Nous avons déjà parlé dans ces colonnes des chênes rouvre et
pédonculé et du hêtre. Nous allons nous occuper aujourd'hui du charme : Carpinus
Betulus L.
Cette essence joue un rôle important dans les forêts
françaises, surtout dans les forêts particulières. Le charme, en effet, rejette
très bien de souche, et il constitue la majeure partie des taillis. On en fait
aussi, faute de mieux, des réserves de taillis sous futaie, et il accompagne
toujours, en futaie, les chênes et le hêtre.
Le charme ressemble beaucoup au hêtre. Toutefois, son fût,
dont l'écorce est lisse et d'un gris plus ou moins foncé comme celle du hêtre, a
généralement une forme irrégulière, comme cannelée. Sa feuille, simple et ovale
comme celle du hêtre, se distingue de celle-ci par les petites dents régulières
qui en garnissent le pourtour. Son fruit, sec, aplati, aux angles arrondis, est
fixé sur une bractée foliacée à trois lobes, qui facilite sa dissémination par
le vent.
Les pousses de charme sont rarement parasitées. Elles
résistent à de nombreuses maladies et à de nombreux parasites du chêne, en
particulier à l'oïdium et aux chenilles arpenteuses, ce qui les favorise au
détriment de celles des chênes, aussi bien dans les jeunes coupes de taillis sous
futaie que dans les régénérations de futaie. En outre, le charme résiste aux
gelées printanières, auxquelles le chêne et le hêtre sont très sensibles. Ses
rejets, qui naissent même sur de vieilles souches, sont généralement très
vigoureux et ont vite fait de dépasser et d'étouffer les jeunes semis de chêne.
Sa fructification presque annuelle, abondante et facilement dispersée par le
vent, en fait, en futaie, une essence envahissante qui tend à éliminer les
essences de lumière comme le chêne.
Le bois de charme possède-t-il des qualités intéressantes ?
Dur, lourd et blanc, il se reconnaît à ses accroissements annuels sinueux et à
ses rayons ligneux inégaux et toujours plus ou moins courbes. Le bois de charme
a un retrait élevé. Il a donc tendance à varier dans ses dimensions, à « travailler »
et, par suite, à gauchir, à se fendre. On s'en sert donc plutôt sous forme de
débits épais pour faire des tables d'artisans, des étaux de bouchers, des
billots, des masses, des moyeux. Les plateaux de bonne qualité sont utilisés en
manchisterie, en saboterie-galocherie, pour faire des coussinets et des
semelles d'usure (grâce à sa dureté), et aussi pour une foule d'emplois :
tournerie, outillage (rabots et varlopes), jeux de boules et de quilles, queues
de billard, etc., etc. ... Certaines stations donnent des charmes dont le
bois a d'excellentes qualités d'usinage. On en tire des pièces pour machines
agricoles (en particulier des bielles), de petits feuillets pour la fabrication
d'instruments de mesure (mètres pliants) ou pour la marqueterie (car le charme
se teinte bien).
Les brins de taillis donnent un excellent chauffage. Leur
utilisation pour la cartonnerie, le défibrage ou la cellulose chimique est
possible. Dans certaines régions, on en tire des manches de pelles, de
fourches, etc. ... Enfin, il peut donner des bois de mine (mais souvent il
est trop flexueux).
Malgré ses usages nombreux, le bois de charme a une valeur
inférieure à celle du chêne ou du hêtre. Il n'atteint généralement pas des
dimensions très fortes (les charmes de plus de 50 centimètres de diamètre sont
rares). Sur de bons sols, les taillis de charme peuvent donner de bons
rendements, dépassant largement 100 stères à l'hectare à trente ou trente-cinq
ans, mais, passé cet âge la croissance ralentit considérablement, sans que pour
cela le bois arrive à des qualités exceptionnelles et à un prix rémunérateur.
Le bois est d'ailleurs sensible aux altérations. Coupé en
sève il s'échauffe rapidement comme le bois de hêtre et devient inapte à tout
usage.
Doit-on donc proscrire cette essence de nos forêts et la
combattre systématiquement ?
Le charme a d'incontestables avantages culturaux. Ses
feuilles améliorent l'humus forestier, sa présence en sous étage dans les
peuplements de chêne assure l'élagage naturel de ceux-ci et permet d'obtenir
des fûts propres et sans branches. Tout le problème consiste donc à maintenir
cette essence dans son rôle d'essence d'accompagnement et à l'empêcher de se
montrer envahissante. Comment réaliser cela ?
1° Dans les taillis sous futaie.
— Le charme préfère les sols profonds, assez riches. Il
disparaît dans les sols acides et secs, et aussi dans les sols marécageux. On
le trouve surtout en plaine ou à faible altitude. Sa localisation dans les
taillis est conditionnée par les observations qui précèdent. On le trouve, par exemple,
au pied d'une pente où le sol s'est enrichi par le lessivage des versants, puis
il disparaît dans un vallon à sol marécageux ; on le retrouve au bord d'un
ruisseau où le sol est mieux drainé, puis, en gravissant un versant, on le voit
à nouveau disparaître d'une pente exposée au soleil ou dont le sol est sec ou
superficiel. Il est inutile de chercher à l'introduire là où il n'existe pas,
car certainement un facteur écologique ne lui convient pas. Par contre, quand
le sol lui plaît, ses jeunes rejets vigoureux ont vite fait d'étouffer les
semis de chêne et, à la coupe suivante, on ne trouve pas de baliveau de cette
essence. Pour maintenir le chêne, il faut donc procéder à des dégagements de
semis. Aussitôt la coupe vidangée, on repère les belles taches de semis qui
sont en dehors de la cime des réserves (ou les ronds dans lesquels on a fait
des plantations), et on commence tout de suite, à l'aide du faucard ou du
croissant, à sabrer les jeunes rejets de charme.
Trois ans après, il faut revenir et répéter la même
opération au croissant ou à la serpe. Les chênes ont, à ce moment-là, quatre ou
cinq ans. Il est recommandé de repérer les emplacements où on fait les
dégagements, soit au moyen de grandes perches peintes en blanc, soit au moyen
de traits à la peinture haut placés sur les fûts des réserves.
Cinq ans après, on procède à un nouveau dégagement. Grâce
aux repères, on retrouve facilement les taches de semis ou les plantations, et,
à la serpe, on coupe les rejets de charme un peu au-dessus du sol pour diminuer
la vigueur des rejets. Les sujets de chêne, alors âgés d'une dizaine d'années,
ont pris une bonne avance sur les charmes, et ils ont des chances de s'en
tirer. Il faudra quand même les surveiller et, cinq à huit ans environ avant la
coupe, venir à nouveau couper à la serpe ou à la hache les perches de charme
qui les environnent, de façon à donner aux futurs baliveaux chêne la force de
résister à l'isolement, lors de la coupe de taillis.
Au moment de la coupe, doit-on conserver des baliveaux
charme, faute d'autres essences précieuses ?
Ces baliveaux atteignent rarement 15 centimètres de diamètre
et, à la coupe suivante, ils ont quelque peu grossi, mais n'ont généralement
pas atteint les 22cm,5 qui permettraient de les sacrer « modernes ».
Dans le Nivernais, on les appelle des « meneaux ». Ils ont 27 à 20
centimètres. On en faisait autrefois d'excellents quartiers pour le chauffage.
Actuellement, leur valeur ne serait guère supérieure à celle de la cépée dont
ils ont pris la place. Il semble donc peu intéressant de réserver des charmes,
sauf dans les très bons sols où on sait pouvoir obtenir des grumes de charme à
bois doux, propres à faire des sciages de choix.
2° Dans les conversions en futaie.
— A cause de la mévente des bois de feu, de nombreux
propriétaires — et, en particulier, l'État — convertissent les taillis sous
futaie en futaie. Le problème consiste à faire disparaître les rejets de souche
de charme et à les remplacer par des semis de chêne ou de hêtre. De nombreuses
méthodes ont été préconisées. Le principe est toujours le même : épuiser
la cépée de charme par des coupes successives, sans la régénérer. On maintient
un couvert maximum d'essences précieuses — chêne, hêtre — et d'essences
secondaires n'ayant pas un caractère envahissant : fruitiers, érables, etc. ...
Sous ce couvert, on ne recèpe pas le taillis de charme, mais on enlève peu à
peu, presque un à un, par des coupes régulièrement espacées, les brins de
chaque cépée, les autres restant comme tire-sève. Grâce à cela les brins
enlevés ne rejettent pas ou rejettent mal. On arrive donc ainsi à réduire à un
seul le nombre des brins de chaque cépée. Sous un couvert dense (par exemple
sous des hêtres), on aura un brin rabougri et épuisé. Sous un couvert léger, il
restera une perche puissante et vigoureuse, capable de rejeter si on la recèpe.
Comment faire disparaître cette dernière perche ? Dans certaines régions,
on l'arrache. On creuse un trou à la base du fût et on coupe quelques racines
dans le sol. En tombant, la perche arrache les autres racines. Cette opération
n'est pas tellement difficile, mais on ne trouve pas toujours des bûcherons qui
veuillent faire ce travail.
Ailleurs, on recèpe tout simplement la perche de charme et
pendant des années, à coups de serpe et de croissant, on fait des dégagements
de semis pour sauver les chênes. C'est encore bien plus coûteux, et on n'est
pas sûr d'avoir le dessus.
Il est préférable, à notre avis, ou bien d'arracher les
souches comme il est dit ci-dessus, ou bien de les tuer avec des moyens
chimiques ou mécaniques.
En badigeonnant les souches avec certains produits, par
exemple avec les jus pyroligneux qu'on peut recueillir en carbonisant ou en
distillant du bois on peut arriver à brûler les souches qui ne rejettent pour
ainsi dire plus. Nous en avons fait l'expérience. Des recherches sont en cours
pour trouver divers types de produits capables de détruire ainsi les souches et
pour étudier l'efficacité et le prix de revient de ceux-ci.
On peut aussi brûler les souches au moyen de petits
lance-flammes. Nous avons expérimenté des brûleurs à pétrole, à jet de flammes
très concentré, qui arrivent à brûler les souches sans nuire aux semis qui les
entourent. Des études de prix de revient sont en cours et, au printemps prochain,
nous verrons si les souches traitées l'été dernier ont été définitivement
détruites.
3° En futaie.
— Nous avons déjà traité dans ces colonnes la question des
dégagements de semis, travail dur, onéreux mais rentable qui consiste à couper
à la serpe ou au croissant les semis ou sujets de charme qui sont mélangés aux
chênes (voir numéros de septembre et de décembre 1950). Des essais de
destruction des brins de charme, au moyen de résistances électriques
chauffantes, ont été faits aux U. S. A. Dans beaucoup de pays, on détruit au
milieu des pins, au moyen de pulvérisations à base de 2-4-D, les rejets de
bouleau. Des recherches sont faites pour trouver un produit qui brûlerait les
pousses de charme en respectant celles du chêne.
La disparition totale du charme n'est pas souhaitable. Tout
ce qui vient d'être dit vise seulement à le maintenir dans son rôle d'essence
d'accompagnement, rôle utile, répétons-le, tant pour l'amélioration du sol que
pour l'élagage des fûts des essences précieuses. Il ne faut pas non plus
minimiser l'importance, économique du charme, qui est loin d'être négligeable.
LE FORESTIER.
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