L'insémination artificielle est actuellement fort à la mode
et, un peu partout en France, des centres sont créés pour la fécondation de nos
divers animaux domestiques.
Ce qui est tout nouveau en matière de zootechnie et
d'élevage est connu depuis longtemps en matière de pisciculture.
Sans remonter jusqu'aux Romains, à qui l'on attribue (sans
preuves d'ailleurs) la découverte de la fraye artificielle des salmonidés,
l'histoire mentionne que Dom Pinchon, de l'Abbaye de Réom, avait déjà obtenu
des résultats positifs dans la fécondation artificielle des truites dès le XIVe
siècle. Bornons-nous aux résultats historiques incontestés : il est
actuellement bien prouvé que l'insémination artificielle en pisciculture a été
couronnée de succès vers le milieu du XVIIIe siècle.
Ces résultats doivent être attribués à Jacoby, lieutenant
autrichien, qui opéra avec succès sur les truites et les saumons en 1758, il y
a donc plus de deux cents ans. L'affaire fit grand bruit à l'époque et fut
suivie de près par les grands savants naturalistes de la fin du XVIIIe siècle,
Buffon, Lacepède, Duhamel du Monceau.
II est remarquable de constater que la technique de la
fécondation artificielle fut oubliée pendant près de cent ans, et même complètement
perdue. Elle fut retrouvée par deux pêcheurs vosgiens complètement illettrés,
mais bons observateurs de la nature, et dont il est bon que les noms soient
gardés dans l'histoire. Ces deux pêcheurs, Rémy et Géhin, dès 1842, avaient
réussi à féconder des œufs de truite avec la laitance des mâles, à élever les
alevins obtenus et à obtenir des milliers de truitelles qui servirent plus tard
à peupler la Moselotte.
Coste, professeur d'embryogénie au Collège de France, eut
connaissance des résultats pratiques obtenus par Rémy et Géhin et comprit
immédiatement le grand intérêt pratique qui s'attachait à cette découverte. Il
créa un laboratoire de fécondation au Collège de France et donna une telle
impulsion à cette affaire que les pouvoirs publics s'émurent et créèrent vers
1850 un vaste établissement de pisciculture à Huningue (Haut-Rhin), produisant
d'importantes quantités d'œufs embryonnés de saumon et de truite. La
pisciculture connut alors un enthousiasme inouï. Une industrie nouvelle était
née : la pisciculture artificielle. La technique, par la suite, s'améliora
lentement, et point n'est besoin de rappeler ses grands noms ; citons,
parmi tant d'autres, le conservateur des Eaux et Forêts Kreitmann, les
professeurs Léger et Roule, Vouga, etc.
Revenons-en aux méthodes de fécondation artificielle
proprement dite.
Historiquement, la méthode d'abord employée fut la méthode
dite humide, et ensuite la méthode de fécondation dite sèche, qui est,
aujourd'hui, plus généralement employée ; nous parlerons ultérieurement de
la méthode suisse, ou extra-sèche, qui est principalement employée pour les
brochets, mais qui a toutefois son application à la truite.
Dans la méthode de fécondation normale, ou méthode sèche,
les reproducteurs sont séparés par sexe et placés dans des bassins à eaux
courantes à portée de la main de l'opérateur. A ce propos, j'indique tout de
suite un petit « tuyau » qui a son importance, de même d'ailleurs que
tous les tuyaux, trucs et tours pratiques qu'on ne peut apprendre qu'avec un
opérateur expérimenté et dont l'ignorance conduit bien souvent à l'échec. Cette
petite précaution simple consiste à placer les mâles en amont du bassin des
femelles, la disposition inverse ayant pour effet d'exciter inutilement les
mâles et de les épuiser.
L'opérateur saisit donc une femelle à la hauteur des
nageoires pectorales directement avec les doigts ou par l'intermédiaire d'un
linge propre. Après l'avoir laissée se débattre un moment et se calmer, il
essuie le ventre de la femelle, dont l'anus est placé au-dessus d'une passoire
bien rincée et égouttée ; si la femelle est grosse, un aide opérateur la
tiendra par la queue ; de sa main droite, avec une simple pression des
doigts se déplaçant des nageoires pectorales vers l'anus, l'opérateur fera
sortir tous les œufs qui, s'ils sont bien mûrs, s'écouleront sans aucune peine
en un chapelet continu dans la passoire. Il arrive d'ailleurs souvent que,
lorsque la femelle est bien mûre, le simple fait d'arquer la colonne vertébrale
suffit à exprimer les œufs. On videra soigneusement la femelle, dont le ventre
doit rester bien flasque à la fin de l'opération. On la placera ensuite dans un
bassin à eau bien courante, où elle pourra reprendre ses forces.
On renouvelle cette opération avec une ou deux autres
femelles jusqu'à ce que l'on ait une masse assez importante d'œufs variant de
1.000 à 7.000 ou 8.000 œufs (ce dernier chiffre étant un maximum).
La masse d'œufs, constituée d'ovules jaune orangé en forme
de sphères un peu flasques, bien égouttée par la passoire, sera alors placée dans
une cuvette en émail ou en verre.
L'opérateur prend alors un mâle dans les mêmes conditions
que ci-dessus, presse doucement sur son ventre et verse les gouttes de laitance
sur la masse d'œufs. En principe, la laitance d'un seul mâle, étant donnée la quantité
innombrable de spermatozoïdes qu'elle contient, suffirait pour féconder
plusieurs milliers d'œufs. En pratique, on ajoutera toujours la laitance d'un
deuxième et même d'un troisième mâle, afin d'éviter que l'ensemble des œufs
soit perdu au cas où la laitance d'un mâle serait de mauvaise qualité.
Après l'opération, les mâles sont mis dans un bassin d'eau
vive dans lequel ils seront bien soignés et nourris.
Œufs et laitance, toujours à sec dans la cuvette, seront
légèrement brassés pendant plusieurs secondes avec une plume d'oie afin de les
mettre en contact. .On laisse reposer le tout pendant trois minutes, puis on
couvre les œufs de quelques centimètres d'eau. La cuvette sera alors placée
dans un coin tranquille, et on n'y touchera plus d'au moins vingt minutes.
L'œuf fécondé, placé dans l'eau, gonfle et atteint en 15 ou 20 minutes la
sphéricité absolue.
Physiologiquement, les phénomènes se seront passés comme
suit : l'œuf non fécondé, c'est-à-dire l'ovule, étant mis en contact avec
le sperme du mâle, le spermatozoïde arrive au contact de la membrane, passe par
le micropyle et féconde l'œuf. Le délai de trois minutes à sec est largement
suffisant pour assurer cette opération ; prolonger ce délai plus longtemps
est inutile, les spermatozoïdes étant incapables de vivre plus de deux à trois
minutes à sec, et plus de quatre-vingt-dix secondes dans l'eau (fait, a
priori, paradoxal pour du sperme de poisson). L'œuf fécondé, placé dans
l'eau, gonfle et atteint en 15 ou 20 minutes la sphéricité absolue.
Ce n'est donc que passé le délai de vingt minutes qu'on
procédera avec beaucoup de douceur au lavage de l'ensemble en mettant une
nouvelle quantité d'eau propre et en recommençant plusieurs fois l'opération,
jusqu'à ce que les œufs apparaissent bien nets dans une eau limpide. Il ne
reste plus, dès lors, qu'à transporter les œufs soit à sec, soit dans l'eau, au
laboratoire de pisciculture, et étendre ces œufs sur les clayettes
d'incubation. Comme nous l'avons vu dans un article antérieur, ces œufs
mettront trois semaines ou un mois à s'embryonner, c'est-à-dire qu'on ne verra
apparaître les yeux noirs de l'embryon qu'au bout de ce temps ; ils
mettront ensuite trois semaines avant d'éclore.
Vingt ou vingt-cinq minutes après la fécondation, les œufs
qui n'auront pas été fécondés se décèleront par la couleur blanc opaque qui
commencera par une simple lunule et qui s'étendra à l'ensemble de l'œuf. On
pourra tout de suite les éliminer.
Nous examinerons la prochaine fois la méthode suisse, ou extra-sèche,
et l'ancienne méthode de la fécondation humide.
M. DELAPRADE.
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