C'est le poisson plat typique, son nom scientifique est Rhombus
maximus, et il appartient à la famille des Pleuronectidés. Gardons-nous
bien de le confondre, ainsi que les poissons plats de cette famille, qui
comprend la sole, la limande, le carrelet, la barbue, avec la raie, qui est
d'une famille très différente. La raie a, en effet, le corps aplati, mais
repose sur son ventre ; c'est un poisson symétrique, avec les deux yeux
situés du côté dorsal et de chaque côté de la bouche, qui, elle, est située sur
le ventre.
Les vrais poissons plats, au contraire, sont dissymétriques ;
ils reposent non sur le ventre, mais sur un côté qui fait face ventrale et qui
est colorée en blanc ; l'autre côté, formant face dorsale, est
généralement plus brun et plus bombé. Le dos et le ventre véritables du poisson
plat se traduisent par une simple crête terminée par une nageoire courant
jusqu'à la caudale.
Au premier stade de son développement, le turbot (ainsi
d'ailleurs que les autres poissons plats) est un petit poisson rond, semblable
à un alevin d'un quelconque poisson, puis il évolue, ses yeux se déplacent
lentement sur un côté qui devient face dorsale, l'autre formant face ventrale ;
chacune de ces nouvelles faces prend ensuite la coloration qui lui est propre.
On remarquera que l'anus se trouve placé au milieu de la crête ventrale, ce qui
souligne bien la dissymétrie totale du poisson.
Le turbot ne se sert jamais de ses nageoires pour se
déplacer, mais il ondule ; cette faiblesse est compensée par un mimétisme
admirable qui le rend complètement invisible sur les fonds où il repose.
En revanche, il bat un record : c'est le poisson du
monde le plus prolifique. Un beau turbot de 3 à 4 kilogrammes est capable de
pondre jusqu'à 8 ou 10 millions d'œufs, alors que la morue, considérée en
général comme le plus prolifique des poissons, n'arrive qu'à 5 millions et
qu'une truite de 1 kilogramme ne donne guère que 1.500 à 2.000 œufs. L'œuf de
turbot, il est vrai, n'est pas plus gros qu'une tête d'épingle et atteint à
peine 1 millimètre de diamètre, alors que celui du carrelet (plie ou platuche)
arrive à 2 millimètres, ce qui représente un volume huit fois plus grand.
Le turbot va pondre, au printemps, au large, à plusieurs
milles de la côte. Les œufs, qui ont à peu près la densité de l'eau, s'élèvent
dans les couches superficielles de la mer et éclosent quelques jours plus tard,
non sans que les sardines et autres poissons planctonophages n'y fassent des
ravages.
Les jeunes alevins se portent vers le rivage et s'installent
le plus souvent le long des plages sableuses. Si l'on songe qu'une centaine de
turbots femelles est capable de produire un milliard d'œufs, il faut bien que
des quantités d'œufs et d'alevins soient perdues, car la population de turbots
n'augmente guère le long de nos côtes. Les jeunes alevins ne se nourrissent que
de plancton et, quand ils sont plus grands, de poissons morts et de débris
divers qu'ils trouvent sur les fonds. Les adultes de grandes dimensions pèsent
de 2 à 5 kilogrammes et vivent dans les fonds vaseux du large. Les alevins et
les poissons de un à deux ans pèsent jusqu'à 500 et 800 grammes et vivent à
proximité de la côte, dans de très faibles profondeurs.
Nos petits alevins de quelques jours, jusqu'alors semblables
à de quelconques alevins de poissons ronds, se métamorphosent très rapidement.
On peut observer en quelques jours le déplacement des yeux et l'aplatissement
du corps. Le petit poisson cesse alors de nager normalement et se laisse couler
au fond, dans une faible profondeur d'eau ; mesurant à ce moment à peine 2
centimètres, il va maintenant grossir très rapidement et, dès le mois de
juillet, mesure 10 centimètres. C'est encore une proie facile pour les voraces :
raies, chiens de mer, maigres, et, comme il reste souvent sous quelques centimètres
d'eau, des pêcheurs peu consciencieux en détruisent un assez grand nombre avec
des filets à petites mailles. Fin septembre, il atteint 150 à 200 grammes, et
même plus, et arrive à 400 grammes en octobre.
Le turbot se pêche au chalut, entre 30 et 40 mètres de
profondeur, sur les fonds vaseux. Le turbot moyen est péché à l'automne au
filet que l'on traîne, la nuit, à marée basse. On peut aussi le pêcher à la
ligne, mais de jour seulement. Dans une chronique ultérieure, je parlerai de ce
mode de pêche, ainsi que de l'élevage artificiel du turbot.
Je reviens sur la métamorphose des poissons plats. Ces
poissons se couchent sur un côté, et toujours sur le même côté selon l'espèce.
Le turbot, lui, est toujours couché sur le côté droit. Il se présente donc au pêcheur
du côté gauche, qui est coloré et bombé, qui porte les deux yeux, et la bouche
ouverte vers la gauche ; il en est de même de la barbue ; au
contraire, le carrelet, la plie, le flet présentent leur côté droit. Ce
phénomène de version du même côté est constant selon l'espèce de poisson.
Toutefois, de même que les mollusques présentent de rares inversions de
spirales (coquilles dextres et senestres), de même les poissons plats offrent
une fois sur dix mille, et plus rarement encore, des individus aberrants
tournés à l'inverse et dont les yeux et la bouche sont tournés à l'envers de
ceux de leurs congénères normaux. Je vous laisse le soin de trouver des
individus tournés à l'envers. Si, à vos prochaines vacances, vous trouvez une
de ces exceptions, vous pourrez l'offrir au Muséum d'histoire naturelle ou au
Musée maritime le plus proche ; c'est un cadeau qui sera apprécié à sa juste valeur.
LARTIGUE.
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