Voici le dernier article rédigé par Albert Ganeval, et
qui nous parvint en même temps que l'annonce de sa brusque disparition.
Dans son numéro de décembre dernier, Le Chasseur Français
a bien voulu offrir l'hospitalité de ses colonnes au texte d'un vœu émis par
l'Association de Chasseurs que j'ai l'honneur de présider. Il est toujours
déplaisant de se citer soi-même, cependant le succès de ce vœu présente une
telle importance pour l'avenir de nos associations communales et de toute la
chasse en général que je me permets d'y revenir. De cette réussite dépend une
amélioration prodigieuse des conditions médiocres où nous pataugeons. Aussi
commencerai-je par remercier les feuilles régionales et les nombreuses revues
cynégétiques qui ont bien voulu y faire écho. Quitte à me répéter, et puisqu'il
y va de l'intérêt de tous, je reviens donc sur un texte que beaucoup ont lu et
que quelques-uns peut-être ont retenu.
De quel mal souffrent donc nos associations communales ?
L'une, de l'indiscipline native de ses membres ; l'autre, de son
territoire trop exigu ; la troisième, du manque d'autorité de son
président ; telle autre, d'une proximité citadine qui lui vaut plus de
fusils que ne le comporterait son cheptel gibier ; telle autre encore, de
se trouver dans une région déshéritée où l'on ne saurait chasser que la
casquette. L'un de ces maux n'exclut pas l'autre ; certaines ont le triste
privilège de connaître tous ces malheurs à la fois. Par contre, il en est qui,
plus heureuses, n'ont que des sociétaires consciencieux, sous une présidence
compétente, dans une région privilégiée, loin de tout fâcheux voisinage et où
le gibier se plaît assez pour qu'il en reste encore un peu. Mais toutes, même
les meilleures, souffrent de la même maladie : l'impécuniosité ! En
fin d'année, sans avoir fait d'extra, la caisse est à sec. Pour s'offrir le
luxe nécessaire d'un bon gardiennage, pour détruire les nuisibles, pour payer
ses impôts, pour remettre quelques mères lapines en fin d'hiver — voire même
parfois quelques lièvres ou perdreaux — il faut de l'argent, beaucoup d'argent,
encore de l'argent. Et le trésorier loge le diable dans sa bourse.
Augmenter les cotisations ? C'est vite dit. La
bourgeoise trouve déjà que la chasse revient bien cher pour ce qu'elle
rapporte. Au delà d'un certain chiffre vite atteint, son époux renâcle — on le
comprend. Il serait relativement aisé de la bousculer, de lui forcer la main.
Mais il en resterait une arrière-pensée, un ferment de discorde qui pourrait
grandir et torpiller une association où jusque-là tout allait pour le mieux.
Alors ? Eh bien ! on rognera sur des bouts de chandelle, ce qui n'est
pas grave. La fédération, l'impôt ? C'est incompressible. Alors on
pourrait aussi rogner sur les primes de destruction. Tant pis si les agasses,
la buse et l'émouchet y trouvent leur compte. C'est le gibier qui en pâtira, et
aussi les volailles de la fermière. On ne peut faire mieux, il n'y a plus le
sou ...
Or l'argent qui nous manque, il est là, dans nos poches —
celui de nos permis. Seulement, quand nous l'en sortons, c'est pour le voir
dévorer par un monstre insatiable, perpétuellement affamé — le ministre des
Finances — plus vorace de nos pauvres sous qu'un brochet ne l'est de
blanchaille, ou le renard de lapineaux.
Jadis, avant 1914, les fonds recueillis sur les permis
allaient tout à l'État. Cela ne faisait pas une somme énorme : les
chasseurs étaient treize fois moins, nombreux qu'à présent, le gibier abondait,
la chasse se protégeait toute seule. Aujourd'hui tout a changé : les
permis rapportent deux gros milliards, et la chasse est moribonde. Elle a le
plus urgent besoin d'être protégée, soutenue, revigorée, non par ces bonnes
paroles dont tous les gouvernements successifs sont volontiers prodigues, mais
par des mesures saines et par de l'argent, qui est, comme on le sait, le nerf
de la guerre. Ce qu'il lui faut, ce n'est pas une injection de salive de
ministre, c'est une transfusion financière. Depuis le temps que l'État pompe
nos gros sous, il serait bon qu'il nous en rende un peu.
C'est ce qu'ont pensé nos grandes organisations
cynégétiques. Des parlementaires chasseurs les ont appuyées. Ils ont demandé
qu'une partie de ces deux milliards serve à l'amélioration des conditions où se
pratique notre sport. Ils ont eu gain de cause, mais le monstre tient à sa
proie, il n'en lâche les miettes qu'à regret. Sur les 1.060 francs (1) de
chaque permis, il a fait trois parts inégales. Naturellement il a conservé la
meilleure : 460 francs. Il en donne 300 à la commune où a été pris le
permis, enfin, généreusement, il veut bien rétrocéder les 300 autres à nos
organisations (soit 240 aux fédérations départementales et 60 au Conseil
supérieur), soit au total 540 millions sur plus de 2 milliards. C'est un
scandale.
L'argent qu'a prélevé l'État pour sa consommation
personnelle, nous ne pouvons guère espérer qu'il s'en dessaisisse, l'ogre ne
lâche pas volontiers son morceau. Mais les sommes qu'il attribue aux communes ?
Il serait si normal de les attribuer intégralement à nos organisations. Voici
près de trente ans, lorsque fut adopté le principe d'un partage, nos
associations communales n'existaient pas encore. Il était alors rationnel
d'allouer une subvention à la commune où avait été pris le permis ; son
budget bénéficiait ainsi de sommes qui avaient été versées par les chasseurs de
la localité, et ceux-ci en bénéficiaient indirectement, puisque cette rentrée
de fonds diminuait d'autant le montant global des impôts vicinaux. Maintenant
les associations communales existent partout ou presque. Il n'est à peu près
pas de commune rurale qui n'ait la sienne. Bientôt il n'y aura plus que les
grandes cités ou les grosses agglomérations industrielles pour n'avoir pas la
leur. Alors, en saine logique, la ristourne sur l'argent versé par nos sociétaires
ne doit-elle pas leur revenir ? Doit-elle servir à améliorer les
conditions où se pratique notre sport, ou est-elle faite pour que M. le maire
puisse payer un vin d'honneur à ses pompiers le jour de la Sainte-Barbe ou une
couronne de fleurs d'oranger à la rosière du pays ? La réponse va de soi,
et l'État peut nous faire, avec nos deniers, cette largesse qui ne lui coûtera
rien. Certaines municipalités ont eu la généreuse compréhension de le faire
d'elles-mêmes et de remettre à leur société de chasse l'argent qui était sorti
de la poche de ses membres. Mais le plus souvent les maires ont le légitime
souci de leur budget. Dans les communes campagnardes — donc pratiquement les
seules qui nous intéressent — le jeu normal des choses fait que le conseil municipal
est à grosse majorité de chasseurs. Il voudrait bien ..., mais il y a la
crainte des autres, de ceux des électeurs qui ne chassent pas et qui auraient à
payer un impôt nouveau pour compenser la moins-value, la crainte des électrices
surtout, ces diables en jupon ennemis de la chasse. Cela pourrait faire perdre
des voix à la liste ... Alors on se contente de penser que ce serait bien,
mais que c'est au gouvernement de le décider. Ainsi nous pouvons attendre
longtemps.
Et pourtant 300 francs de plus par tête, c'est la fortune
pour nos sociétés, où d'ordinaire la cotisation atteint à peine ce chiffre.
Avec cela nous pourrions enfin entreprendre bien des choses. Seulement il ne
faut pas croire que cela nous viendra tout seul.
Deux objections viennent aussitôt à l'esprit. L'une est
celle-ci : que faites-vous dans le cas des communes où l'association
n'existe pas et n'existera jamais, les plus grosses généralement, celles où
l'on ne peut chasser que sur la Canebière, la place Bellecour, les Quinconces
ou le faubourg Montmartre ? A ces communes la ristourne rapporte des
millions, qu'en faire ? C'est facile, des millions trouvent toujours
preneur. On peut : ou bien en faire une masse pour subventionner les
communes rurales au prorata du nombre de leurs sociétaires ; ou bien
verser cette somme aux fédérations départementales de la région environnante,
si bien placées pour faire œuvre utile. Finalement, dans l'une ou l'autre
solution, le chasseur citadin y trouverait son compte, puisque la société
campagnarde où il opère aura bénéficié d'une subvention. Une autre objection
m'a été fort aimablement opposée par un sénateur-maire qui n'en a pas moins
introduit mon projet dans l'antre redoutable du ministère des Finances :
votre vœu, s'il aboutissait, creuserait un trou dans les recettes communales.
C'est vrai, mais combien petit ! Des indications que j'ai pu recueillir,
il apparaît que le déficit ainsi créé varierait entre 1 à 2 p. 100 dans les
communes rurales (où la proportion des chasseurs par rapport à la population
totale est extrêmement forte) jusqu'à moins de 1 p. 1.000 dans les grandes
villes (où cette proportion est extrêmement faible). Quel est le maire qui ne
saurait combler aisément de si minces déficits ! La « pompe à phynances »
est là pour un coup, et nos élus sont toujours ingénieux s'il s'agit de trouver
un moyen nouveau de faire cracher l'électeur, cet éternel « cochon de
payant ». Du reste, et j'en reviens à mon dada, est-ce bien à nous,
chasseurs, qu'il appartient d'équilibrer le budget d'autrui ? Je
préférerais voir équilibrer le nôtre.
C'est pourquoi j'ai proposé à mon assemblée générale, l'été
dernier, d'émettre un vœu en ce sens. Je n'ai pas l'outrecuidance de me croire
le premier à avoir eu cette pensée. D'autres ont pu la trouver avant moi, et je
tiens ici à rendre hommage à la foi agissante de Miquel, le président de Grenade-sur-Garonne,
qui, dans son coin de Gascogne, bataille depuis longtemps pour la même cause et
se montre ardent apôtre de l'idée. Si chacun de nous y employait la même flamme,
nous serions bien près d'emporter le morceau.
Une fois le vœu adopté par mon association, je ne me suis
pas borné à le classer dans ses archives, il y eût dormi d'un éternel sommeil
platonique. J'ai obtenu pour lui quelque publicité de presse, et surtout je
l'ai fait tenir aux parlementaires du département. Ils ont bien voulu lui
réserver un accueil courtois, et même l'un de nos sénateurs l'a poussé jusqu'au
cabinet du ministre. Je ne me leurre pas pour autant et n'ai pas la candeur
naïve de croire que les choses aient beaucoup avancé. Qu'est-ce qu'un isolé
pour un ministre : rien. Mais si vous tous, présidents d'associations,
vous décidiez à agir chez vous dans le même sens, à faire en sorte que vos
parlementaires reçoivent des paquets de vœux demandant à l'État l'adoption
d'une mesure si saine, si raisonnable, et qui ne lui coûtera pas un sou, vous
seriez le nombre. Et le Dieu des victoires, disait Napoléon, est avec les gros
bataillons.
Cela vous donnera du mal dites-vous ? Si peu : un
vote à votre assemblée générale ? Il est acquis d'avance et
d'enthousiasme. Quelques lettres à vos députés et sénateurs ? La belle
affaire ! On n'a rien sans un peu de peine. Quelques démarches si vous
avez le bras long ? Faites-les ; vous n'avez pas le droit de trahir
la confiance que vos mandants ont mise en vous. Mais surtout ne comptez pas sur
le voisin, pas de politique du chien crevé au fil de l'eau.
Il me revient une histoire qui se racontait à l'autre guerre
sur une armée qui ne passait pas pour pousser le courage jusqu'à la témérité.
Une compagnie devait monter à l'assaut. A l'heure fixée le capitaine bondit et
jette le cri sublime :
« En avant ! Patrie ! » et tous ses
hommes tapis au fond de la tranchée d'applaudir frénétiquement : « Bravo !
bravo, le capitaine ! » Eh bien, vous tous présidents qui me faites
l'honneur de me lire, ne me criez pas : « Bravo, le capitaine ! »
Voici la saison des assemblées générales, faites votre devoir et songez au
vieil adage : « Aide-toi, le Ciel t'aidera. » La victoire est au
bout.
Albert GANEVAL.
(1) Devenus 1.150 francs depuis le décret du 9 janvier 1951.
Part de l'État : 550 francs.
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