Ce n'est pas dans l'enthousiasme, certes, que les
plaisanciers envisagent la construction ou l'achat d'un yacht en copropriété.
L'esprit particulariste du Français, sa conception individualiste de la
propriété, l'expérience souvent décevante de l'association sont tels que
beaucoup préfèrent renoncer à leur bateau et à leurs rêves de croisière. Les
inconvénients de la copropriété sont d'ordre psychologique. Ce système heurte
nos conceptions habituelles et notre mentalité «petit bourgeois». L'antidote
est l'esprit d'équipe et l'amour de la mer. Sachons prendre la mesure de nos
possibilités, et si la formule « tout ou rien » doit se solder par « rien »,
acceptons de composer avec les réalités pour aboutir à « quelque chose ».
Et ces réalités sont de plus en plus décevantes avec les prix évoluant
constamment vers la hausse et le pouvoir d'achat dégringolant en sens
contraire. Dans ces conditions, l'achat et l'entretien d'un yacht de croisière
deviennent prohibitifs. Aussi, les réfractaires à la copropriété révisent leur
position antérieure en face d'un problème insoluble par l'individualiste.
L'idée d'association, appuyée sur certaines expériences heureuses, fait peu à
peu son chemin. Il est probable que, dans quelques années, la copropriété sera
devenue une formule courante, et ce sera tant mieux pour la prospérité du
yachting.
Parmi les réalisations faites en ce sens, il en est une fort
intéressante qui mérite une large publicité. Depuis deux ans, le Club du centre
de formation internationale des Glénans (C. F. I.) applique le système de la
copropriété du bateau de croisière, permettant à des jeunes gens peu fortunés
de passer chaque année plusieurs semaines en croisière à bord d'un yacht dont
ils sont copropriétaires, pour une participation fixée au minimum à 16.000
francs. Chaque croisière groupe six associés, et la durée de la croisière est
naturellement proportionnée à l'importance des parts, qui varie elle-même
suivant le nombre des membres propriétaires d'un bateau. Il y a un nombre
infini de variantes possibles, et voici à titre indicatif cinq formules
proposées par le club du C. F. I. :
Formules |
Nombre de membres |
Prix de la part |
Temps de croisière |
1 |
36 |
16.000 |
15 jours. |
2 |
30 |
19.200 |
18 == |
3 |
24 |
24.000 |
23 == |
4 |
18 |
32.000 |
30 == |
5 |
12 |
48.000 |
45 == |
Le club du C. F. I. se propose, outre la formation d'équipes
de copropriétaires de yachts et l'organisation des croisières, l'initiation des
jeunes à la navigation. Il possède à Paris un club où les équipiers disposent
d'une salle de réunion et où sont reçues les adhésions. Le centre de navigation
se trouve aux Glénans, dans le Finistère. Le Club a loué et aménagé l'île de Drenec,
dont la vieille ferme a été transformée en centre d'accueil. Il s'y trouve un
excellent mouillage où hivernent les bateaux sous la surveillance d'un gardien.
Le Club dispose de deux thoniers à voiles pour l'apprentissage des débutants.
Ceux-ci ont ensuite la possibilité de poursuivre leur entraînement sur un de
ces cotres des Glénans qui sont construits et armés en copropriété, suivant une
des formules ci-dessus. Ces formules sont, répétons-le, de simples suggestions,
les associés restant absolument libres de choisir les modalités de leurs
conventions et leur règlement intérieur. Elles concernent les vacances d'été,
où les temps de croisière sont répartis par groupe de six entre les mois de
juillet, août et septembre. Mais les associés peuvent parfaitement organiser
des croisières dans les mois qui précèdent ou qui suivent cette période. On
voit que la formule 1 met la croisière à la portée des jeunes aux ressources
modestes, le montant de la part étant inférieur à celui d'un équipement de
campeur. La vie en croisière revient à 200 francs par jour environ, et les
frais de gardiennage et d'entretien à 2.000 francs par personne et par an. Une
fois sa part versée, le copropriétaire de la formule 1 a donc la certitude de
pouvoir passer chaque année quinze jours en croisière, et c'est là un minimum,
pour la modique somme de 5.000 francs. Celui qui adopterait la formule 4 ne
dépenserait que 10.000 francs chaque année et tout compris pour un mois de
croisière au minimum. Mais j'allais oublier de vous parler de votre futur
bateau. Le cotre des Glénans a été étudié pour la croisière en groupe. C'est un
sloop de 8m,20 de long, 2m,60 de large et 1m,20 de tirant d'eau. La quille en
fonte pèse 800 kilos, et le déplacement est de 1t,8. La voilure de 34 mètres
carrés comprend une grand’voile marconi de 18 mètres carrés, trois focs et une
trinquette. Les pièces majeures sont en chêne, le mât et la borne en spruce
creux. Les aménagements sont extrêmement simplifiés et comprennent six coffres-couchettes,
une table et un placard-cuisine. Les premières unités ont parcouru cet été plus
de 2.000 milles chacune en visitant les côtes bretonnes et anglaises dans des
conditions de temps parfois très dures, et où ces bateaux se sont révélés bien
équilibrés, secs et très marins. L'un d'eux, pendant un de ces rudes coups de
vent de l'été dernier, a parcouru les 140 milles (soit 261 kilomètres) séparant
les Sables-d'Olonne des Glénans en moins de dix-neuf heures, les voiles au bas
ris, soit à une moyenne de 7,5 nœuds, sans que l'équipage ait eu la moindre
inquiétude, le comportement du bateau ayant constamment donné une totale
impression de sécurité.
Comme on s'en doute, ces jeunes associés ont fait des
envieux. La force persuasive de l'exemple, la contagion de l'enthousiasme ont
fait connaître le sympathique Club du C. F. I. Le Chasseur Français se
devait de lui ouvrir ses colonnes et d'apporter sa contribution au
développement du yachting populaire. Voilà qui est fait, et maintenant ...
bonne chance.
A. PIERRE.
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