Pour des raisons économiques, techniques et aussi parce que
la mode est à nouveau à l'ensilage, on en parle de tous côtés ; nous
assistons à une éclosion de moyens nouveaux permettant de mieux réussir et, naturellement,
chacun essaie de prouver qu'il a raison. De sorte qu'à côté des résultats de
laboratoire, d'essais systématiques, on est en présence de documents de valeur
qui permettent tout de même sur le plan des réalisations de se faire une
opinion éclairée.
Le Chasseur Français a déjà publié quelques notes
relatives à cette intéressante question, nous avons essayé de faire la mise au
point des données nouvelles et tenté de chercher dans quel sens une évolution
pourrait se produire. Il est bien certain que, si tous les animaux de la ferme
acceptent de consommer des fourrages ensilés, les bovins sont les mieux
indiqués, même pour éprouver le minimum d'inconvénients si l'ensilage n'a pas
été parfaitement réussi.
Dans cet ordre d'idées, on s'est demandé si la similitude
d'aspect général, volume, teneur en eau notamment, ne serait pas de nature à
faire substituer les fourrages ensilés à la betterave fourragère. Essayons de
raisonner le problème et appuyons-nous sur des données d'ordre pratique. En
gros, la betterave est une plante sarclée ; sans être aussi exigeante que
la betterave industrielle, elle demande néanmoins une préparation poussée ;
qu'il s'agisse de cultures importantes lorsqu'on quitte les régions qui trouvent
dans les pulpes l'aliment de masse pour les bovins, ou de petite culture, la
betterave est bien soignée ; par conséquent, après elle, le milieu est en
bonnes conditions pour recevoir du blé. Comme les exploitations qui adoptent la
betterave fourragère ne lui consacrent pas une surface comparative aussi
importante qu'ailleurs à la betterave industrielle, on ne risque pas, en
général, d'être retardé par les semis de blé ; en reculant parfois la
récolte des racines, on pense souvent à réduire la période de conservation,
mais le blé en souffre.
Contre-partie, la plante sarclée coûte cher à obtenir, elle
représente des tonnages importants qu'il faut rentrer, mettre en réserve et
manutentionner à nouveau pour arriver à la cossette mélangée à la menue paille ;
il y a en ce moment une tendance à donner des betteraves entières ;
attention à la terre, attention aux accidents éventuels ! Il faut
conserver la betterave ; on réussit lorsque l'on réfléchit aux exigences
d'un organisme vivant, sensible à l'altération : plaies de toutes sortes,
y compris la plaie de sectionnement au collet, ce qui fait adopter par certains
la torsion des feuilles, manque d'aération, pourriture, risques de gelées, etc.
On ne compte pas les heures qui sont passées autour des betteraves dans les
petites fermes, aux heures qu'il faut payer au personnel ; la ration coûte
cher.
II est évident que les fourrages ensilés apparaissent sous
un jour plus agréable. Pas de préparation spéciale, sauf dans le cas de culture
de fourrages annuels, mais simple récolte lorsqu'il s'agit de prairies naturelles,
de prairies artificielles ; travail dans la belle saison ; de bonne
heure, la réserve de fourrages est faite pour l'hiver ; en temps opportun,
s'il s'agit de terres à mettre en blé, on labourera ; la terre sera mise
en état, les semis effectués en saison convenable, et il n'y aura plus qu'à
distribuer une ration toute préparée.
Objections : la céréale qui succède au fourrage récolté
pour l'ensilage sera-t-elle aussi bonne, puisque la préparation du terrain
n'apparaîtra pas très complète ; il est vrai que le semis exécuté deux,
trois ou quatre semaines plus tôt, apportera une compensation. Par-dessus tout,
le silo ne va-t-il pas coûter bien cher en face du tas de betteraves d'une
montée peu coûteuse et dont la protection avec de la terre n'entraîne pas une
grande dépense. Enfin, si l'on sait monter les betteraves en tas,
obtiendra-t-on une réussite égale en ensilant les fourrages ?
Incontestablement, il y a des dépenses de premier
établissement dans de nombreux cas, l'ensilage demande une connaissance du
sujet, des précautions qu'il est indispensable d'observer. Prix des silos :
il existe bien des genres de silos, la tranchée en terre, vers laquelle les
Américains sont venus, servis par des machines puissantes qui se font un jeu de
recommencer une nouvelle tranchée le jour où la tranchée ancienne aux parois
colmatées, infectées, risquera d'amener de fortes pertes au contact de cette
terre ; on améliore les parois d'une fosse plus confortablement
construite, on peut même établir un hangar léger qui protège le fourrage.
La meule a été élevée sans frais, soit à la ferme, soit au
milieu des herbages. Le silo-tour, avec ses diverses réalisations, constitue un
cadre magnifique pour la conservation, mais il revient à un prix très élevé et
la machine à ensiler dans ses types les plus répandus est coûteuse à utiliser.
Le silo-cuve a paru être le dernier cri, facile à construire, apparemment
commode à remplir ; toutefois la dépense, même réduite, constitue une
charge. L'usage d'un silo-cuve exige une technique précise en ce qui concerne
les produits destinés à l'acidification du fourrage ; il semble qu'il y
ait une réaction pour revenir à la meule. Enfin, en 1950, après des tentatives
individuelles qui ont montré la voie (Fanier), des constructeurs avisés lancent
sur le marché des cages pour faciliter le montage ; on a même en Italie —
le pays de l'ensilage crémasque qui pourrait peut-être se combiner avec le
ramassage des fourrages demi-secs au pick-up — construit un dispositif curieux
essayé avec succès en Algérie qui réalise le montage parfait en même temps
qu'un tassement impeccable et sans fatigue pour le personnel.
Donc, on peut, on doit réussir l'ensilage et avoir, pour
l'hiver, des fourrages abondants et sains à distribuer aux animaux. M. J.
Aveline, dans le Perche, n'a pas hésité, il y a un quart de siècle, à supprimer
les betteraves. Actuellement, M. Cl. Benoist, à Moyencourt (S.-et-O.), s'est
fait le champion des idées nouvelles. Empruntons-lui quelques chiffres. En
premier lieu, grâce à l'ensilage, on coupe de bonne heure de la luzerne présentant
son maximum d'éléments utiles et digestibles ; un hectare de luzerne en
plusieurs coupes, 44 tonnes ensilées donne 1.232 kilos de protéines
digestibles, alors que la transformation en foin, 11 tonnes, ne fournira que
660 kilos. Si la luzerne n'est pas d'une culture certaine, à cause de la nature
du sol, le pois fourrager, la féverole fournissent des quantités importantes de
protéines ; 1.500 kilos par hectare. M. Benoist estime que le kilo de
protéine revient à 60 francs avec la luzerne ensilée, à 100 francs dans le
tourteau. Il a supprimé la betterave fourragère ; j'en ai fait autant à la
ferme extérieure de Grignon. Agriculture vivant sur la ferme, amélioration par
l'azote des légumineuses. Ce point capital doit retenir l'attention.
L. BRETIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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