En certaines régions, c'est le gardon commun qui a reçu les
appellations fantaisistes de rousse, rosse, roche, roussette ; en
d'autres, elles sont communément appliquées au rotengle, cyprin très voisin du
premier, et il en résulte une regrettable confusion, car ces deux poissons
n'ont pas les mêmes mœurs et ne se pèchent pas tout à fait de la même manière.
Afin que les débutants ne les confondent point, signalons ces différences.
A. Formes générales.
— Gardon commun (Leuciscus rutilus) :
corps élevé, comprimé latéralement. Écailles grandes. Mâchoire supérieure
dépassant un peu l'inférieure. Nageoire dorsale plus haute que longue. Corps
quatre fois plus long que large.
— Rotengle (Scardinius erythrophtalmus) : corps
ovale, très élevé, plus comprimé que celui du gardon. Corps trois fois plus long
que large. Bouche petite, fendue obliquement de bas en haut et dépassant
légèrement la supérieure.
B. Coloration.
— Gardon : dos brun verdâtre ; flancs
argentés, ventre blanc assez brillant. Nageoires d'un jaune rougeâtre. Teinte
générale claire.
— Rotengle : dos vert foncé ; flancs dorés,
souvent un peu bronzés ; ventre blanc jaunâtre, parfois rosé. Œil grand,
franchement rouge. Teinte générale roussâtre.
C. Particularités.
— Gardon : taille maximum 0m,35 ; poids
maximum 1 kilo. Nageoire dorsale placée au-dessus de l'emplacement séparant les
ventrales de l'anale. Dents pharyngiennes unisériées (5 à gauche, 6 à droite).
Poisson de fond apparenté aux fouilleurs, plus végétarien que carnivore.
— Rotengle : taille maximum 0m,50 ; poids
maximum 800 grammes (rare). Nageoire dorsale brève, placée plus en arrière que
celle du gardon. Dents pharyngiennes bisériées (8 de chaque côté). Œil plus
grand et rouge au lieu d'être doré. Plus carnivore que végétarien.
Mœurs du rotengle.
— Se rencontre dans la plupart des rivières françaises non
torrentielles ; moins répandu cependant que le gardon. Aime les eaux
limpides, fraîches, bien garnies de végétation. Habitat ordinaire :
rivières de plaine au cours lent et tranquille, canaux et beaucoup d'étangs.
Peut se reproduire dans des eaux plus fraîches que celles où frayent la carpe
et la tanche ou même le gardon (12 à 16°), ce qui lui permet de prospérer dans
les étangs à truites d'élevage auxquelles ses alevins servent de nourriture.
Une femelle pond environ 80.000 œufs sur les herbes des bords ; éclosion
rapide (douze à quinze jours). Le rotengle, comme le gardon, consomme des
matières végétales, mais plus encore des substances carnées, notamment des
larves, crustacés et insectes. On peut le ranger, à côté du chevenne et de la
vandoise, parmi les poissons chasseurs.
Les alevins de rotengle sont avidement recherchés des
brochets, perches et truites ; c'est la raison pour laquelle les
propriétaires d'étangs tolèrent sa présence dans leurs pièces d'eau et parfois
même l'y introduisent afin de limiter la destruction en grand par les voraces
des petites carpes et tanches. Mais il faut éviter ce que ce poisson prolifique
se multiplie par trop, car, en absorbant tout le plancton, il nuirait au
développement de ces dernières pendant leur premier âge.
Pêche du rotengle en étang.
— A rechercher surtout vers les bords ; la pleine eau
étant trop dangereuse pour sa sécurité, il la fuit. C'est dans la végétation
aquatique des bords que le rotengle élit plus volontiers domicile, et notamment
au milieu des nénuphars, dont les tiges espacées lui permettent de circuler et
les larges feuilles flottantes de se mettre à l'abri. Cependant, il ne craint
guère le soleil et, en été, on peut voir souvent des bandes de ces poissons
immobiles tout près de la surface. Habituellement, il se tient entre 0m,50 et 1m,20
de profondeur pour surveiller les alentours. Il a la vue et l'ouïe très bonnes,
et sa méfiance le met à l'abri des surprises du lanceur d'épervier.
Dans les étangs, le pêcheur à la ligne opère presque
toujours du bord ; il faut donc une canne longue, légère, assez flexible,
le plus souvent en roseau ligaturé (longueur 6 mètres à 6m,50).
Moulinet peu utile. Corps de ligne très fin, en soie, cordonnet,
catgut ou nylon, résistance 2 kilogrammes. Bas de ligne de 1m,80 en racine 3 X
ou nylon 16/100, pouvant supporter 1 kilogramme environ. Le rotengle se pêche :
a. Aux esches végétales : blé, chènevis, pâte
molle, mie de pain, noquette minuscule. Employer un petit flotteur à antenne lesté
d'un plomb à l'extrémité inférieure pour donner stabilité et sensibilité
indispensables. Jet par lancer balancé en avant le long des bancs de roseaux et
dans les vides entre les nénuphars. Ne pas mettre plus de 1m,20 de fond,
souvent moins. Amorcer avec son mouillé, pain trempé, chènevis pilé et humecté.
Poser l'esche légèrement au milieu du nuage. La plume oscille bientôt et
s'enfonce. Ferrer aussitôt, résister et enlever d'autorité pour éviter
l'enchevêtrement du fil dans la végétation, d'où perte du poisson.
b. A l'insecte : rechercher les blocages. Escher
d'une sauterelle, d'une grosse mouche, d'un téléphore, etc. ... Faire un
jet allongé au centre des blocages, laisser tendre le fil, ferrer doucement et
amener. Si un banc de roseaux cache la place, descendre l'insecte par dessus et
pêcher à la surprise. On ne voit pas les touches, mais on les sent à la main et
on voit se courber l'extrémité du scion. Ferrer sans tarder, enlever le poisson
avec précaution, mais résolument, et le déposer sur la berge. Il est rare, en
étang, de pouvoir épuiser ses prises ; il faut donc que le fil puisse
supporter une traction d'environ 1 kilogramme ; cela est suffisant pour
enlever d'autorité presque tous les rotengles accrochés, à condition de ne pas
y mettre de brutalité.
Si un filet rempli de ces poissons rutilants flatte l'oeil,
par contre on n'aura guère de satisfaction à les consommer. Chair sèche,
nombreuses arêtes, goût fade, parfois même vaseux ; en somme, plat peu
appétissant dont il vaut mieux faire cadeau à ... sa belle-mère.
R. PORTIER.
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