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Les hôtes des cavernes

Nos lointains ancêtres, s'abritant dans les grottes, rencontrèrent des animaux qui, comme eux, recherchaient un couvert jouissant d'un climat plus doux que celui régnant à l'extérieur. Ils les craignaient et devaient prendre certaines précautions pour s'en protéger, car ces bêtes étaient de grosse taille, donc dangereuses.

Des hyènes, des lions hantèrent ces lieux. Si les lions n'allaient jamais bien loin à l'intérieur, les hyènes parcouraient les galeries et s'enfonçaient à de grandes distances de l'entrée. De nombreux spéléologues trouvèrent des « coprolithes » (1) et des ossements au fond de bien des cavernes de notre pays.

Mais il n'y eut pas que cette faune « chaude » ; une faune « froide », moins nombreuse, mais tout aussi dangereuse, lui succéda. Son principal représentant fut l'ours. Ce plantigrade a été trouvé en telle quantité dans les grottes qu'on a pensé qu'il s'agissait d'une espèce spéciale, qui fut baptisée : Ursus speleus. Il était de très grande taille, c'est-à-dire plus haut et plus fort que l'ours blanc actuel ou le « grizzli » des Montagnes Rocheuses. Il possédait une tête plus volumineuse que les ursidés dont nous venons de parler. Debout, il était impressionnant, puisqu'il dépassait 2 mètres ; sa force était extraordinaire, et son poids voisin de 300 kilos. On devine qu'un homme simplement armé d'une hache de pierre ou de flèches à pointes de silex n'était pas de taille à lutter avec lui directement. L'homme avait, heureusement pour lui, son intelligence supérieure, ce qui lui permit de vaincre cet ennemi redoutable. Il devait être fier de ces prouesses cynégétiques, puisqu'il recueillait les crânes et les mandibules d'ours pour les disposer en ordre dans certains diverticules de grottes.

Si, dans la grotte de Saint-Marcel-d'Ardèche, il y a un certain nombre de squelettes (incomplets) de grands ours au bas de la première verticale, le gisement n'est pas comparable à l'énorme quantité d'os de ces mêmes animaux dans la grotte de Fauzan, sur les bords de la Cesse, dans le Minervois (Hérault). L'accumulation est telle que pendant des années on a exploité ce gisement comme engrais. C'est par milliers que les ours des cavernes vinrent dans cet abri pour y crever. Ils durent utiliser cette grotte comme cimetière, pendant des millénaires. C'est au fond du premier couloir que notre regretté collègue, l'abbé Cathala, découvrit il y a deux ans un minuscule passage aboutissant à une galerie où il vit, sur l'argile encore toutes fraîches, les empreintes de pas d'hommes du paléolithique, ainsi que des coprolithes de hyènes.

Pierre Chevalier, qui explora la totalité de l'immense réseau du Glaz (Isère), découvrit dans une galerie grandiose, aboutissant maintenant dans la falaise, le squelette d'un Ursus speleus de taille gigantesque.

Depuis longtemps, dans nos grottes, il n'existe plus d'animaux dangereux. Nous trouvons parfois des blaireaux non loin des entrées. Ceux-ci nichent dans d'étroits couloirs aux plafonds bas, si le sol est très sec, en creusant une petite dépression et en la garnissant d'herbes et de poils. D'innombrables puces vivent dans ces bauges, ce qui est fort désagréable pour l'explorateur obligé de ramper en ces lieux. Une fois même un camarade se trouva nez à nez avec un de ces Meles taxus, intrigué de rencontrer un intrus chez lui ; en faisant fuser son jet d'acétylène, il lui fit peur et s'en débarrassa.

Les lapins, habitués à circuler dans leurs terriers, n'hésitent pas à s'aventurer très loin et très profondément dans les gouffres. J'ai trouvé des traces de grattages à 165 mètres de profondeur, dans l'aven de Jean-Nouveau (Vaucluse). Nous avions pénétré dans ce grand abîme par une verticale absolue de 165 mètres dont les parois étaient lisses ; donc les lapins arrivaient là par d'autres voies, certainement très longues. On devine que dans les pays calcaires, donc possédant des cavernes connues ou non, bien des pertes de furets s'expliquent ainsi : les lapins connaissent les difficultés des parcours, alors que les furets, entraînés par leur ardeur et leur odorat, les ignorent.

Quelques loirs nichent près des entrées de grottes et ne craignent pas de circuler dans la nuit ou la pénombre, puisque ce sont des animaux sortant surtout la nuit. En Amérique, on trouve un rat aveugle, donc adapté, nommé le « neotoma ».

Pour en terminer avec les mammifères, ce sont les « chéiroptères », c'est-à-dire les chauves-souris, qui sont les plus nombreuses dans les cavernes. Plusieurs espèces hivernent sous terre, pendues par leurs pattes, la tête en bas, enroulées dans leurs ailes. Elles trouvent là un micro-climat leur convenant. Elles ne souffrent pas de la température, parfois assez basse dans les grottes d'altitude, car, pendant l'hivernage, la température de leur corps se met à l'égalité avec celle de l'air de la cavité. Ce qu'elles désirent surtout, c'est une température stable et une grande humidité (98 p. 100 à l'hygromètre), ce qui est le cas sous terre en général ; leur corps et surtout leurs ailes se dessécheraient faute d'alimentation.

Il est encore une espèce animale qui ne vit pas sous terre, mais qui y poursuit les léporidés ; ce sont les mustélidés, c'est-à-dire la petite belette, la fouine, la genette, etc. ; beaucoup de leurs squelettes se trouvent dans les abîmes, où ils firent des chutes involontaires et où ne se trouvent aucune autre issue que le puits vertical.

En effet, beaucoup de gouffres verticaux jouent le rôle de piège naturel ; leurs abords sont lisses ou en pente abrupte : l’animal poursuivant une proie, inattentif ou trompé par un pont de neige, tombe et ne peut plus remonter.

Lorsque nous explorâmes l'extraordinaire aven d'Orgnac (Ardèche) (2), nous avons découvert de nombreux squelettes d'animaux de diverses époques, tous tombés par accident dans le puits de 49 mètres. Nous allons en donner les noms, car cela montre que depuis bien des siècles cet abîme est un piège.

Par ordre d'ancienneté, nous avons trouvé un bison priscus, lointain ancêtre de nos taureaux actuels. Ses os montrent un animal de très grosse taille, beaucoup plus grand et lourd que ceux de notre époque. Chose curieuse, son squelette a été trouvé à près de 100 mètres du bas de la verticale ; ce bison, après sa terrible chute, s'est traîné entre d'énormes stalagmites et est venu crever au milieu de blocs. Après sa mort, une tête de stalagmite en forme de pomme de pin s'écroula sur ses restes, il y a peut-être cinquante mille ans de cela !

Toujours dans l'aven d'Orgnac, nous avons découvert, en des points écartés les uns des autres, de nombreux rennes. Ces cervidés devaient circuler dans cette région méridionale il y a près de vingt-cinq mille ans. Seul un fragment d'andouiller de cerf « élaphe » fut mis au jour dans cette cavité ; ses os doivent se trouver cachés par des pierres tombées depuis.

On a trouvé aussi du loup, mais, ce qui est curieux, aucun ours n'y a été vu, alors que d'autres grottes de la région en possèdent.

Un fait curieux est celui de la trouvaille dans un diverticule latéral de six squelettes de renards et un de blaireau. Nous expliquons cela de la manière suivante : les canidés, sentant leur mort venir, se mettent à l'abri des oiseaux rapaces, puisqu'ils ne sont plus en mesure de se défendre ; ils cherchent donc un abri avec plafond bas. Si nous avançons cette hypothèse, c'est que nous avions remarqué qu'un fox terrier (anglais), proche parent du renard, se sentant sur sa fin, descendit à la cave, où il n'allait jamais, et se cacha sous une caisse pour crever.

Plusieurs squelettes de fouines furent trouvés dans cet immense grotte d'Orgnac ; certains très loin du « cône d'éboulis » où elles avaient atterri lors de leur chute. L'une d'elle avait le crâne fendu. La souplesse des quadrupèdes ne leur épargne pas, on le voit, des accidents graves lorsqu'ils tombent dans ces immenses pièges que sont les gouffres naturels.

Si le puits n'est pas absolument vertical, ils arrivent à se retenir sur les aspérités et à ralentir ainsi leur vitesse de chute ; c'est pourquoi tous ne se tuent pas sur le cône d'éboulis qui se trouve au bas. C'est la raison pour laquelle certains d'entre eux peuvent circuler dans la caverne, où ils doivent chercher désespérément une issue jusqu'au jour où ils crèveront de faim.

Nous avons vu au bas de quelques gouffres de nombreuses traces de griffades sur les parois à pic, ce qui prouve que ces animaux tentèrent vainement de remonter. Nous avons observé fréquemment des griffades de chien et, une fois (en Ardèche), celles d'ours.

Dans un petit aven du Gard, nous avons trouvé un chien vivant et hargneux, que j'ai dû abattre au pistolet. Cette pauvre bête vivait depuis quelques jours dans cet aven où il avait été jeté par son maître, qui l'avait jugé enragé, en se repaissant d'un mouton en putréfaction.

Chose curieuse, dans le Pays basque des corneilles nichent dans les anfractuosités situées près de la bouche des gouffres ; nous avons découvert des nids jusqu'à 10 mètres de profondeur, malgré la grande humidité régnante. Lors de nos descentes, de jeunes corvidés, affolés par notre incursion, n'hésitaient pas à voleter en tourbillonnant dans les puits et à essayer de se dissimuler jusqu'à 45 mètres de profondeur.

Au sommet du pic de Cagire (1.895 mètres d’altitude), nous avons trouvé avec N. Casteret la salle finale (-30) présentant une odeur fétide caractéristique à cause de très nombreuses corneilles vivant sur les entablements rocheux du haut de l'aven, qui est assez vaste. Ces corvidés, ne trouvant pas dans leur région les falaises qu'ils affectionnent particulièrement, s'adaptent et se contentent des gouffres.

Dans les cavernes, on trouve parfois des batraciens ou des ophidiens pris au piège. On les voit, en général, au bas du puits, d'où ils regardent le jour, qu'ils ne verront plus jamais que de loin.

Il y a aussi, de nombreux insectes qui se sont cachés là pour jouir d'un climat très différent de celui de l'extérieur, mais c'est là un tout autre sujet qui n'entre pas dans le cadre de celui que nous tenions à vous exposer.

R. DE JOLY.

(1) Crottes de hyènes en particulier, car ces mammifères carnassiers, dont les dents sont spécialement adaptées, brisent et avalant les os de leurs proies, rejettent un produit phosphaté, prenant à la dessiccation l'aspect de pierres.

(2) Cette caverne, appartenant à la commune du même nom, est maintenant aménagée pour les touristes. Son succès est très grand, car la décoration y est unique au monde par sa variété, l'énormité ou la finesse des concrétions, et les coups de théâtre qu'elle réserve.

Le Chasseur Français N°650 Avril 1951 Page 249