La Coupe de France de football, qui fait non pas concurrence
(puisqu'il s'agit à peu près des mêmes compétiteurs), mais plutôt double emploi
avec le championnat, est une épreuve bien curieuse, par les surprises dues au
système du tirage au sort, et particulièrement populaire. Démocratique par
excellence, elle permet, en principe, à tout club, fût-il de chef-lieu de
canton, d'accéder à la gloire suprême. En principe, disons-nous, car, en
réalité, on voit rarement de « petits clubs » dépasser les quarts de
finale, ce qui d'ailleurs est déjà magnifique, et particulièrement méritoire.
Mais comment expliquer ces surprises à sensation que nous
apporte chaque dimanche la Coupe depuis les trente-deuxièmes jusqu'aux quarts
de finale ?
Sans doute par des raisons psychologiques plutôt que
techniques, car il est probable que, si ces clubs amateurs étaient obligés de
jouer pendant quarante dimanches de suite en championnat contre les pros, ces « accidents »
n'arriveraient qu'à titre exceptionnel. Au contraire, en Coupe, les conditions
se présentent sous un autre angle. Les ténors pros, fatigués par une longue
saison, absorbés par les dures exigences d'un calendrier de championnat très
chargé, pour terminer lequel il leur faut se ménager et éviter les blessures,
peut-être aussi trop confiants en leur classe et en leur réputation,
n'attachent-ils pas à certains matches de Coupe l'importance qu'ils méritent.
Ils ont, de plus, tendance à jouer au lièvre contre la tortue. Tandis que, pour
un club amateur, le match de Coupe est le grand événement de la saison ;
c'est une des rares occasions qui s'offrent à eux de rencontrer les équipes
célèbres et de montrer leurs qualités, voire de faire une recette utile pour
équilibrer un budget difficile. Aussi s'y préparent-ils des semaines à
l'avance, avec tous leurs muscles, tout leur cerveau et toute leur foi, et
prennent-ils ce jour-là tous les risques de la « course au tombeau ».
C'est ainsi que souvent ils se surpassent et accomplissent de remarquables
performances, telles, l'an dernier, celles de l'Arago d'Orléans et, cette
année, de Sedan ou d'Annecy. Et ces considérations ne constituent pas à leur
égard une critique. Bien au contraire, c'est rendre hommage à leur sportivité,
à leur amour du football, et l'occasion de constater qu'il n'y a pas une telle
différence de classe entre ces équipes et les grandes formations pros. Il est
certain que, si beaucoup d'équipes d'amateurs pouvaient profiter de la sécurité
et des moyens d'entraînement que possèdent les pros, on trouverait parmi elles
des formations capables de jouer les premiers rôles. C'est d'ailleurs, par
définition, parmi les meilleurs amateurs que l'on recrute les professionnels au
fur et à mesure des besoins.
Pour toutes ces raisons, la Coupe est l'épreuve sportive la
plus populaire en France, avec le Tour de France cycliste. Elle a aussi pour
avantage de donner l'occasion, à certaines villes peu favorisées, d'offrir à
leur public un ou deux grands matches chaque saison. S'il y avait un « sweepstake »
pour la Coupe de France, il y aurait, à chaque tour, de grosses cotes.
Et pourtant, chose curieuse, la Coupe ne fait pas les
recettes qu'on pourrait, à première vue, en espérer. Ceci tient au chauvinisme
local, déçu parce que leur équipe locale n'évolue pas devant son propre public.
Dans un souci très respectable de neutralité, on a pris en effet pour principe,
chez nous, de faire jouer la Coupe sur terrain neutre. Or il n'est pas démontré
que le fait de jouer sur son propre terrain soit pour une équipe un avantage
tellement considérable, mais ce qui est certain, c'est que, dans une ville
donnée, les spectateurs se rendent moins nombreux pour voir jouer deux équipes
étrangères, si célèbres soient-elles, que pour aller applaudir leurs joueurs
locaux et favoris, et qu'ils s'intéressent moins à ces joueurs qu'ils ne
connaissent pas, sinon par la lecture hebdomadaire des journaux.
Il serait intéressant de tenter au moins une fois
l'expérience de faire jouer la Coupe sur le terrain d'un des deux adversaires,
ou tout au moins dans sa ville, pour voir si, comme il est probable, les
recettes seraient supérieures, et si l'équipe visiteuse serait fatalement
lésée. Il faut croire que ce système a du bon puisque, en Angleterre, où le
football est encore plus prospère et populaire que chez nous, la Coupe se joue
sur le terrain, tiré au sort, de l'un des deux compétiteurs en présence.
Le rugby, lui aussi, a sa Coupe. Mais, on ne sait trop
pourquoi, elle semble un peu méprisée par les grands clubs du ballon ovale, qui
concentrent toute leur attention sur le championnat. Aussi cette Coupe de
France du rugby, pourtant intéressante, est-elle loin de passionner le grand
public comme celle du ballon rond.
Robert JEUDON.
|