Sait-on que l'eau de mer — la seule qui intéresse les bassiers
— est plus froide au début du printemps qu'au début de l'hiver, à tout le moins
à la fin de l'automne ? C'est un fait non discuté qu'elle se réchauffe
aussi lentement qu'elle se refroidit. Et, malgré l'inclémence de l'air ambiant,
on a plus souvent la possibilité de continuer à pêcher dans de moins
désagréables conditions, à mer basse, l'automne et l'hiver qu'à l'instant du
renouveau.
C'est pour cette raison surtout qu'avril ne doit guère être
consacré qu'à des cueillettes de mollusques, dans la mesure où, justement, de
telles pêches se pratiquent à pied presque sec, ne nécessitant tout au plus
qu'une simple humidification plantaire, pour qui n'est pas botté de crêpe.
Encore faut-il les choisir, ces mollusques.
On commencera par rayer les moules de leur liste. Ce « coquillage »
est certes accessible, mais il se montre rarement savoureux à la fin de
l'hiver, de chair maigre et de peu appétissantes couleurs. Mieux vaudra
attendre juin et juillet, lorsque la douceur de la température et de l'eau
comme le soleil du printemps l'auront aidé à grossir et à blanchir.
Mais, dès avril, il reste à la disposition des amateurs
nombre d'autres excellentes espèces de mollusques, dont la pêche fera l'objet
de cette chronique : les vanneaux ou nions, les flies ou patelles, les rans
et les vignots.
Si je cite au premier rang le vanneau, c'est que, mal connu
sur le littoral de France, où il lui arrive pourtant de pulluler parfois, ce
mollusque bivalve offre une particulière succulence.
Certes, le vanneau a contre lui son exiguïté même. Enfermé
dans une double coque ovoïde et fort aplatie, d'un blond brillant, il ne
dépasse point 3 ou 4 centimètres de longueur. Il ne contient donc que peu de
substance alimentaire à l'unité et par rapport au poids de ses valves. Mais sa
chair est des plus fines : elle passe, sur certains points de nos côtes,
pour un régal, au dire des amateurs avertis (dont je me flatte d'être).
Le vanneau ne se découvre malheureusement que dans d'assez
rares, de trop rares secteurs marins. On le trouve sur des grèves de sable mou,
presque toujours à la hauteur des limites de morte-eau et, la plupart du temps,
à petite distance d'une rivière à alluvions, souvent à l'emplacement même d'une
ancienne embouchure dérivée — j'ai constaté le cas dans le Calvados et le
Pas-de-Calais. Sur de tels emplacements, on péchera avec profit le vanneau au
milieu et à la fin du présent mois et aux mêmes dates environ en mai.
En fait, les « coins à vanneau » émergent
également en vive-eau, cela tombe sous le sens, en renversant le vieil adage :
qui peut le plus peut le moins. Mais c'est en morte-eau que les mouvements du
flux et du reflux sont les plus lents, et un trop rapide assèchement des sables
nuit nettement au procédé de pêche que je vais dire.
C'est le reflux, d'un rythme toujours moins vif, qui
convient le mieux aux pêcheurs de cette sorte, et ils peuvent y pratiquer leur
curieux art dans quelques centimètres d'eau à peine. Par paradoxe, une telle
pêche s'effectue simultanément au moyen des pieds et des mains : le pied
pour faire sortir le mollusque de son gîte, la main pour le saisir dès qu'il
jaillit du sable.
Le pêcheur se met en position un peu en deçà de la vague
mourante, qui s'aplatit en festons sur la grève, les pieds nus (ou chaussés
d'espadrilles) à peine mouillés. Il écarte alors les jambes et entreprend un
mouvement de balancier d'une semelle sur l'autre — un peu à la manière d'un
ours savant.
Le résultat de ce « piétage », terme usité des
professionnels, c'est que les vanneaux, surpris par le brusque affouillement
des sables et trompés par ce phénomène annonciateur du flux, sortent par
groupes de leur cachette, issus du sable par l'extrémité effilée de leur coque,
avant de s'aplatir immédiatement en surface. Le spectacle de cette émersion est
des plus singuliers, mais ne dure guère. Car les vanneaux s'empressent de
regagner leurs profondeurs et le font avec une prestesse dont le profane n'a
pas la moindre idée.
Le pêcheur de vanneau doit alors ramasser au plus vite ses
prises, s'il ne veut pas qu'elles lui échappent, tout en continuant à piéter
sans arrêt. Pratiques, les professionnels aiment à se munir d'une raclette à
long manche, assez semblable au râteau des croupiers : ils s'en servent
pour amasser en tas les vanneaux jaillis du sable, ce qui paralyse leur fuite.
Si le flion est un mets de qualité, on n'en peut tout de
même dire autant de la flie, qui ne lui ressemble que de nom. La flie, la
patelle classique, appelée parfois « chapeau chinois », est un
mollusque de chair plutôt dure, enfermée dans une coque conique. Assez lisse,
généralement striée à l'horizontale, cette coque possède une base souvent
arrondie, quelquefois ovale. La flie vit collée au rocher, où elle adhère par
le moyen d'une solide ventouse, et presque toujours sous des algues brunes et
touffues.
Le ramassage de la flie n'est point si aisé qu'on pourrait
le croire. En raison de la vigueur avec laquelle elle fait corps au rocher, il
faut la détacher d'un coup de crochet sec, ou, mieux, en insérant une lame de
couteau entre la coquille et la pierre. Si costaud qu'on puisse être, il
demeure presque impossible d'arracher la flie au seul moyen de la poigne.
On rencontre surtout la flie en Bretagne et dans le Cotentin,
où on la consomme crue ou, de préférence, cuite au gril. Mais, je le répète, ce
n'est pas un mollusque de surchoix.
Le ran, ou buccin ondé, ou parfois calicacot, colle, lui
aussi, au rocher, mais on l'en détache facilement, d'une légère traction de la
main. Dans l'ordre des valeurs gastronomiques, il est très supérieur à la flie.
Si sa chair s'apparente un peu a celle de cette dernière, bien qu'infiniment
moins coriace, sa forme s'en écarte absolument : c'est une conque
allongée, torsadée en plusieurs spirales, un peu à la manière d'un cornet à la
crème.
Les dimensions du ran oscillent entre cinq et dix
centimètres, selon l'âge ou l'espèce — qui comporte certaines variétés, — mais
ce ne sont jamais les plus grosses unités qui s'avèrent les plus fines ;
je mets en garde les gourmands contre le préjugé de grandeur. On aura intérêt à
ramasser de préférence de petits rans plutôt que des gros, les premiers
toujours plus tendres et plus « goûtus » que les seconds.
Le ran vit parfois en véritables colonies, notamment aux
extrêmes lisières de grande marée. On a tôt fait d'en remplir un plein panier.
Il est d'ailleurs fréquent qu'en basse-eau le ran se trouve détaché de son
assise habituelle et gise en vrac sur les plateaux sous-marins.
D'une saveur très supérieure, le vignot, ou vigneau, lui,
est de bien plus petites dimensions. Il existe, là encore, diverses variantes
de l'espèce, caractérisées surtout par des différences de couleur de coque, de
forme aussi.
Le vignot se présente le plus souvent sous l'aspect d'une
minuscule boulette, noire ou grise, d'un ou deux centimètres de diamètre au
maximum. Comme le ran, il vit dans une coque spiralée, mais aux spirales
écrasées et non plus allongées. L'orifice est toujours obstrué par une
pellicule assez dure, appelée cachet, qui permet à l'animal de se tenir à la
fois clos et couvert.
Le vignot pullule véritablement sur les côtes rocheuses de
l'Atlantique et de la Manche. On l'y ramasse sans autre peine que celle de se
baisser. Lui aussi vit en colonies, surtout aux environs de la basse-eau — par
grande marée.
Court-bouillonné, comme le ran, le vignot s'extrait moins
aisément de sa coquille, en raison de son exiguïté et surtout de son
enroulement. II faut l'y cueillir, après cuisson, au moyen d'une longue
épingle, en risquant souvent de laisser à l'intérieur de la coque les deux
tiers postérieurs du mollusque, dont la queue, la partie la plus fine.
Tels sont les principaux mollusques dont il vous sera
loisible de faire provision si, en ces temps printaniers, vous vous trouvez sur
quelque côte à rochers de varech. Vous y rencontrerez aussi quelquefois des
oursins de petite taille. Ne vous embarrassez pas de ces fausses châtaignes de
mer, dont la Méditerranée seule conserve le privilège. Ailleurs, ce mollusque
ne vaut pas chipette.
Maurice-Ch. RENARD.
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