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Tennis statique ou dynamique

Avec la belle saison vont s'affronter de nouveau les grandes vedettes de la raquette, et, autour des courts, va se renouveler la vieille querelle entre les anciens et les modernes sur la tactique dite « statique », sans doute moins efficace, mais plus spectaculaire que le jeu « dynamique », qui semble être celui de l'avenir, en tout cas du présent. Certes, ces points marqués à tour de bras et enlevés en force sont pour les spectateurs moins attrayants que ces longs échanges entre grands artistes auxquels toute une génération s'est passionnée à la période glorieuse du tennis français. Entre le jeu de Lacoste et celui de Pétra il y a la même différence qu'entre l'escrime de Carpentier et le forcing d'un Cerdan, sans que cette comparaison soit péjorative ni pour l'un ni pour l'autre, puisque l'un et l'autre obéissaient sincèrement, et brillamment, à une discipline différente. Je me souviens avoir assisté, lors de la première victoire de Lacoste sur Tilden, à des échanges de soixante-deux balles avant de marquer un point, après une démonstration de style et de précision qui atteignait la perfection. Aujourd'hui, il est rare que le gain d'un point nécessite un échange de plus de six balles.

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Mais — tant pis pour les spectateurs — nous ne verrons sans doute plus jamais le style de jadis. Et la nouvelle formule s'impose d'autant mieux que non seulement elle répond aux ambitions de la jeunesse d'aujourd'hui : arriver vite et par le plus court chemin, mais il semble que, malgré les apparences, elle soit à la fois plus efficace et moins épuisante. On ne se rendait sans doute pas compte, à l'époque, de l'excessive dépense énergétique et nerveuse qu'exigeait l'ancienne méthode, qui comportait pour une large part l'utilisation des déplacements latéraux et du « jeu de fond de court ». Ce dernier reste toujours, d'ailleurs, en usage pour les femmes, qui se déplacent moins rapidement.

D'ailleurs, chose curieuse, c'est vers la fin de sa carrière que Tilden préconisa d'adopter un jeu plus dynamique et plus rapide, parce qu'il le trouvait moins fatigant ... à partir d'un certain âge !

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De cette évolution dans la tactique découlent des modifications profondes dans la technique : le jeu de volée, et accessoirement de « demi-volée », se développe ; davantage de smashes, beaucoup moins de « revers » classiques ; presque plus de reprises de service « statiques », de « renvois ». Au contraire, tous les retours sont maintenant des contre-attaques, des préparations à l'offensive et au jeu de volée.

Dans ce jeu offensif, comme dans l'ancien tennis, le secret du service est toujours dans l'éducation et l'entraînement du « jeu de jambes », où Suzanne Langlen était inégalable (celle-ci, d'ailleurs, jouait comme un homme). Mais, au lieu de consister comme jadis à calculer le pivotement des pieds au sol et le balancement du bassin pour la préparation d'un revers ou d'un coup droit, ce jeu de jambes consiste avant tout, désormais, à faire avancer le corps vers le filet, tout en conservant les épaules, et en particulier le membre supérieur droit (pour les droitiers), toujours prêts à l'attaque, ce qui comporte une prise de raquette un peu différente de celle de jadis.

Si bien que l'objectif n°1 est désormais une orientation des épaules approximativement parallèle à la trajectoire de renvoi de la balle (c'est le cas du smash), dès le moment où commence l'exécution du mouvement de frapper la balle. Alors que jadis le smash n'était utilisé que pour terminer un échange et que, dans presque tous les autres cas, la position du bras était perpendiculaire à la trajectoire de la balle.

Il est certain que, dans cette position, l'enchaînement s'effectue plus facilement et plus vite avec la course au filet, le démarrage s'identifiant avec les précédents mouvements du jeu de jambes, au lieu de nécessiter un changement total de position comme lorsqu'il s'agissait de passer de la position de défense à celle d'attaque.

La conservation de l'équilibre se trouve également facilitée de ce fait.

Autrement dit, alors que le tennis statique évoluait, sauf à la dernière seconde, en équilibre au-dessus du polygone de sustentation, le tennis offensif moderne exécute tous ses coups lorsque le corps est en mouvement, comme dans le patinage ou dans la danse. L'inclinaison du tronc est alors une condition primordiale du maintien de l'équilibre et de la puissance de l'attaque. Une deuxième condition est dans l'appréciation de la longueur des pas et des foulées qui doivent s'adapter à la vitesse de déplacement du tronc.

Certes, il existe toujours des variantes selon le champion considéré : c'est ainsi que la course de Bugge est directe, donc plus impérieuse, et celle de Cochet plus ou moins « pivotante », ce qui permet plus de souplesse et de « shops », tandis que Borotra procède par bonds acrobatiques. Quant à Tilden, sa démarche avait quelque chose de félin.

Chose curieuse, ce sont tous ces grands spécialistes du jeu statique et académique qui, avant la fin de leurs grandes années de gloire, ont transformé peu à peu ce jeu statique vers la méthode moderne qui consiste à attaquer sans relâche et à faire vite le point, aujourd'hui adoptée par les nouvelles générations de champions.

Ne serait-ce que pour cette raison, on peut donc considérer que la méthode dynamique est celle de l'avenir et que, dût-il y perdre, le spectateur devra s'y habituer.

En sport comme ailleurs, le temps est passé du « fignolage » de l'alexandrin et de la mélodie. Il faut frapper fort pour gagner vite, et l'on n'a plus le temps de s'égarer de l'autostrade pour faire de la poésie en regardant le paysage. L'athlète a remplacé l'artiste. Et c'est quand même le meilleur qui gagne, ce qui, sur le plan sportif, est une consolation et une justification.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 284