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Les essences de reboisement

Épicéas et tsuga

I. Les épicéas.

— Il est courant de confondre épicéa et sapin : ces deux genres sont cependant très différents au point de vue botanique, malgré leur aspect d'ensemble analogue (aiguilles courtes). Alors que les sapins ont des aiguilles aplaties, disposées en peigne et insérées sur le rameau lisse par une petite ventouse ronde, l'aiguille losangique de l'épicéa est, au contraire, reliée au rameau par un « coussinet »» qui donne au rameau un aspect cannelé. De plus, les cônes du sapin, dressés, se désarticulent sur l'arbre, alors que les cônes d'épicéas sont pendants et tombent entiers.

Au point de vue écologique, les épicéas diffèrent également des sapins ; ce ne sont pas des essences d'ombre, mais des essences de demi-lumière, pouvant se régénérer dans de larges trouées. L'enracinement est plus traçant, moins pivotant que celui du sapin, ce qui permet aux épicéas de végéter sur des sols superficiels ou à plan d'eau peu profond, mais augmente les risques de chablis. Le bois de l'épicéa est excellent s'il s'agit d'individus à croissance lente (montagnes, pays nordiques) ; le bois, de grain fin, peut alors être destiné à l'aviation, la lutherie. Mais la qualité est différente pour les arbres de plaine à croissance rapide ; le grain plus grossier ne permet guère que l'utilisation comme bois de caisserie ou de râperie.

Les graines d'épicéas, ailées, s'obtiennent facilement en chauffant les cônes dans un séchoir ; on les sème en pépinière et on repique à deux ans ; on plante à trois ou quatre ans.

Parmi les espèces d'épicéas utilisées dans le reboisement, c'est l'épicéa commun (Picea excelsa) qui vient en première ligne. Parmi les exotiques, deux surtout sont importants : l'épicéa de Sitka, originaire de la côte ouest du Canada, et l'épicéa d'Orient, originaire du Caucase. Enfin, nous citerons quelques espèces à intérêt ornemental.

1° L'épicéa commun :

Cette espèce, spontanée dans les hautes montagnes à forte pluviosité (Vosges, Jura, Alpes) est utilisée sur une large échelle pour le reboisement, non seulement en montagne, mais aussi en plaine ; c'est son extrême plasticité en regard des diverses conditions de milieu qui lui permet de s'adapter à des stations aussi variées. Mais elle reste exigeante en humidité du sol et de l'air : elle convient surtout aux sols compacts, argileux, mal drainés. Sauf en haute montagne, elle ne résiste pas aux sécheresses accentuées, qui diminuent sa vitalité et la rendent particulièrement sensible aux attaques de bostryches : c'est là l'origine des dégâts considérables exercés par cet insecte, dans presque toutes les plantations d'épicéas de basse altitude au cours des récentes sécheresses estivales. De plus, l'épicéa est sensible à l'attaque d'un champignon, qui pénètre par les racines et cause la pourriture rouge du cœur, sur les sols très argileux et riches en matières minérales.

2° L'épicéa de Sitka (Picea Sitchensis) :

L'aire de cette espèce canadienne longe la côte du Pacifique, dont elle ne s'éloigne guère de plus de 100 kilomètres, jusqu'en Alaska. Son habitat définit ses exigences : il s'agit d'une essence océanique, très sensible à la sécheresse atmosphérique, ne réussissant que dans les régions côtières. Elle se reconnaît facilement à ses aiguilles raides et piquantes, vertes en dessus, blanches en dessous, et à son cône à écailles gaufrées.

L'intérêt de cet arbre qui, dans son pays d'origine est le « Spruce » géant, réside essentiellement dans sa très grande rapidité de croissance, bien supérieure à celle de l'épicéa commun.

Cette essence est susceptible de réussir sur tous les sols (à condition qu'ils ne soient pas trop secs) dans les provinces maritimes suffisamment septentrionales ; son emploi est particulièrement indiqué en Bretagne et en Normandie.

3° L'épicéa d'Orient :

Originaire du Caucase, cette espèce se reconnaît à ses aiguilles très courtes et à ses jeunes rameaux velus. Le cône a la taille et l'aspect d'un cigare. L'épicéa d'Orient présente l'intérêt d'être plus xérophile que les deux précédents et, par conséquent, de résister bien davantage à la sécheresse du sol et de l'atmosphère. Mais sa croissance est lente, sa forme souvent médiocre, ce qui diminue beaucoup sa valeur forestière. De plus, il est sensible aux attaques du puceron du sapin, Dreyfusia Nusslini, dont une partie du cycle vital se déroule sur le sapin, l'autre partie sur l'épicéa d'Orient.

Citons, pour terminer, deux espèces d'un très grand intérêt ornemental qu'on rencontre très fréquemment dans les parcs. L’Epicea Omorica, dont l'aire très réduite se trouve dans les Balkans, est ornemental par son port très particulier, ses branches tombantes, redressées à leur extrémité ; l’Epicea pungens, originaire des régions sèches des Rocheuses, se reconnaît à ses aiguilles très piquantes et bleutées. Mais ces deux espèces manifestent une croissance très lente.

II. Les tsuga.

— Les tsuga se rapprochent des sapins par leurs aiguilles aplaties, courtes, blanches en dessous ; mais elles ont un cône allongé et conique qui ressemble à un cône d'épicéa de très petite dimension.

Deux espèces américaines ont été souvent plantées dans les parcs : la première, Tsuga canadensis, originaire de l'Est canadien, n'a cependant aucun intérêt, ni forestier, ni ornemental ; sa forme est défectueuse, sa croissance lente. Son emploi doit donc être proscrit et la confusion avec l'espèce suivante doit être évitée à tout prix.

Au contraire, Tsuga heterophylla, originaire de la zone côtière humide du Pacifique, offre un grand intérêt pour le reboiseur ; sa croissance est remarquablement rapide, sa forme forestière excellente et son défilement faible. Le bois blanc, léger, est utilisable pour la menuiserie de qualité moyenne. Mais il importe de souligner que l'écologie de cette espèce se rapproche de celle du sapin pectiné : elle est extrêmement exigeante en eau, eau du sol et eau atmosphérique ; de plus, c'est une essence d'ombre caractérisée. Il faut donc l'employer dans les régions à climats humides, les montagnes bien arrosées, ou les plaines soumises à l'influence atlantique. La technique de son utilisation est analogue à celle des sapins : on doit, en effet, se garder de planter Tsuga heterophylla en plein découvert, mais, au contraire, l'introduire sous un abri suffisamment dense (coupe d'abri dont nous avons parlé à propos des sapins).

Conclusion.

— Moins riches en variétés que les sapins et surtout que les pins, les épicéas sont cependant des espèces intéressantes pour le reboiseur. L'épicéa commun est particulièrement utile en raison de sa grande plasticité à l'égard des facteurs du milieu. Son emploi assure une réussite immédiate presque à coup sûr si le sol n'est pas trop sec. Sa plasticité à l'égard de la lumière permet de l'utiliser, en regarni dans des clairières en forêt, aussi bien qu'en sol nu. Mais en contrepartie l'utilisation de cette essence est sujette à des dangers (bostryche, pourriture rouge du cœur) qui peuvent obliger le propriétaire à des réalisations prématurées.

Autant l'épicéa apparaît comme l'essence plastique propre à des usages variés, autant l'emploi de Tsuga heterophylla apparaîtra limité : cette espèce, remarquable tant au point de vue ornemental que forestier, devra être réservée aux climats très humides et toujours plantée sous abri.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 231