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Utilité des concours de pêche

II y a déjà quelques années, je rencontrai, à Lyon, un ancien camarade de pêche devenu un « as » de la mouche sèche, dépassant de beaucoup en habileté son professeur. Après les compliments d'usage, on en vint tout naturellement à parler de notre art. Je lui annonçai mon intention de me rendre bientôt à un grand concours, dans une importante cité du Nord-Est de la France, et lui demandai s'il voulait m'y accompagner. « Les concours, me dit-il, ce sont de vastes blagues, des attrape-nigauds ; je n'y vais jamais. Ce sont des prétextes à défilés bruyants, à banquets, à beuveries, à discours ennuyeux et inutiles ; jamais les bons pêcheurs n'y remportent les prix, le hasard fait tout. » Devant des dispositions aussi hostiles, aussi arrêtées, je n'insistai pas, on parla d'autre chose et nous nous quittâmes bons amis. Quant à moi, je ne manquai pas de me rendre au concours à la date fixée et n'eus point à m'en repentir. Je vis, là, opérer des praticiens de premier ordre et fus initié de visu aux méthodes lilloises, roubaisiennes et saint quentinoises, que je ne connaissais guère que par ouï-dire. Je pus admirer à mon aise l'habileté prodigieuse de certains pêcheurs réputés, la dextérité avec laquelle ils remplaçaient en quelques secondes un hameçon enlevé, un bas de ligne rompu, une plombée trop lourde ou insuffisante, etc. ; je pus voir avec quel jugement ils distribuaient leur amorce sur l'aire restreinte assignée à chacun, la sûreté et la rapidité de leur ferrage et le peu de manques à inscrire au passif ; c'était vraiment merveilleux. J'avoue avoir pris là de précieuses leçons et en être revenu enthousiasmé. Ce fut un célèbre « lignard » roubaisien qui remporta la palme avec 121 pièces au tableau, en trois heures de temps. Vraiment, il était loin de la bredouille, cet « as » de la gaule, et je regrettai fort l'absence de mon ami lyonnais contempteur des concours.

Et, cependant, ont-ils été assez décriés ! Comme mon ami, un certain nombre de confrères se figurent que ce ne sont là que manifestations tapageuses, prétextes à toutes sortes d'inepties. Les banquets, surtout, qui sont presque toujours du programme, les a-t-on assez bafoués ! Eh bien ! croyez-moi, tout ceci est fort loin de la vérité. Évidemment les pêcheurs ne sont pas des saints, des ascètes. Ils ne boudent pas la bonne chère, les propos égrillards, les bons vins et le bruit. Mais là, entre nous, croyez-vous qu'à ces banquets on ne fasse que porter des « kiosques » et ouïr des chansons grivoises ? Non ! ... il s'y passe aussi autre chose. Très souvent, au dessert, on verra se lever quelque « spécialiste » qui va nous parler, en idoine, d'un mode de pêche tout nouveau, inconnu, ou du moins jusque-là pratiqué avec une insuffisance notoire ; il donnera les détails nécessaires, et tous pourront profiter de cette rare aubaine.

Et puis, à la table d'honneur, pensez-vous que les dirigeants de nos sociétés passeront leur temps à débiter des fadaises ? Non, encore ! ... Le plus souvent, leurs entretiens porteront sur des questions fort importantes pour leurs groupements : administration intérieure, comptabilité, législation, etc. Souvent encore, un président compétent et avisé nous parlera du repeuplement, de ce qui s'est fait chez lui et des résultats obtenus. Il nous expliquera les raisons des premiers insuccès rencontrés; et comment il s'y est pris pour arriver à posséder des lots bondés de poissons.

Mais les concours ne sont pas seulement utiles aux seuls pêcheurs. Le commerce local, et même régional, va aussi y trouver son compte. La venue de nombreux étrangers à la localité, qu'attire toujours l'annonce d'un grand concours, stimule toutes les activités, toutes les transactions. La réclame s'étale sur les murs, les enseignes, les devantures. Les spécialités locales sont vantées et portées à la connaissance des visiteurs. Ceux-ci, outre les lauréats du concours qui remportent de nombreux et souvent très beaux prix, ne s'en retourneront pas chez eux sans un souvenir quelconque pour les membres de leur famille qui n'ont pu effectuer le déplacement. Friandises, jouets, étoffes, parures, objets de luxe, voire articles de pêche ou de chasse les suivront dans leur retour ; tout cela, on le comprend, n'ira pas sans profiter au pays.

On fait connaissance entre pêcheurs des sociétés concurrentes, des amitiés se nouent ; on se donne rendez-vous pour plus tard, quand la localité du nouvel ami se décidera aussi à organiser un concours, car la réussite engendre l'émulation.

Souvent, entre pêcheurs commerçants ou industriels, des relations d'affaires s'amorcent et on acquiert ainsi de nouveaux clients auxquels on n'eût pas songé sans cette visite. Et beaucoup d'autres choses encore, bonnes, excellentes, sont les résultats directs ou indirects des concours.

Après ces constatations, que nous ne pouvons indéfiniment prolonger et qui nous ont mené un peu loin de l'aspect sous lequel le public aperçoit généralement les concours, est-il encore possible de nier leur utilité ?

Aussi, comme un autre de mes camarades de pêche, à l'esprit fort enclin à la facétie, je répéterai sans aucune hésitation les propres paroles qu'il prononçait à l'issue d'une de ces manifestations particulièrement réussie :

« Amis pêcheurs, qu'on coure aux concours ! »

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 213