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Causerie juridique

Bail de chasse et permission de chasser

Consentir à un tiers un bail de chasse ou autoriser un tiers à chasser sur ses terres sont choses essentiellement différentes, bien qu'elles aient certains points communs. En substance, par le bail de chasse le propriétaire se dessaisit du droit de chasser sur ses terres pour le transférer au locataire, tandis qu’en autorisant simplement un tiers à chasser sur des terres où l'on a le droit de chasse, on n'en conserve pas moins le droit de chasse. Sans doute, il n'est pas impossible au propriétaire qui loue la chasse sur ses terres de se réserver le droit d'y chasser personnellement, mais, pour cela, il est nécessaire de le stipuler expressément dans le bail et, en l'absence d'une clause formelle à cet égard, on doit considérer que le propriétaire s'est entièrement dessaisi du droit de chasse en faveur du locataire.

Il y a, au surplus, entre le bail de -chasse et la permission de chasser, d'autres différences : par exemple, le bail de chasse prévoit une certaine durée d'application, un loyer, tandis que la permission de chasser est ordinairement gratuite et ne prévoit pas de durée, mais peut être révoquée à tout moment. Ce qui différencie surtout les deux choses, c'est que le bénéficiaire du bail de chasse devient le titulaire du droit de chasse et, à ce titre, peut autoriser des tiers à chasser, peut poursuivre les coupables de délits de chasse sur les terres à lui louées, tandis que le bénéficiaire d'une permission de chasser ne peut faire ni l'une ni l'autre de ces choses.

Ajoutons enfin que le bail de chasse comporte un écrit ou tout au moins une déclaration soumise à l'enregistrement, à la différence de la concession d'une permission de chasser pour laquelle ces formalités sont sans application.

Malgré ces différences qui, normalement, permettent de distinguer facilement, dans la pratique, si l’on se trouve en présence d'un bail de chasse ou d’une permission de chasser, il arrive parfois qu’on hésite sur la véritable qualification à donner à la convention intervenue et que les parties elles-mêmes ne soient pas bien fixées à cet égard. Et nous avons été récemment appelé à nous prononcer sur la question dans deux cas.

Le premier se présentait de la manière suivante. Un particulier, dans un acte qu’il avait qualifié lui-même de bail, avait concédé à quelques personnes le droit de chasser sur ses terres en se réservant non seulement le droit de continuer à y chasser lui-même, mais même le droit d’autoriser tous ceux qu'il voudrait à y chasser également ; l'acte comportait une certaine durée d'application, mais ne stipulait aucun payement de loyer. Nous avons conclu que, malgré la qualification de bail donnée au contrat, il ne pouvait s'agir là que d'une permission de chasser accordée pour la durée prévue à l'acte. Ce qui, à notre avis, imposait cette solution, c'est que le propriétaire, en se réservant le droit| de chasser personnellement et d'autoriser à chasser tous ceux qu'il voudrait, montrait clairement qu'il n’avait pas entendu se dessaisir du droit de chasse. Or c'est ce dessaisissement qui nous paraît être le critérium de la distinction entre les deux contrats. Le fait de n'avoir stipulé aucun loyer venait, au surplus, à l’appui de notre interprétation.

Le deuxième cas est le suivant : encore ici l'acte en question avait été qualifié par les parties de bail ; le propriétaire ne s'était pas réservé le droit de chasser personnellement ni d'autoriser d'autres personnes à chasser, ce qui impliquait qu'il se dessaisissait du droit de chasse. Le contrat comportait une durée précise d'application. Quant au loyer, il était indiqué qu’il consistait seulement dans l'obligation pour les locataires de faire garder la chasse. La société bénéficiaire de ce bail ayant engagé des poursuites pour chasse sans autorisation, le délinquant opposa que la société était sans qualité pour exercer ces poursuites, n'étant pas réellement locataire, mais seulement bénéficiaire d'une autorisation de chasser, et le tribunal, admettant la thèse du délinquant, l'acquitta. Dans l'espèce, le tribunal s'est fondé sur ce que le prétendu bail ne comportait pas de loyer, l'obligation de faire garder la chasse ne pouvant être considérée comme un loyer, d'autant plus que le propriétaire n'avait pas conservé le droit de chasser.

Il ne nous paraît pas douteux qu'en la circonstance le tribunal a commis une erreur grossière. Dans sa pensée, l'obligation de faire garder la chasse n'est pas un loyer parce que cette obligation ne constitue pas pour le propriétaire un avantage, puisqu'il ne chasse pas lui-même, oubliant ainsi qu'en s'assurant que la chasse sera gardée pendant toute la durée du bail il entend éviter le braconnage et une excessive destruction du gibier et qu'ainsi, à la fin du bail, il y aura encore du gibier sur ses terres. Avantage certain pour le propriétaire, charge évidente pour le locataire, pourquoi cette obligation ne pourrait-elle pas être un loyer ? Un loyer ne doit pas nécessairement consister en une somme d'argent, il peut consister en une prestation en nature. Et, si l'on peut admettre qu’il ne peut y avoir bail à défaut de stipulation d'un loyer, il suffit que ce loyer soit prévu, fût-il minime, pour qu'on soit tenu d'admettre l'existence d'un bail ; et surtout il nous paraît quelque peu scandaleux d'admettre un tiers délinquant à s'en autoriser pour échapper à une condamnation méritée.

Paul COLIN,

Docteur en droit,

Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 258