Après l'incertitude du printemps, une généreuse et abondante
floraison donne à la colonie une impulsion rapide ; le miel s'amoncelle
dans les alvéoles et, parallèlement, la reine augmente sa ponte tous les jours.
Bientôt tout est garni et, dès qu'une cellule est libérée par une naissance,
c'est la compétition entre les ouvrières pour se décharger de leur nectar. Le
nombre toujours grandissant de nouvelles abeilles rend irrespirable l'air de la
ruche, et une partie des ouvrières flâne et se met en grappe à l'extérieur ;
on dit que les abeilles font la barbe.
La vieille reine est inquiète, le manque de place lui fait
chercher les quelques cellules encore vides sur les bords des cadres pour y
pondre. Les nourrices, très nombreuses, s'empressent alors de les agrandir et
elles les gavent de gelée. Ce sont les alvéoles royaux autour desquels d'ores
et déjà montent la garde quelques sentinelles envoyées là par « l'esprit
de la ruche » pour les défendre contre les attaques possibles de la
vieille reine, qui ne veut pas se laisser détrôner.
Mais le destin doit s'accomplir et ainsi le veut d'ailleurs
la plus forte loi de la nature, l'instinct de reproduction, lequel s'assouvit
par l'essaimage pour les habitants de la ruche.
On peut, avec Maeterlinck, être confondu devant cet acte qui
dépasse notre entendement. Comment concevoir en effet que la reine et ses
suivantes abandonnent ainsi un logement regorgeant de miel et de berceaux pour
partir à l'aventure, allant chercher au loin une demeure vide et souvent
inconfortable, laissant à d'autres les trésors accumulés au prix de combien
d'efforts ! Mais la nature est là, implacable, qui veut la reproduction de
l'espèce, et c'est à cet instinct qu'elles obéissent comme tous les êtres
vivants.
Vers le milieu d'un beau jour calme, alors que le soleil
darde ses rayons ou que le temps est orageux, comme à un signal donné, tout à
coup un flot ininterrompu d'abeilles sort de la ruche, entraînant avec lui la
vieille reine. Quelle douce musique font à nos oreilles ces dizaines de
milliers d'insectes ! Le nuage vivant semble hésiter un moment puis, petit
à petit, se dirige vers un point donné, arbre ou haie, sur lequel la reine
vient de se poser. Toutes les abeilles s'agglutinent autour d'elle et, bientôt,
c'est une grappe vivante et immobile que nous avons devant nous.
L'essaim primaire se pose généralement à proximité de la
souche, la vieille reine, alourdie, étant essoufflée par ce premier vol.
Si la souche est encore forte, il pourra y avoir un essaim
secondaire huit ou dix jours plus tard, et même parfois un tertiaire deux ou
trois jours après ce dernier. Mais une colonie qui a essaimé plusieurs fois est
trop affaiblie ; si on peut tolérer le premier essaim, les autres ne sont
pas souhaitables et il faut les éviter si possible ; nous verrons comment
tout à l'heure ; car, à chaque essaimage, c'est exactement la moitié de la
population qui s'en va.
Revenons à notre essaim suspendu à une branche, et sans
tarder, muni d'une ruchette ou d'un panier placé au-dessous, nous secouons la
branche d'une poigne énergique et la grappe tombe dans le panier que nous
posons immédiatement à terre. N'ayons pas peur de toutes ces abeilles qui
tournent autour de nous, elles sont inoffensives pour une fois, d’abord parce
qu'elles se sont gorgées de miel avant de partir et de quitter à jamais le
logis ancestral, et aussi parce que c'est un jour d'euphorie où les abeilles
sont prises sous le charme de l'acte de reproduction auquel elles participent.
A l'entrée de la ruchette, des abeilles battent le rappel
pour indiquer le chemin à celles qui voltigent encore ; puis peu à peu
tout l'essaim est groupé à l'intérieur. Il n'y a plus qu'à le mettre au frais
et à l'ombre en attendant le soir pour l’enrucher.
Pour éviter un essaimage secondaire, nous mettrons la ruche
qui contiendra l'essaim à la place de la souche, qui sera emportée à quelques
mètres. De cette façon, cette dernière, perdant ses butineuses, ne songera plus
à se dédoubler, tandis que notre essaim qui a tout à garnir sera utilement
renforcé. Nourrir un peu au début pour faciliter le démarrage de l'essaim
auquel, si possible, on donnera un cadre de couvain. La souche est bien
affaiblie, mais elle a des provisions et des naissances nombreuses tous les
jours ; de plus, la jeune reine qui va naître lui donnera un élan nouveau
qui assurera une bonne récolte l'année suivante.
Si l'essaimage augmente le nombre de colonies, par contre,
il stoppe la récolte du nectar ; aussi les apiculteurs modernes font-ils
tout ce qu'ils peuvent pour l'éviter. Certaines années —et 1950 en est une dans
notre région — il s'en produit, malgré les précautions usuelles ; c'est
une véritable fièvre ; et si quelques-unes de nos ruches se sont
affaiblies de ce fait, par contre, la majorité des caissettes que nous avions
placées dans la montagne proche se sont garnies seules.
Pour éviter l'essaimage dans la mesure du possible, il est
utile de renouveler les mères tous les deux ans, d'agrandir le champ de ponte
au fur et à mesure des besoins et de placer les hausses assez tôt. Les ruches
seront abritées du soleil l'après-midi et les entrées seront largement ouvertes
pour faciliter la ventilation.
Si, malgré ces précautions, on trouve des cellules royales
lors d'une visite, le mieux est de pratiquer un essaimage artificiel sur les
plus fortes colonies ; on évitera ainsi la perte des essaims naturels.
Lors de l'enruchement d'un essaim naturel, il est nécessaire
de prendre certaines dispositions si on ne veut pas le voir déserter. Qu'il
s'agisse d'une ruche neuve ou vieille, il faut qu'elle soit dépourvue de toute
mauvaise odeur, principalement de moisi, et qu'elle soit bien sèche. Le plus
simple est de la flamber intérieurement ou de l'exposer ouverte au grand air
quelques jours avant de s'en servir. Donner un cadre de couvain comme nous
l'avons déjà dit ; cela est surtout utile dans le cas d'un essaim
secondaire pour retenir les abeilles qui risqueraient de partir avec la reine
au moment de son vol de fécondation. Si l'on a soin de proportionner la
grandeur de la ruche à la grosseur de l'essaim, ce dernier prendra une rapide
extension et deviendra par la suite une colonie de rapport.
R. GUILHOU,
Expert apicole.
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