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Les livres d'élevage

L'enregistrement des inscriptions de tous les chiens de toutes races à un livre d'origine unique par pays se justifie par la commodité des recherches et des vérifications centralisées en un seul document, tenu par un organisme officiel fédéral. Cet avantage est surtout évident du point de vue de l'étranger. Quand un importateur veut s'assurer des origines d'un sujet qu'il se propose d'importer, quelle qu'en soit la race, il peut ainsi s'adresser directement à cet organisme central. Certains pays n'accordent le visa d'importation que si le chien, outre son pedigree, est accompagné d'un certificat de cet organisme attestant la validité et la réalité de l'inscription.

Ce système du livre unique est actuellement celui qui est en vigueur en France, où le L. O. F. (Livre des origines françaises), tenu par la Société centrale canine, enregistre les inscriptions des chiens de toutes les races reconnues.

Mais il faut bien reconnaître que l'avantage du système est uniquement commercial et qu'en fait l'inscription d'un chien au L. O. F. ne peut lui conférer qu'une valeur marchande et purement conventionnelle. Ce document, qui n'est d'ailleurs pas reconnu officiellement par le ministère de l'Agriculture, comme le sont les livres d'origines des chevaux et bovins, ne saurait donner plus qu'il ne reçoit : des déclarations, presque toujours incontrôlables et bien rarement contrôlées, émanant de n'importe qui sur la présentation des pedigrees des géniteurs. Les fausses déclarations peuvent y prendre place, et on en a connu plusieurs ; les erreurs n'en sont pas évincées. Il serait difficile de pallier ces inconvénients, graves mais inéluctables ; car comment concevoir que quelques préposés à la tenue du document soient compétents pour contrôler des milliers d'inscriptions annuelles ? Et, en auraient-ils la compétence théorique, comment en auraient-ils les moyens matériels ?

A supposer qu'ils les auraient, un document de cette sorte ne saurait être qu'un livre d'enregistrement, constatant l'exactitude des origines déclarées et les couvrant d'un visa conventionnellement officiel. Ce serait encore trop peu dans l'intérêt de l'élevage. Car élever, c'est avant tout sélectionner, et le livre des origines ne permet par lui seul aucune sélection, puisque tous les sujets y sont admis, même dès leur naissance, et qu'il n'y est jamais fait mention de leurs défauts ou qualités.

Certes l'éleveur digne de ce nom connaît les qualités des géniteurs qu'il utilise ou s'en enquiert ; mais ce n'est pas le livre d'origines qui les lui indique ; on ne l'a pas prévu pour cela. Dès lors, il est permis au premier bricoleur venu de se croire ou se dire éleveur en alliant des sujets au hasard dont l'unique mérite est d'être inscrits, et cette qualité suffit en général pour écouler n'importe quel produit parmi les néophytes et profanes.

En face du système du livre unique, il en existe un autre : celui des livres d'élevage.

Le principe consiste dans la tenue par chaque club d'un livre où sont inscrits les chiens de la race dont il s'occupe. Déjà, il est bien évident que le contrôle en devient plus sérieux, plus aisé ; il est même possible de le rendre à peu près absolu par une organisation interne et propre à chaque club, par un recrutement rigoureux de ses membres, par l'octroi à certains seulement du titre d'éleveurs et qui seuls auraient droit, par exemple, à demander des inscriptions. Il faudrait, certes, pour cela admettre et imposer une mentalité nouvelle ; bref, il faudrait « vouloir ». Outre ce contrôle possible, le livre d'élevage ne doit admettre que des sujets non seulement d'une pureté certaine, mais présentant un intérêt pour l'élevage. C'est dire que ces chiens, issus déjà de géniteurs sélectionnés, font eux-mêmes l'objet d'une sélection personnelle : ne doivent être inscrits que les sujets dûment expertisés à l'âge adulte, du point de vue physique et, pour les chiens d'utilité, du point de vue des qualités pratiques. Toute inscription de sujet doit y être accompagnée d'un commentaire sur ses qualités et surtout ses défauts (car presque tout sujet a ses défauts et, malgré ces derniers, il peut avoir été inscrit en raison de ses qualités).

Il y a plus : tout éleveur sait bien qu'il ne suffit pas d'accoupler deux sujets de qualités exceptionnelles pour obtenir des produits parfaits. Surtout du point de vue moral, les formules scientifiques sont bien souvent démenties en pratique ; ce n'est que celle-ci qui permet de se rendre compte de la valeur génétique des sujets. Les chiens de chasse les plus fameux sont quelquefois issus de parents simplement honnêtes, qui possédaient un potentiel héréditaire insoupçonné ; des géniteurs, remarquables chasseurs, n'ont pas transmis leurs qualités à leur descendance. C'est pourquoi un livre d'élevage bien conçu doit mentionner aussi ces qualités ou ces défauts de leur puissance héréditaire. On conçoit l'immense avantage d'un tel système pour l'élevage ; on admettra aussi qu'il n'est pratiquement possible que dans le sein des clubs spéciaux. Les éleveurs sérieux tiennent évidemment leur livre d'élevage personnel ; mais c'est un cadre trop étroit qui ne profite qu'à eux-mêmes. L'avantage du livre d'élevage tenu par un groupement d'éleveurs, c'est qu'il devient public, donc profitable à tout le monde.

Depuis longtemps, les éleveurs allemands ont reconnu les avantages du principe, et chaque club y est officiellement habilité à tenir son livre d'élevage. Nous ignorons si tous les renseignements ci-dessus y ont leur place ; mais, de toute façon, les clubs possèdent l'instrument qui est nécessaire à leur mission, et c'est à eux d'en faire un bon usage.

En France, divers clubs ont essayé de tenir leur livre d'élevage et certains le tiennent encore ; mais, n'étant pas obligatoire, les inscriptions y sont facultatives, en ce sens que tout chien qui se voit refuser l'inscription par le club peut pratiquement l'obtenir au livre unique et réputé seul officiel (L. O. F.). Sans doute, les clubs ont le pouvoir de s'opposer à telles inscriptions qu'ils jugent indésirables ; en fait, ils usent peu de cette prérogative, et les livres d'élevage n'atteignent pas leur but. Une exception vient d'être faite au profit d'une race, dont aucune inscription n'est reçue par le L. O. F. sans le visa préalable du club ; mais cet événement a des causes spéciales et mérite à lui seul un développement qui doit intéresser les éleveurs de toutes autres races.

Rien ne s'oppose, d'ailleurs, à ce que les inscriptions reçues aux livres d'élevage soient retranscrites à un livre unique, tenu par l'organisme fédéral. Mais ce dernier se bornerait alors à enregistrer, sans contrôle et sans les commentaires, les noms des chiens, leur numéro et ceux de leurs parents ;

en somme, il serait, tel qu'il est, un simple livre d'enregistrement et de centralisation ; mais il y gagnerait toute la sélection et l'authenticité que les clubs auraient prises en charge.

En Allemagne, les inscriptions aux livres d'élevage reçoivent le visa de l'organisme central.

Il y a quelques années, un mouvement se dessina en France en faveur du système sous l'égide de l'Entente cynophile française ; mais celle-ci a accepté sa dissolution, et ses filiales ont abdiqué leur mouvement de dissidence en revenant au bercail officiel de la Société centrale canine. Ce n'est pas cette abdication qui est regrettable en elle-même, car la rupture d'unité conduit souvent à l'anarchie ; mais on peut regretter que les principes de l'Entente n'aient pas servi de base à un départ vers une évolution qui ferait faire un grand progrès au sport canin français.

Car il ne semble pas, bien au contraire, que l'organisme dirigeant de la cynophilie française ait pris conscience de ses errements ou qu'il ait le désir de s'orienter vers une voie plus profitable à l'élevage en abdiquant aux clubs, qui font sa raison d'être, le rôle qui est le leur, et le leur seulement. Son nom, pourtant, devrait être un programme : centraliser l'activité des clubs. Qui trop embrasse mal étreint.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 273