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Les dégâts du gibier

Précautions à prendre.

Quand paraîtra cet article, le blé d'hiver aura déjà assez poussé, et comme, dans les bois voisins des cultures, il reste des lapins en trop grand nombre, ceux-ci auront fait des incursions depuis plus de deux mois dans les céréales. Les chasseurs — on le sait — qui, à la veille de la date de la fermeture, constatent qu'il leur reste plus de lapins qu'il n'est raisonnable pour assurer la reproduction de la campagne suivante, demandent, en vertu de la législation en vigueur, l'autorisation de les détruire au fusil jusqu'au 31 mars. Il y a lieu, pour cela, de faire une demande au sous-préfet par l'intermédiaire du maire, qui doit porter son avis sur la demande. La permission est individuelle pour le chasseur qui a fait la demande — qu'il soit propriétaire, possesseur ou fermier, — mais, en vue de faciliter les destructions, la préfecture accorde que le bénéficiaire de cette destruction soit accompagné de certains amis de chasse dont le nombre est porté sur l'autorisation.

On comprend cela d'autant mieux qu'actuellement la plupart des chasses sont en sociétés, et c'est en somme l'ensemble des chasseurs de cette société qui est appelé à procéder à la destruction des animaux nuisibles en surnombre, puisque, dans le cas d'indemnités à payer, c'est évidemment l'ensemble des sociétaires qui aura à les régler.

Il y a lieu d'attirer l'attention des chasseurs sur l'importance de cette question dès le début de l'année.

Tout d'abord, nous estimons que, d'une façon générale, le cultivateur n'alerte pas assez vite le chasseur quand il a constaté des dommages dans ses champs.

Tous les chasseurs n'ont pas toujours un garde complètement à leur service.

Certains ne font garder leur chasse qu'en s'affiliant à la Fédération départementale des chasseurs, et nous connaissons des gardes fédéraux qui ont plus de 15.000 hectares à surveiller. Or, dans une chasse privée, l'on estime que, pour qu'une garderie soit vraiment efficace, il ne faut pas que le garde ait plus de 300 hectares sous son contrôle.

En outre, dans une chasse privée, les terrains, bois et plaines sont généralement voisins, alors que le garde fédéral, pour aller d'une chasse à l'autre, aura parfois un assez long déplacement à faire.

Il semblerait donc juste que la plainte du cultivateur, quand elle est faite tardivement, entraîne pour lui une certaine responsabilité, et il devrait pouvoir prouver, quand il attaque en dommages, qu'il a signalé le fait pour ses cultures par une lettre recommandée adressée aux chasseurs aussitôt les dégâts constatés.

En outre, s'il voulait réellement que la chose aille rapidement, ce n'est pas en justice qu'il porterait sa plainte, mais il demanderait au chasseur une entente à l'amiable. Pour cela, il lui proposerait que chacun nomme un expert pour apprécier les dégâts, quitte à demander au juge de paix un tiers expert, au cas où l'entente ne pourrait se faire.

Par ailleurs, certains chasseurs négligent les plaintes des cultivateurs et ne se pressent pas de répondre aux réclamations qui leur sont adressées. C'est un mauvais calcul, car les affaires ainsi menées ne peuvent que s'envenimer par la suite.

Dans certaines chasses bien organisées, les cultivateurs voisins des bois sont invités aux destructions et se rendent compte ainsi des efforts faits pour éviter les dommages.

Nous en connaissons qui, chaque année, supportent des dégâts sans réclamer parce qu'ils sont très souvent invités et considèrent qu'ils sont ainsi indemnisés des pertes qu'ils subissent. Nous en avons vu d'autres réduire de moitié l'importance des dégâts pour la même raison.

La saison dernière, nous avons obtenu un excellent résultat d'une mesure que nous avons pu faire adopter par des chasseurs.

Le président d'une Société de chasse, appelé devant le tribunal de paix du canton, nous demande de le défendre, et nous nous rendons compte dès la première visite de la grande importance des dommages.

Nous conseillons de faire une destruction intensive, mais, à la visite suivante, nous voyons la situation s'aggraver.

Convié à la réunion du bureau de la Société de chasse, nous lui exprimons nos craintes, mais la majorité affirme qu'il n'y a que fort peu de lapins, étant donné le nombre restreint détruit à chaque battue.

Nous ne sommes pas de leur avis ; les lapins sont nombreux ; nous le voyons par les dommages, mais ils ne savent pas les tuer, et, fort de notre examen, nous leur annonçons plus de 500.000 francs de dégâts à la moisson s'ils ne prennent pas des mesures radicales.

— Mais que faire ? dit le président.

— Un seul moyen : votre chasse est sur trois communes. Faites savoir aux maires que vous accordez à tous les chasseurs de ces communes le droit de tirer les lapins jusqu'au 31 mars, et, à ces conditions, je crois que vos dommages n'augmenteront pas.

Il y eut du flottement dans la réunion ; certains hésitaient, à l'idée que les chasseurs communaux allaient tout tuer.

— Mais puisque vous dites qu'il n'y a plus rien, s'écria le président, que risquons-nous ?

Enfin le bon sens l'emporta et, dès le lendemain, les trois maires des communes étaient avisés de la mesure prise.

Plusieurs mois après, nous eûmes le mot de la fin.

Rencontrant un des maires, nous lui demandions s'il avait eu un écho des destructions sur cette chasse.

— Mais oui, répondit-il, ce fut une véritable aubaine pour nos chasseurs, car des sondages faits dans les trois communes on peut affirmer que, jusqu'au 31 mars, plus de 3.000 lapins furent tués !

Peu de temps après, le président de la Société de chasse qui avait, par ailleurs, entendu le même propos, nous remercia de notre intervention, « car, dit-il, nous n'avons eu qu'une somme moyenne de dégâts à payer, mais je n'ose songer à ce qu'auraient pu manger ces 3.000 lapins jusqu'à la récolte ! »

On le voit, il faut parfois ne pas s'entêter, mais savoir adopter une solution qui, sans être parfaite (car elle aurait pu être prise encore plus tôt), a cependant empêché que le paiement des dégâts ne devienne catastrophique.

Et la morale de ceci est que chasseurs et cultivateurs auront toujours le plus grand profit à s'entendre dès qu'ils constateront les premiers dégâts.

René DANNIN,

Expert en agriculture (chasse et gibier) près les tribunaux.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 204