On ne peut pas dire que la porte qui ouvre sur la chasse, si
elle est pendant un certain temps complètement ouverte, soit jamais
complètement fermée. Même lorsqu'il semble que la clé a été tournée à double
tour il reste dans le bas « la catouniéro ».
Certes la réglementation extrêmement souple de la police de
la chasse est pleine d'agrément pour le chasseur passionné qui ne peut se
résoudre à laisser son fusil au repos.
Au marais, dès juillet, une première ouverture précède la
grande, la vraie, celle de fin août ou début septembre. Alors la porte est
ouverte à deux battants et, sauf quelques rares espèces spécialement protégées,
tout ce qui vote et qui court peut tomber sous le plomb.
Le début de janvier amène la fermeture, c'est-à-dire celle
d'un battant de la porte, l'autre restant entr'ouvert. En, effet, je parle pour
nos régions méridionales, la chasse à la grive au poste et sans chien reste
autorisée dans des conditions assez libérales jusqu'au 28 février dans les
communes où il existe des oliviers. La loi fait bien de n'en pas préciser le
nombre, car je connais une commune où la chasse à la grive est très en honneur
et où il n'existe que ... deux oliviers, d'ailleurs à peu près secs.
En l'an de grâce 1951 la chasse à la bécasse était d'abord
autorisée dans les bois de plus de trois hectares, au chien d'arrêt jusqu'au 31
mars et à la croule une demi-heure après le coucher du soleil. Un arrêté
spécial a mis fin à cette pratique le 11 février au soir. Personnellement, je
l'ai regretté ; mais, pour les perdreaux et les lapins, ça vaut tout de
même mieux.
Au marais et sur les étangs, rivières et canaux de
l'intérieur, la chasse au gibier d'eau reste possible jusqu'au 31 mars. Jusqu'à
l'année dernière, on pouvait chasser à terre à trente mètres des rives. A
partir de cette année, il faut être sur l'eau ou dans l'eau. Cela arrive
quelquefois plus qu'on ne le désire.
Mais, à partir du 6 février, faites bien attention ! Le
tir du colvert est interdit, avec juste raison d'ailleurs, car on commence à
voir ces canards par couple. La volée du soir est autorisée une heure après le
coucher du soleil. Vous vous êtes rendu dans le marais au poste que vous avez
choisi, soit en bateau, soit à la botte, alors que le disque rouge du soleil
s'enfonce dans l'horizon. Il est encore trop tôt. Un spectacle magnifique et
changeant s'offre à votre regard et à vos oreilles. Le marais, qui semblait
vide, s'anime de mille feux, de mille cris. Le vent froisse la surface des
eaux, les roseaux murmurent, le soleil couchant lance de longs traits de
flammes qui peu à peu s'éteignent ; un héron butor s'évertue quelque part
à jeter l'effroi sur les étangs, les râles noirs se poursuivent dans les
roubines en poussant des cris aigus ; le puissant beuglement d'un taureau
rappelle que ce pays, il y a bien longtemps, adorait Mithra ...
Maintenant, le crépuscule envahit la terre et les eaux. Les
couleurs ternes ont remplacé les vives. Le moment attendu est là. C'est presque
la nuit. On s'est installé le plus confortablement possible, les cartouches a
portée, la lampe électrique dans une poche. Il faut être prêt à tirer à tout
moment. Quelques bruits d'ailes viennent de sillonner le ciel. Trop haut, on ne
voit rien ! Un souffle comme le vent passe. C'est une bande plus nombreuse
de canards qui vont au loin faire leur nuit. La densité de l'ombre augmente
d'instant en instant. Soudain, une silhouette bien connue, ce cou tendu, ce
corps profilé les ailes attachées en arrière, se déplace dans le soir. Le coup
de fusil l'a jetée dans l'eau. Hélas ! mon ami, votre cas est pendable.
Vous avez tué un colvert. Il vous faut, comme un braconnier, cacher votre
conquête. Je sais qu'un chasseur expérimenté peut distinguer un colvert dans la
nuit. Mais ce n'est pas toujours commode, et tous les chasseurs ne sont pas
obligés d'être expérimentés. Il n'en reste pas moins qu'un honnête chasseur peut
fort bien aller en correctionnelle.
Le fait de tirer un gibier défendu n'est pas seul à produire
de tels effets ; il y a aussi le mode de chasse. Nous avons vu que la
chasse à la grive demeurait ouverte au poste et sans chien jusqu'au 28 février.
Par une de ces journées où le marais est vide et les bécassines inabordables
pour tuer le temps je suivais le bord du petit Rhône avec deux amis. Un merle
partit d'un buisson. Je le tirai et le manquai. Un garde nous observait depuis
un moment. Il vint à nous, et nous demanda à quoi nous avions tiré. « A un
merle », dis-je, la conscience tranquille, puisqu'il s'agissait d'un
congénère de la grive.
— Heh ! Monsieur, vous avez mal fait : vous avez
le droit de tirer le merle au poste, mais non de le chasser en bute-avant.
Comme M. Jourdain ignorait qu'il parlait en prose, je
chassais le merle en bute-avant sans le savoir ! Je dois à la vérité de
dire que ce garde qui, d'ailleurs, faisait son devoir ne m'envoya pas sur le
banc d'infamie.
Tous ces règlements dont le but évident est de permettre aux
chasseurs de chasser le plus possible tout en protégeant les espèces ont été
conçus dans une période d'abondance cynégétique. Les entorses qui s'y faisaient
autrefois n'avaient pas des conséquences bien graves. Mais, aujourd'hui, la
rareté du gibier ne permet plus la prodigalité. Ils semblent faits pour un
peuple dont le respect des lois et le souci de la discipline sont les
principales préoccupations. Nous pouvons tous avouer, sans fausse modestie, que
tel n'est pas notre cas.
Aussi serait-il peut-être bon de les simplifier et de les
rendre plus clairs pour éviter le byzantinisme qui distingue la chasse au merle
au poste et en bute-avant sur un terrain où la chasse est autorisée. Les
chasseurs sauraient ce qu'ils doivent faire, et les gardes pourraient mieux
réprimer les véritables délits. Car le rôle des gardes est de réprimer le
braconnage.
Jean GUIRAUD.
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