégeage avec les fers (pièges à palette et pièges
à appât en fer). Il s'agit donc de « camoufler » le piège et les
opérations de piégeage aux différents sens des carnassiers : vue, odorat,
ouïe et toucher, le goût ne jouant que dans le piégeage avec appât. Pour
certains carnassiers, il ne faut pas exagérer ce camouflage; pour d'autres, il faut,
au contraire, le pousser à ses extrêmes limites et ne rien négliger non
seulement pour le piège, mais pour son mode de fixation et pour les alentours
du piège. Trop souvent il y a négligence du piégeur, particulièrement en ce qui
concerne le mode de fixation. L'opérateur, après avoir soigneusement dissimulé
son piège, n'effectue qu'un camouflage très superficiel du mode d'attache, et
cette négligence suffit à alerter le carnassier.
Relativement à la vue, on ne peut mieux résumer
l'ensemble des opérations de camouflage qu'en disant qu'une fois le piège tendu
et placé aucun signe extérieur ne doit permettre à un œil observateur de
distinguer la plus petite différence d'aspect du lieu de piégeage avant et
après la pose du piège. C'est-à-dire que rien ne doit faire soupçonner l'emplacement
du piège et de son attache, pas plus que le passage et le séjour du piégeur.
Ceci s'obtient assez facilement avec un peu d'ordre et de méthode. A noter en
certains cas que la peinture de la palette peut aider au camouflage du piège.
Une peinture mate à base de résines de coumarine et d'indène, ou une peinture
aux vernis au caoutchouc chloré avec addition de cire en petite quantité
donnera entière satisfaction. Les nuances gris bleu, brun rouge, gris vert
mélangées permettront à un piège bien dégraissé d'être beaucoup moins visible.
Un séchage de quelques jours, et la peinture sera complètement inodore. Jadis
on employait avec succès des palettes en bois, et, ma foi, on ne s'en portait
pas plus mal ; bien entendu, ces palettes devaient être changées souvent.
Elles peuvent, du reste, être peintes également, mais on évitera avec soin les
peintures aux vernis bitumineux ou aux résines formophénoliques, qui gardent
longtemps leur odeur. On peut également employer une plaque de liège mince
comme revêtement de la palette.
Il ne faut pas pousser à l'extrême ces précautions, puisque
toute palette doit être couverte de 0cm, 5 à 1 centimètre (selon l'animal
visé) de feuilles, mousse, terre fine ou neige. Mais on a l'avantage, en cas de
tempête découvrant une partie du piège, de ne pas apercevoir un fragment de
palette jurant sur le fond (cas d'une palette noire découverte en partie sous
la neige blanche).
Toujours pour la vue, l'opérateur évitera de casser des
branches, de tourner des feuilles ou de la mousse dans la coulée ou autour du
piège ; il s'efforcera d'arriver au placeau choisi par côté et
perpendiculairement à la coulée, sans couper celle-ci en la longeant. Rien de
son séjour près du placeau ne devra subsister sur le terrain.
Pour ce qui intéresse l’odorat, le piégeur cherchera
par tous les moyens à neutraliser les odeurs du piège, de l'attache, et sa
propre odeur. Ceci avec d'autant plus de soin qu'il piège dans une zone peu
fréquentée de l'homme. Le piège et son attache frottés de genêts, de menthe
sauvage, de fougères de thym, sont à recommander, après que le piégeur s'en est
lui-même frotté les mains. Le court séjour au placeau (tendue rapide), l'emploi
d'une toile pour effectuer la tendue, le passage hors de la coulée et l'arrivée
au placeau perpendiculairement à la coulée (vent dans la figure s'il s'agit de
piégeage en coulée, vent dans le dos s'il s'agit de piégeage avec appât),
toutes ces particularités permettront un piégeage en excellentes conditions.
Quant à l’ouïe, le remède est facile : il suffit
de mettre sur la palette une couche de feuilles ou de terre fine suffisante
pour que la pluie ne « sonne » pas dessus. Là aussi la palette en
bois était supérieure.
Le toucher peut jouer un rôle quand le piégeur
n'emploie pas, comme produit de couverture du piège, les mêmes matériaux que
ceux figurant autour du placeau, ce qui est une faute grossière. Il y a des
animaux qui, soit à cause du son, soit à cause du toucher, évitent certains
passages. (J'ai connu un mulet en Tunisie qui refusait obstinément de passer
sur les ponts en bois alors qu'il franchissait allègrement ceux en maçonnerie.)
Si le piégeur emploie un appât, qu'il se pénètre bien de
l'idée que ce genre de piégeage n'a de chances que dans les mois de famine et
que, de plus, la présence d'un appât éveille aussitôt la méfiance des
carnassiers à un degré variant avec les espèces. Raison de plus pour redoubler
de précautions telles que : ne pas emporter piège et appâts dans le même
sac, poser le piège en premier, l'appât ensuite, et, en dernier lieu, placer
l'appât toujours du côté du vent par rapport à la coulée et en arrière du
piège, à une distance variant avec chaque espèce.
A. CHAIGNEAU.
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