Accueil  > Années 1951  > N°651 Mai 1951  > Page 280 Tous droits réservés

Le turbot

C'est le poisson plat typique, son nom scientifique est Rhombus maximus, et il appartient à la famille des Pleuronectidés. Gardons-nous bien de le confondre, ainsi que les poissons plats de cette famille, qui comprend la sole, la limande, le carrelet, la barbue, avec la raie, qui est d'une famille très différente. La raie a, en effet, le corps aplati, mais repose sur son ventre ; c'est un poisson symétrique, avec les deux yeux situés du côté dorsal et de chaque côté de la bouche, qui, elle, est située sur le ventre.

Les vrais poissons plats, au contraire, sont dissymétriques ; ils reposent non sur le ventre, mais sur un côté qui fait face ventrale et qui est colorée en blanc ; l'autre côté, formant face dorsale, est généralement plus brun et plus bombé. Le dos et le ventre véritables du poisson plat se traduisent par une simple crête terminée par une nageoire courant jusqu'à la caudale.

Au premier stade de son développement, le turbot (ainsi d'ailleurs que les autres poissons plats) est un petit poisson rond, semblable à un alevin d'un quelconque poisson, puis il évolue, ses yeux se déplacent lentement sur un côté qui devient face dorsale, l'autre formant face ventrale ; chacune de ces nouvelles faces prend ensuite la coloration qui lui est propre. On remarquera que l'anus se trouve placé au milieu de la crête ventrale, ce qui souligne bien la dissymétrie totale du poisson.

Le turbot ne se sert jamais de ses nageoires pour se déplacer, mais il ondule ; cette faiblesse est compensée par un mimétisme admirable qui le rend complètement invisible sur les fonds où il repose.

En revanche, il bat un record : c'est le poisson du monde le plus prolifique. Un beau turbot de 3 à 4 kilogrammes est capable de pondre jusqu'à 8 ou 10 millions d'œufs, alors que la morue, considérée en général comme le plus prolifique des poissons, n'arrive qu'à 5 millions et qu'une truite de 1 kilogramme ne donne guère que 1.500 à 2.000 œufs. L'œuf de turbot, il est vrai, n'est pas plus gros qu'une tête d'épingle et atteint à peine 1 millimètre de diamètre, alors que celui du carrelet (plie ou platuche) arrive à 2 millimètres, ce qui représente un volume huit fois plus grand.

Le turbot va pondre, au printemps, au large, à plusieurs milles de la côte. Les œufs, qui ont à peu près la densité de l'eau, s'élèvent dans les couches superficielles de la mer et éclosent quelques jours plus tard, non sans que les sardines et autres poissons planctonophages n'y fassent des ravages.

Les jeunes alevins se portent vers le rivage et s'installent le plus souvent le long des plages sableuses. Si l'on songe qu'une centaine de turbots femelles est capable de produire un milliard d'œufs, il faut bien que des quantités d'œufs et d'alevins soient perdues, car la population de turbots n'augmente guère le long de nos côtes. Les jeunes alevins ne se nourrissent que de plancton et, quand ils sont plus grands, de poissons morts et de débris divers qu'ils trouvent sur les fonds. Les adultes de grandes dimensions pèsent de 2 à 5 kilogrammes et vivent dans les fonds vaseux du large. Les alevins et les poissons de un à deux ans pèsent jusqu'à 500 et 800 grammes et vivent à proximité de la côte, dans de très faibles profondeurs.

Nos petits alevins de quelques jours, jusqu'alors semblables à de quelconques alevins de poissons ronds, se métamorphosent très rapidement. On peut observer en quelques jours le déplacement des yeux et l'aplatissement du corps. Le petit poisson cesse alors de nager normalement et se laisse couler au fond, dans une faible profondeur d'eau ; mesurant à ce moment à peine 2 centimètres, il va maintenant grossir très rapidement et, dès le mois de juillet, mesure 10 centimètres. C'est encore une proie facile pour les voraces : raies, chiens de mer, maigres, et, comme il reste souvent sous quelques centimètres d'eau, des pêcheurs peu consciencieux en détruisent un assez grand nombre avec des filets à petites mailles. Fin septembre, il atteint 150 à 200 grammes, et même plus, et arrive à 400 grammes en octobre.

Le turbot se pêche au chalut, entre 30 et 40 mètres de profondeur, sur les fonds vaseux. Le turbot moyen est péché à l'automne au filet que l'on traîne, la nuit, à marée basse. On peut aussi le pêcher à la ligne, mais de jour seulement. Dans une chronique ultérieure, je parlerai de ce mode de pêche, ainsi que de l'élevage artificiel du turbot.

Je reviens sur la métamorphose des poissons plats. Ces poissons se couchent sur un côté, et toujours sur le même côté selon l'espèce. Le turbot, lui, est toujours couché sur le côté droit. Il se présente donc au pêcheur du côté gauche, qui est coloré et bombé, qui porte les deux yeux, et la bouche ouverte vers la gauche ; il en est de même de la barbue ; au contraire, le carrelet, la plie, le flet présentent leur côté droit. Ce phénomène de version du même côté est constant selon l'espèce de poisson. Toutefois, de même que les mollusques présentent de rares inversions de spirales (coquilles dextres et senestres), de même les poissons plats offrent une fois sur dix mille, et plus rarement encore, des individus aberrants tournés à l'inverse et dont les yeux et la bouche sont tournés à l'envers de ceux de leurs congénères normaux. Je vous laisse le soin de trouver des individus tournés à l'envers. Si, à vos prochaines vacances, vous trouvez une de ces exceptions, vous pourrez l'offrir au Muséum d'histoire naturelle ou au Musée maritime le plus proche ; c'est un cadeau qui sera apprécié à sa juste valeur.

LARTIGUE.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 280