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La photographie scientifique

L'industrie des images — photographie et cinématographie — a pris en France un essor que bien peu de gens soupçonnent. L'effort des chercheurs est sur ce point fort mal connu, car l'on se contente de « voir les films de cinéma et l'on se penche rarement sur la technique du matériel. Or l'industrie de l'optique a réalisé depuis la Libération des objectifs largement en avance sur la production étrangère ; pour s'en convaincre, il suffit de penser que la France seule produit actuellement un objectif à focale variable, autorisant le travelling pour les cinécameras d'amateurs, mais aussi la multiplicité des objectifs pour les ciné ou photocameras, depuis le grand angulaire pour les prises de vues très proches, jusqu'au téléobjectif raisonnable pour celles lointaines.

A l'âge héroïque du cinéma, les savants s'intéressèrent à la photo beaucoup plus pour des emplois que pour son perfectionnement. Niepce, Daguerre et Lumière furent surtout des ingénieurs et des autodidactes, ce qui ne met que plus en valeur leurs immenses génies. Mais les savants utilisateurs apportèrent cependant des améliorations de détail, comme le virage à l'or en 1840 par Fizeau et le pyrogallol pour le développement en 1851 par Regnault. L'orthochromatisme fut cependant découvert en 1875 par le physicien Vogel, et il fut appliqué à l'astrophotographie en 1890 par Schwarzschild. Mais l'événement crucial devait se situer en 1890 avec Hurter et Drieffield évaluant la rapidité des plaques photographiques. De là naquit la sensitométrie H et D.

Mais il faut attendre 1938, avec la création du microscope électronique, pour que l'on puisse pénétrer davantage dans la structure moléculaire, et que la chimie des émulsions effectue un prodigieux bond en avant,

De cette époque date aussi la généralisation de l'usage photographique et cinématographique à la science. Depuis quatre ans, on assiste également à un autre pas en avant, celui de l'amateurisme en matière de photographie scientifique.

Il faut reconnaître qu'avec la pluralité des découvertes la science ne cesse de s'étendre. Les Allemands tentèrent de remédier à la difficulté de tout étudier par la spécialisation, mais c'était là une impasse, car à force de se spécialiser on finit par se perdre dans le détail d'intérêt secondaire, sinon inutile. Ce qui convenait à la lourdeur germanique ne pouvait satisfaire l'esprit latin, prompt, délié et puissant, ayant la possibilité d'embrasser avec recul et grandeur les multiples sujets de la science. C'est donc aux Latins que l'on doit la substitution de l'image parlante aux textes écrits, ou au moins l'illustration des textes.

Depuis vingt ans, toutes les sciences ont ainsi fait appel à la photographie. Ainsi, en plus de l'observation directe, comme celle d'une éclipse en astronomie, il reste un document précieux autorisant des comparaisons, discussions et échanges de vues sur des phénomènes naturels que l'on ne peut provoquer à volonté. C'est pour ces raisons que la première application de la photo à la science est fort ancienne et remonte à 1855.

La photographie scientifique n'est nullement passive, car elle enregistre simplement pour l'avenir ce que l'œil a perçu un seul instant. Un autre avantage est d'autoriser le grossissement de ce que l'œil peut déjà voir avec les appareils optiques les plus puissants comme le télescope ou le microscope.

Avec Marrey, on réalisa un obturateur permettant de prendre cent quarante-quatre vues à la seconde et ainsi de décomposer les mouvements en leurs éléments. Depuis on a fait infiniment mieux et l'on arrive à un million d'épreuves à la seconde avec des dispositifs spéciaux. Inversement, on a créé des cinécameras ne prenant que quelques clichés, automatiquement, toutes les heures, et on a pu ainsi enregistrer la croissance d'une plante, l'ouverture d'un bouton, l'épanouissement d'une fleur.

La lampe à éclair électronique très bref, mais répété un grand nombre de fois à la seconde, a permis de prendre des vues non observables à l'œil humain. En 1938, le colonel Libessart, en son laboratoire, atteignit le milliardième de seconde.

Le progrès actuel réside dans la prise de vues à l'infrarouge voyant à travers des nuages ou la brume, aux rayons X, aux ondes hertziennes, aux rayons gamma, etc., etc. C'est toutefois en matière d'infra-rouge que la technique est la plus avancée, surtout pour les amateurs. Fait curieux, c'est à la plaque photographique et au noircissement du bromure d'argent noircissant dans la partie invisible du spectre que l'on doit justement la découverte des rayons ultra-violets. Cette dernière technique est moins connue des amateurs, et c'est une faute, car il suffit de substituer aux objectifs en verre d'autres en quartz et de joindre un éclairage spécialisé.

Les rayons X ont vu une prodigieuse application photographique dans le domaine médical et radiologique. Mais la propriété des rayons X de traverser les corps opaques les a fait également appliquer à l'étude industrielle des métaux, alliages, textures, pour éviter des accidents ultérieurs provenant des modifications de structure résultant des transformations usinières.

En archéologie, la photographie a permis de conserver l'image de l'objet mis à jour par les fouilles et de tirer profit de cette position jamais accidentelle mais voulue par les hommes. Il en est résulté une expression restituée de la pensée humaine. La photoradiographie a permis également d'étudier la contexture de maints documents, et en particulier de squelettes fossilisés.

Ainsi toute découverte photographique a eu son emploi dans la science. Actuellement on l'utilise dans l'industrie mais aussi le commerce, et il y a maints voyageurs qui présentent à leurs clients des films donnant une idée des modes de fabrication, avec beaucoup plus de force que ne le ferait un long et très coûteux catalogue, qui le plus souvent ne serait jamais lu.

C'est aussi dans la lutte contre le crime et pour l'expertise judiciaire que la photographie a permis d'immenses progrès. Il y a d'abord le service de l'identité : tout malfaiteur est photographié dès son arrestation, comme on enregistre sur plaque le lieu du crime pour confondre ultérieurement le criminel et couper court à toute tentative d'éludation de responsabilité. On a depuis utilisé en matière criminelle bien d'autres procédés photographiques, avec l'emploi de la fluorescence, de la lumière de Wood, de l'infra-rouge, etc.

Or tout ce que l'on a fait dans le domaine de la pure recherche scientifique peut très facilement être réalisé par des amateurs.

Le rural, pour identifier ses animaux, sait maintenant qu'il suffit de tracer sur le mur de son étable un quadrillage à carrés de 10 centimètres de côté, et de photographier devant lui ses bêtes de côté, de face, devant et derrière. S'il s'agit d’un étalon coûteux, d'un taureau cher, il pourra le vendre ainsi sur document, et celui-ci fournira à l'acquéreur tout renseignement voulu, en évitant des consultations écrites plus ou moins tendancieuses.

Pour demander une indemnité à une compagnie d'assurance après un orage de grêle, un commencement d'incendie, un accident d'automobile, rien ne vaut de joindre de bonnes photographies. Ces documents sont véritablement scientifiques et probants.

L'amateur s'intéresse surtout aux portraits, et c'est une grande erreur. Cette faute d'orientation est commune avec les amateurs d'art qui se passionnent surtout pour la peinture de chevalet, les tableaux ou la statuaire. L'artiste doit surtout s'intéresser à l'architecture et considérer les autres arts comme ses enfants, ses proliférations : fresques, sculptures murales, mobilier, plafonds, vitraux, etc., etc. L'archéologie est plus qu'un art, c'est une science. Or il suffit de se promener pour voir des images passionnantes. Pour les conserver, il faut les photographier.

C'est encore une très grande erreur que de croire à la nécessité de posséder des appareils photographiques extrêmement coûteux avec des équipements encore plus onéreux.

Il suffit de posséder, pour commencer, un simple appareil 6 x 9, et il en existe d'une valeur ne dépassant guère le millier de francs. Une simple jumelle de théâtre peut fournir un parfait téléobjectif permettant des prises de vues lointaines à une centaine de mètres. On peut également, avec une simple loupe, réaliser des photos amplement grossies d'objets minuscules ; il existe même des microscopes de mille francs.

Tout ceci ne veut pas dire qu'il faille mépriser les équipements plus perfectionnés et plus coûteux. Ils simplifient largement le travail, mais aussi demandent plus de maîtrise dans l'usage.

Ce qu'il faut, c'est que, pour débuter, on commence par un matériel simple, d'emploi facile. La photographie scientifique, technique et documentaire ouvre aux amateurs d'immenses perspectives. C'est la meilleure des modalités d'expansion culturelle. Elle fournit à l'esprit la plus grande des richesses : celle de la connaissance, et celle-ci n'est susceptible ni de vol, ni d'impôt, ni de perte.

Sylvain LAJOUSE.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 248