Accueil  > Années 1951  > N°651 Mai 1951  > Page 266 Tous droits réservés

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée.

On ne peut pas dire que la porte qui ouvre sur la chasse, si elle est pendant un certain temps complètement ouverte, soit jamais complètement fermée. Même lorsqu'il semble que la clé a été tournée à double tour il reste dans le bas « la catouniéro ».

Certes la réglementation extrêmement souple de la police de la chasse est pleine d'agrément pour le chasseur passionné qui ne peut se résoudre à laisser son fusil au repos.

Au marais, dès juillet, une première ouverture précède la grande, la vraie, celle de fin août ou début septembre. Alors la porte est ouverte à deux battants et, sauf quelques rares espèces spécialement protégées, tout ce qui vote et qui court peut tomber sous le plomb.

Le début de janvier amène la fermeture, c'est-à-dire celle d'un battant de la porte, l'autre restant entr'ouvert. En, effet, je parle pour nos régions méridionales, la chasse à la grive au poste et sans chien reste autorisée dans des conditions assez libérales jusqu'au 28 février dans les communes où il existe des oliviers. La loi fait bien de n'en pas préciser le nombre, car je connais une commune où la chasse à la grive est très en honneur et où il n'existe que ... deux oliviers, d'ailleurs à peu près secs.

En l'an de grâce 1951 la chasse à la bécasse était d'abord autorisée dans les bois de plus de trois hectares, au chien d'arrêt jusqu'au 31 mars et à la croule une demi-heure après le coucher du soleil. Un arrêté spécial a mis fin à cette pratique le 11 février au soir. Personnellement, je l'ai regretté ; mais, pour les perdreaux et les lapins, ça vaut tout de même mieux.

Au marais et sur les étangs, rivières et canaux de l'intérieur, la chasse au gibier d'eau reste possible jusqu'au 31 mars. Jusqu'à l'année dernière, on pouvait chasser à terre à trente mètres des rives. A partir de cette année, il faut être sur l'eau ou dans l'eau. Cela arrive quelquefois plus qu'on ne le désire.

Mais, à partir du 6 février, faites bien attention ! Le tir du colvert est interdit, avec juste raison d'ailleurs, car on commence à voir ces canards par couple. La volée du soir est autorisée une heure après le coucher du soleil. Vous vous êtes rendu dans le marais au poste que vous avez choisi, soit en bateau, soit à la botte, alors que le disque rouge du soleil s'enfonce dans l'horizon. Il est encore trop tôt. Un spectacle magnifique et changeant s'offre à votre regard et à vos oreilles. Le marais, qui semblait vide, s'anime de mille feux, de mille cris. Le vent froisse la surface des eaux, les roseaux murmurent, le soleil couchant lance de longs traits de flammes qui peu à peu s'éteignent ; un héron butor s'évertue quelque part à jeter l'effroi sur les étangs, les râles noirs se poursuivent dans les roubines en poussant des cris aigus ; le puissant beuglement d'un taureau rappelle que ce pays, il y a bien longtemps, adorait Mithra ...

Maintenant, le crépuscule envahit la terre et les eaux. Les couleurs ternes ont remplacé les vives. Le moment attendu est là. C'est presque la nuit. On s'est installé le plus confortablement possible, les cartouches a portée, la lampe électrique dans une poche. Il faut être prêt à tirer à tout moment. Quelques bruits d'ailes viennent de sillonner le ciel. Trop haut, on ne voit rien ! Un souffle comme le vent passe. C'est une bande plus nombreuse de canards qui vont au loin faire leur nuit. La densité de l'ombre augmente d'instant en instant. Soudain, une silhouette bien connue, ce cou tendu, ce corps profilé les ailes attachées en arrière, se déplace dans le soir. Le coup de fusil l'a jetée dans l'eau. Hélas ! mon ami, votre cas est pendable. Vous avez tué un colvert. Il vous faut, comme un braconnier, cacher votre conquête. Je sais qu'un chasseur expérimenté peut distinguer un colvert dans la nuit. Mais ce n'est pas toujours commode, et tous les chasseurs ne sont pas obligés d'être expérimentés. Il n'en reste pas moins qu'un honnête chasseur peut fort bien aller en correctionnelle.

Le fait de tirer un gibier défendu n'est pas seul à produire de tels effets ; il y a aussi le mode de chasse. Nous avons vu que la chasse à la grive demeurait ouverte au poste et sans chien jusqu'au 28 février. Par une de ces journées où le marais est vide et les bécassines inabordables pour tuer le temps je suivais le bord du petit Rhône avec deux amis. Un merle partit d'un buisson. Je le tirai et le manquai. Un garde nous observait depuis un moment. Il vint à nous, et nous demanda à quoi nous avions tiré. « A un merle », dis-je, la conscience tranquille, puisqu'il s'agissait d'un congénère de la grive.

— Heh ! Monsieur, vous avez mal fait : vous avez le droit de tirer le merle au poste, mais non de le chasser en bute-avant.

Comme M. Jourdain ignorait qu'il parlait en prose, je chassais le merle en bute-avant sans le savoir ! Je dois à la vérité de dire que ce garde qui, d'ailleurs, faisait son devoir ne m'envoya pas sur le banc d'infamie.

Tous ces règlements dont le but évident est de permettre aux chasseurs de chasser le plus possible tout en protégeant les espèces ont été conçus dans une période d'abondance cynégétique. Les entorses qui s'y faisaient autrefois n'avaient pas des conséquences bien graves. Mais, aujourd'hui, la rareté du gibier ne permet plus la prodigalité. Ils semblent faits pour un peuple dont le respect des lois et le souci de la discipline sont les principales préoccupations. Nous pouvons tous avouer, sans fausse modestie, que tel n'est pas notre cas.

Aussi serait-il peut-être bon de les simplifier et de les rendre plus clairs pour éviter le byzantinisme qui distingue la chasse au merle au poste et en bute-avant sur un terrain où la chasse est autorisée. Les chasseurs sauraient ce qu'ils doivent faire, et les gardes pourraient mieux réprimer les véritables délits. Car le rôle des gardes est de réprimer le braconnage.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 266