Quand on parle de chasse pratique, c'est, avant tout, pour
l'opposer à celle des théoriciens qu'illustrent les concours. Il y a loin, en
effet, de certains jeux ou certains exercices à leur application aux réalités
de la vie. L'histoire est là, et non, hélas ! la plus ancienne, pour nous
montrer que les manœuvres militaires ressemblent peu à la bataille vraie.
Parfois aussi on entend par chasse pratique celle qui est la plus apte à
remplir le carnier. Il est bien vrai qu'en fin de compte c'est là le but de
tout chasseur ; mais les moyens d'y parvenir ont, malgré tout, pour
beaucoup de ceux-ci, une importance primordiale. Or ces moyens, chacun les
apprécie à sa façon, selon ses goûts et son tempérament, son terrain et les mœurs
du gibier qu'il chasse. Aussi cette expression « chasse pratique » ne
peut-elle avoir un sens absolu. Ce qui est pratique ici peut ne pas l’être
ailleurs, et ce qui est vrai pour l'un ne l'est pas forcément pour un autre. Le
sectarisme, en tout domaine, est un défaut insupportable. Faire l'éloge du
mulet, quand on est artilleur de montagne, n'exclut pas d'envier le cheval du
spahi.
En vérité, quand on parle de chasse pratique, on pense à
celle qui est à la portée de la majorité des chasseurs ne choisissant pas leur
terrain, n'ayant pas d'aptitudes particulières pour le dressage ou, simplement,
pour se servir d'un chien de grand influx nerveux.
Les chiens anglais, tels qu'on les présente dans des
concours spéciaux, que l'on oppose aux autres dits de chasse pratique, sont,
certes, inutilisables par certains chasseurs ; mais, employés par ceux qui
peuvent y prétendre, où et pour ce qu'ils ont été conçus, ils sont d'une
formule assurément pratique, au même titre que les épagneuls le sont dans leur
formule à eux.
Or ce qui fait la supériorité des pointers et des setters
anglais sur la plupart des autres races, c'est que l'on peut les adapter à
presque toutes les besognes naturellement dévolues, par atavisme, conformité,
tempérament, aux races qui n'ont pas à s'adapter pour les remplir.
L'erreur des supporters des chiens continentaux rappelle
celle d'une fable, où certaine grenouille voulut s'enfler pour égaler un bœuf.
La supériorité de la grenouille, c'est qu'elle est amphibie, et c'est, pour
elle, bien pratique ; elle devrait se contenter de cet incontestable avantage.
Le chien continental devrait aussi se contenter de rester ce qu'il est ; en
voulant imiter le pointer, il fera comme la grenouille. Son ambition serait
d'avoir les pattes d'un pointer ; or celui-ci, pour mieux se mettre à la
portée de tout le monde, a justement la prétention de raccourcir les siennes,
et il le fait en conservant tous ses autres moyens. Il le fait, sans penser à
déchoir et sans peur de mouiller ses pattes, quand, presque seul, il se
présente aux concours de chasse au marais, en Gironde, alors que les griffons,
sans doute las des courses éperdues dans les plaines normandes, semblent
vouloir laisser penser que, maintenant, ils sont sujets aux rhumatismes. Il le
fait quand, en montagne, aux concours sur coqs de bruyère, les épagneuls et les
braques, absents, font supposer qu'ils sont devenus asthmatiques à force de
courir derrière les bretons.
En vérité, il n'en est rien ; nos épagneuls, nos
braques et nos griffons accomplissent toujours, dans l'ombre, leur besogne,
pour la plus grande joie de ceux qui les ont conservés tels qu'ils doivent être
et rester ; mais ceux-là sont entre les mains de chasseurs qui ne sont que
cela et qui ne briguent pas ces lauriers officiels dispensés par la renommée au
prix de maints renoncements et d'ambitions démesurées pour leur nature. Ce sont
eux qui devraient montrer ce dont ils sont capables, sur leur terrain, dans
leur travail à eux, pour lesquels ils sont faits et auxquels ils sont adaptés
par un long atavisme. Or leurs représentants, leurs délégués perdent de plus en
plus cet atavisme et cette adaptation en s'essoufflant à cueillir des lauriers
qui avaient été conçus pour d'autres. Ils sont trahis par ceux dont la mission
devrait être de faire connaître leur personnalité, leurs aptitudes propres, et
qui s'emploient à les faire oublier pour la vaine ambition de faire le travail
des autres. Ce travail-là, ils le feront toujours moins bien que ceux dont
c'est la fonction naturelle. Il suffit de les voir singer les chiens anglais
aux field-trials de printemps ! Ce n'est peut-être pas la faute à ces
sportifs — beaucoup le sont — qui sacrifient leur temps et leur argent pour ce
qu'ils croient contribuer à la renommée de la race qu'ils aiment. Car ces
concours sont ce qu'ils sont, mais l'amateur en quête d'une race répondant à
ses humbles besoins, jugeant d'après ce qu'on lui montre, cherche en vain et ne
trouve pas. Pendant ce temps, les chiens anglais, dont les continentaux rêvent
de partager la place, sont en train de prendre la leur.
Il y a quelque temps, le Saint-Hubert-Club de France nous
convia à un gala cinématographique. Il s'agissait surtout de films cynégétiques
anglais et américains. L'un d'entre eux nous apprit comment on concevait la
chasse en Amérique. Deux chasseurs prenaient dans leur chenil, amplement peuplé
de pointers, quelques couples qu'ils embarquaient dans une charrette adéquate.
Eux suivaient à cheval. Dans des champs de canne à sucre, un nègre découplait
deux chiens ; ceux-ci ne tardaient pas à marquer des arrêts ; les
chasseurs descendaient de cheval et, prenant les fusils que leur tendait un
autre nègre, allaient servir les chiens. On remettait ceux-ci en laisse et l'on
prenait un autre couple. On ne sait pas, car tout va vite au cinéma, si chacun
d'eux chassait quelques minutes ou deux heures ; toujours est-il que bien
peu de chasseurs, chez nous, pourraient chasser dans des conditions
approchantes. Passe pour les pointers, mais s'il fallait aussi des nègres ! ...
Quoi qu'il en soit, ces chiens chassaient fort bien, je dirai même qu'ils
chassaient à la perfection : au bon galop ; mais jamais je n'ai cru
les voir à plus de trente, ou tout au plus cinquante mètres des chasseurs, qui,
pourtant, étaient à cheval. Ceci n'est pas une critique, mais bien
l'illustration que les Américains ne motorisent pas leurs chiens, bien que,
chez eux, la chose serait naturelle. Car ces pointers chassaient comme
d'honnêtes braques, c'est-à-dire intelligemment, à une allure proportionnée à
l'ampleur raisonnée de leur quête. Mais il y a plus : leur crâne, leur
chanfrein, leurs oreilles surtout, que la plupart avaient assez longues et
quelquefois plissées, même leur fouet (sauf sa longueur) me rappelaient
exactement certains braques français qui, j'en suis sûr, n'ont pas dans leur
sang la moindre goutte de pointer. Et, tous les chasseurs de l'assistance,
enthousiasmés, disaient : voilà des chiens avec lesquels nous aimerions
chasser. C'étaient, sans doute, des pointers, mais des pointers américains,
j'ignore s'ils sont tous ainsi outre-Atlantique ; il faut croire,
pourtant, qu'on les avait choisis, puisque le film avait pour but de rendre
hommage à cette race. On aurait écourté leur fouet, que presque tous auraient
été pris pour des braques. Or, par leur façon de chasser, ils ont conquis tous
les chasseurs présents. Si les pointers, chez nous; se présentaient ainsi, je
gage qu'ils auraient peu de faveur dans les expositions et les épreuves ;
mais, par contre, auprès des utilisateurs, ils auraient le succès qu'ils méritent.
Car, justement, c'est quand il redevient continental que le pointer, et le
setter aussi, se met à portée de ce chasseur moyen, qui n'a pas l'âme d’un
dresseur et qui chasse en terrains variés. Ce ne sont pas les grands coursiers,
aux formes levrettées, qui peuvent remplacer les braques ; or ce sont eux
que ceux-ci voudraient égaler ! Quant le pointer ou le setter anglais
donnent satisfaction à ces chasseurs moyens, dits par d'autres rustiques,
majorité des porteurs de permis, sans abandonner leur noblesse, ils se sont mis
à leur portée, ont épousé leurs goûts et leurs moyens.
Depuis trente ans, directement ou avec des amis, j'ai bien
souvent chassé avec des chiens de ces deux races. Ceux qui restaient de grands
coursiers étaient parfaitement insupportables en nos terrains accidentés et
semés de trop de couverts ; mais ceux qui voulaient bien chasser comme des
épagneuls ou des braques (et je ne conçois nullement ceux-ci trottinant à dix
mètres, cette légende n'a plus cours) étaient de remarquables chiens. Certes
parfois, après une journée de huit heures de chasse, ils demandaient un repos
de deux jours et regardaient d'un œil contrit, le lendemain, repartir leur
compagnon braque ; mais nous n'avions ni nègres, ni fourgon, et ils nous ont
donné la preuve que, si nous ne savions garder à nos continentaux la place qui
est la leur, ils assureraient la relève.
C'est rendre hommage aux pointers et setters que reconnaître
leurs mérites et leur adaptation à des fonctions normalement échues à des races
faites pour elles ; mais cette adaptation suppose le retour partiel du
pointer à son ancêtre braque et du setter à l'épagneul ; telle n'est pas
leur vocation, pas plus que celle d'un continental n'est de singer un chien de
race anglaise. A chacun la mission pour laquelle l'a conçu la nature, et,
puisque justement elle a conçu des chiens divers bien adaptés à nos divers
besoins, n'essayons pas de renverser leurs rôles. Rien ne remplacera dans leur
spécialité les braques, les griffons, les divers épagneuls, leur endurance,
leurs instincts, leur caractère ; mais rien non plus n'égalera dans leurs
fonctions particulières les pointers et setters.
Au lieu de démolir, employons-nous à maintenir !
Jean CASTAING.
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