Claquements de volets, sifflements, miaulements, longues
plaintes glissent dans l'air glacé. Ce soir le mistral est roi. Sous sa volonté
de fer, la Provence frileuse se plie. La Crau et la Camargue cherchent un abri
derrière leurs haies de cyprès ou de roseaux. Dans les mas calfeutrés renaît un
peu la chaude intimité d'autrefois, mais beaucoup de cheminées ne connaissent
plus les énormes troncs d'olivier ou de chêne.
Ceux qui n'ont jamais connu ces journées où les rafales
enragées galopent à 100-120 kilomètres-heure ne peuvent réaliser la violence de
notre mangeur de nuages. Fréquemment on voit le ciel gris ou noir laisser
apparaître, au nord-ouest, une fissure bleue. Elle s'élargit, s'étend, pousse
devant sa bordure les lourdes nappes sombres. Quelques heures après, le miracle
s'accomplit : c'est une mer unie où fuient, voiles échevelées, les
derniers nuages. Par ces journées tout vole : chapeaux, jupons, tuiles,
cheminées ; parfois même les toitures prennent des ailes ! ...
Un temps à ne pas mettre un chien dehors. Seuls quelques chasseurs : les
vrais, les enragés, ceux que brûle le feu sacré — ils en ont besoin ! ...
— se réjouissent. Que d'heureux coups en perspective ! ...
Intrépides de Camargue, je vous vois achevant de rapides
préparatifs. Le soleil accélère sa course. Bientôt la sansouire se peuplera
d'ombres mouvantes. Courbés, vous gagnez vos affûts confortables ou de simples
abris au cœur d'un tamaris. Et là, les yeux larmoyants, vous fixez ce coin où,
dans quelques instants, se découperont les longs cous. Ils seront en avance,
car le Vaccarès démonté va les inciter à gagner plus tôt les marais. Pour
résister aux rafales ils voleront près du sol. Belles minutes en perspective,
minutes brèves dont il faut profiter, car, dès que les ombres noieront la
plaine salée, il sera malaisé de tirer. Demain matin, si la gigantesque
soufflerie continue à fonctionner, n’oubliez pas de visiter les parties
abritées ; vous aurez d'heureuses surprises.
Le long des cours d'eau aux rives encaissées, on peut
également réaliser de jolis coups. Je revois, près d'Aramon, sur le Rhône, un
de ces refuges merveilleux. Les vagues de froid agrémentées de tempêtes
nordiques amenaient là sarcelles et canards. Il suffisait d'arriver sans bruit
sur la berge surplombant ces eaux dormantes. Surpris, les becs plats montaient
en chandelle sous votre nez. Il fallait être matinal. Rarement je fus devancé.
Au retour, dans les fossés qu'abritait une longue digue les bécassines,
emportées par les rafales, offraient moins de facilité. Parfois aussi le bruit
assourdissant de ces vagues sifflantes permettait l'approche des vanneaux
vermillant dans la plaine.
Le mistral ne doit pas réjouir seulement les fervents de la
sauvagine. S'il règne sans trop de violence, nous aurons de belles réussites
sur les perdreaux. II faut, surtout dès novembre, visiter les pentes abritées
et ensoleillées. On les trouve fréquemment blottis au coin d'une haie touffue,
à la base d'une « barre » de rochers calcaires ou encore rassemblés
dans le fond d'un ravin. En marchant vent debout, ils ne vous entendent pas.
Alors, à quelques pas, quelle bourrasque d'éventails roux ! ... Vite,
mais sans précipitation inutile, choisissez deux victimes. Cette prise de
contact brutale les a certainement dispersés ; vous avez noté les points
de direction. A moins que les fugitifs aient gagné de grands bois touffus, il
sera aisé d'en relever quelques-uns. Allez lentement, très lentement, car, avec
le fond sonore du vent surchargé de bruits de branches, il est difficile d'entendre
le ronflement d'un départ. Que d'oiseaux ainsi sauvés ! Il est vrai qu'une
foule de perdreaux, par temps calme, tombent sous les plombs pour avoir été
trop bruyants.
En cherchant ces gallinacés, vous aurez probablement la
surprise d'un quadrupède — grand ou petit modèle. Tapis sous l'abri protecteur
du moindre obstacle, ils laissent passer les rafales ... et les chasseurs.
A votre toutou de se montrer plus malin. Le vent de novembre se joue des
feuilles arrachées sans pitié, puis emportées avec bruit. Compère oreillard
n'aime guère cette musique et quitte les bois. Battez à proximité ravins,
friches et labours. En arrière-saison, le civet se rencontre plus souvent en plein
soleil qu'au milieu des broussailles humides.
Les journées de mistral glacé doivent être bénies par les
amateurs de grives. Il suffit de repérer le point où elles « tombent »
pour boire. Demain, ce coin ne vaudra peut-être plus rien — à moins qu'il ne
s'agisse d'une source ; aujourd'hui, un véritable aimant les y attire.
Profitez-en. Vite, construisez un affût rustique. Cinq ou six grosses branches
formeront l'ossature sur laquelle des brassées vertes et serrées de genévrier
ou de cade combleront les vides. Rapide aménagement intérieur pour supprimer ce
qui gêne ; quelques meurtrières surveillant la cime des chênes. Notre « cabane »
ne choque pas dans le paysage, et bientôt mauvis, draines et litornes
arriveront à tire-d'aile. Il est fréquent de brûler vingt à trente cartouches
dans la matinée, si le coin choisi avoisine des plateaux riches en grives.
D'autres — et je suis de ceux-là — préfèrent les intercepter durant ce voyage
aux abreuvoirs. Les jours de mistral, le tir est particulièrement difficile.
Certain matin de janvier, posté sur le bord du plateau avoisinant le Verdon, je
dus battre en retraite, faute de munitions. Les oiseaux emportés par la
tourmente semblaient des feuilles mortes rasant le sol. Peu de victimes.
N'est-ce pas les coups de mistral, fin octobre, qui amènent
en nos pinèdes les premiers longs becs ?
Ah ! que de plaisirs procure la primeur de ces
rencontres ! ... Souvent, surprise du chasseur qui ne pensait pas
encore à elle. D'autres fois, travail soutenu du chien, envol sifflant dans les
taillis ou au milieu de la clairière. Rapide coup de fusil. Image fugitive de
la chute dorée, joie profonde de caresser la lumineuse robe et ce grand oeil
plein de nuit.
Souffle, souffle, mistral, et demain mets sur notre route la
note dorée de cette divine voyageuse.
A. ROCHE.
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