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Maison en Languedoc

Ayant un certain nombre de chantiers en Languedoc, je m'arrêtai dernièrement, vers la fin du jour, dans une petite ville de cette région. Il me fallait attendre une correspondance pendant plus de deux heures, et le moment du dîner n'était pas encore venu. Ayant laissé au restaurant mes bagages — y compris la grande serviette en cuir dans laquelle je trimbale mes planches à dessin, — je m'aventurai dans une quelconque direction. Au bout de quelque temps, j'aperçus dans la pénombre une maison ancienne qui me parut avoir du caractère. Je cherchai vainement dans mes poches un morceau de papier blanc, je dus me contenter d'un imprimé vantant les mérites d'une .cuisinière à gaz. Adossé à une porte cochère, sous une ampoule électrique, je griffonnai en rouge, sur la prose noire, un croquis perspectif. Peu de temps après, à la table du restaurant, j'interprétai ce croquis avec quelque fantaisie, et j'en tirai la maison que je vous présente aujourd'hui : grande salle et grande loggia à rez-de-chaussée surélevé, avec grande cuisine, lavabo, vestiaire, w.-c., sept chambres à l'étage avec deux bains et w.-c., grande terrasse ; enfin, couronnant le tout, la tour carrée de l'escalier, avec belvédère dominant la campagne environnante.

Distribution.

— Le sous-sol — en réalité à niveau de rez-de-chaussée — étant assez haut sous plafond pour permettre l'installation du garage-atelier-boutique, nous entrons directement dans ce sous-sol, dans l'angle rentrant de la loggia, dans un petit vestibule protégé par un auvent, et nous accédons à l'escalier. Arrivés sur le palier du haut rez-de-chaussée, nous trouvons les portes de la grande salle, de la cuisine, du lavabo-vestiaire commandant le w.-c., ainsi que le départ de l'escalier du premier étage.

La grande salle peut servir à la fois de salle à manger, de studio, d'atelier de peinture, de salon de musique. Sur la paroi contiguë à la cuisine et au vestibule se trouve, entre les deux portes, la grande cheminée encadrée par deux placards-dessertes. En face, à l'autre bout de la salle, nous apercevons, de chaque côté d'une fenêtre centrale, deux grands placards-bibliothèques avec parties basses pleines, parties hautes vitrées, étagères et niches intercalaires, etc. Sur la paroi du fond, trois fenêtres sont séparées par des trumeaux où s'adossent deux petits meubles. En face, trois grandes portes-fenêtres donnent large accès à la grande loggia. Au centre, nous voyons : grande table de salle à manger, bureau, table de salon et, devant la fenêtre d'extrémité, piano à queue.

La loggia comporte six gros pilastres carrés entre lesquels courent des jardinières prises dans l'épaisseur du mur, de telle sorte que les géraniums lierre paraissent sortir de ce mur. Cette loggia forme le complément normal de la salle, qu'elle agrandit vers le dehors.

Dans la cuisine, nous voyons au fond, sous la batterie de trois fenêtres à l'appui élevé, cuisinière à charbon et à bois, cuisinière électrique ou cuisinière à gaz, évier avec double égouttoir. Sur deux autres faces se développent en équerre de grands placards et le frigidaire. Au milieu, une table est encadrée par six chaises.

Dans le lavabo-vestiaire se trouve, au fond, un placard-vestiaire avec portes à coulisse. Dans un angle, il y a un petit lavabo. De là, nous passons au w.-c.

L'escalier nous conduit au premier étage sur un palier prolongé par un couloir. Là, nous trouvons sept chambres, deux bains, un w.-c. Les chambres de devant donnent sur une grande terrasse découverte qui surplombe la loggia.

L'escalier nous conduit ensuite au belvédère situé au sommet de la tour. Ce belvédère, ouvert en été, peut être vitré en hiver par des menuiseries démontables.

Au sous-sol se trouvent garage, atelier, cave, chaufferie, buanderie.

Au cas où cette maison serait utilisée comme petite hôtellerie dans un lieu de tourisme, on pourrait avoir six garages sous la salle et sous la loggia, avec grandes portes au sous-sol devant et derrière. Et l'on pourrait alors avoir des caves fraîches complètement enterrées.

Construction.

— Les murs seront de préférence en pierre dure apparente rustique. J'ai prévu ainsi toutes les maisons que j'édifie dans cette région, contrairement, parfois, aux hypothèses préalables. Dans une petite ville où la cathédrale est en briques, j'avais pensé faire une maison en briques. Au premier contact avec les entrepreneurs locaux, j'appris qu'il était plus avantageux de faire la maison en pierre, et nous allons avoir des façades de ton beige rosé et doré délicatement nuancées. Dans une autre ville au pied de la Montagne Noire, j'ai prévu les façades suivant le même principe, mais plus colorées, avec des pierres généralement mauves, rehaussées par quelques éléments de ton rouille, ou rouge, ou brun. Là, sur les conseils de l'entrepreneur, j'ai prévu toute la maçonnerie au mortier de ciment pour éviter la transmission possible d'humidité par capillarité vers l'intérieur. Dans une ville du Sud de l'Aveyron qui, par le style des vieilles demeures, se rattache au Languedoc, j'ai ainsi réalisé une habitation avec une pierre dure qui paraît très étanche, superbement appareillée par l'entrepreneur, et j'en prévois d'autres sur le même principe ... Mais, dans quelques jours, remontant vers les Flandres, je retrouverai la brique.

Les planchers seront de préférence en béton armé et la toiture aussi, pour les raisons que j'ai déjà rabâchées, et la couverture sera en tuiles canal du pays — pas trop rouges. Les carrelages seront en grès cérame, les parquets en chêne, et l'équipement moderne suivra.

Aspect extérieur.

— Avec sa forme rectangulaire, ses piliers rustiques, sa tour carrée dominante, cette maison rappelle maintes habitations isolées qu'on aperçoit sur les collines de la contrée. Certes, ce n'est pas une petite maison, et, à ce propos, je terminerai par une digression. J'apprends par les Journaux, comme tout le monde, que les crédits, de 1951 pour les habitations à loyer modéré (loi Loucheur) sont extrêmement réduits. Une grande partie de ces crédits sera certainement absorbée par les grands immeubles que l'on construit. Il ne restera presque rien pour les maisons individuelles. On dit que sur cent demandes, deux ou trois peut-être seront satisfaites. Ne pourrait-on pas cependant, avec un peu d’ordre et de bonne volonté, permettre à un plus grand nombre de Français de réaliser leur rêve ! Une maisonnette et un jardinet pour abriter sainement et agréablement leur famille ?

Gérard TISSOIRE,

Architecte.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 236