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Avantages entre époux

Une pratique notariale déjà longue m'a donné, je dirai presque journellement, l'occasion de considérer comme périmé le millésime des textes qui régissent actuellement les avantages que peuvent se consentir mutuellement les époux en cas de décès de l'un d'eux.

Souvent, dès le début du mariage, et ce, qu’il existe ou non des enfants de ce mariage, la préoccupation constante et fort légitime des époux, qui partagent les bons et les mauvais moments d'une vie commune, est de savoir comment sera assurée l'existence du survivant, au premier décès.

Dans une proportion que l'arithmétique peut difficilement évaluer, le désir presque toujours exprimé par les époux est de trouver une formule pour concilier la sauvegarde des intérêts des enfants, s'il en existe, avec l'assurance qu'au premier décès le survivant n'aura pas à ajouter la peine d'un règlement successoral difficile à la douleur de la perte d'un compagnon très cher.

Il faut savoir que notre code civil prévoit, en effet, dans tous les cas, sauf l'effet de conventions par contrat de mariage, extrêmement rares, des quotités en pleine propriété, appelées « réserves », sur l'importance desquelles il n'y a pas lieu de s'étendre ici, dont les enfants ne peuvent être privés, et qui parviennent dans tous les cas à créer une indivision entre le père ou la mère survivant et les enfants.

Cette situation créée, le vieux principe du droit français qui veut que « nul n'est tenu de rester dans l'indivision » permet toujours à un héritier en ligne directe de réclamer sa part réservataire et, pour obtenir satisfaction, lui donne la possibilité de demander la licitation judiciaire de l'ensemble des biens composant l'actif successoral, sur lequel portent ses droits.

Bien que personne ne soit sensé ignorer la loi, les époux éprouvent toujours une grosse déception, qu'ils ne dissimulent pas, lorsqu'ils apprennent que, malgré toutes les dispositions qu'il leur est permis de prendre, y compris celle communément appelée « donation au dernier vivant », ils n'éviteront pas le risque de voir dispersés au feu des enchères publiques les biens mobiliers ou immobiliers qui composeront leur succession, si telle est la volonté d'un seul de leurs enfants.

D'aucuns, connaissant bien leurs descendants et les jugeant incapables d'adopter, le moment venu, une telle attitude, s'inquiètent cependant parce qu'ils ne peuvent préjuger de l'influence future d'un gendre ou d'une belle-fille, qu'ils ne connaîtront peut-être pas à leur décès, si à cette époque les enfants ne sont pas encore mariés.

Pour donner quelque apaisement à des personnes dont l'âge ne permet généralement plus le combat, nos législateurs, qui n'hésitent pas à apporter des bouleversements profonds dans bien des domaines, ne pourraient-ils pas apporter quelque temps de réflexion à cette situation pour tâcher d'y trouver un remède ?

Ne pourrait-on pas songer à un article du Code réformant ceux qui existent actuellement, qui permettrait aux époux de laisser au survivant d'eux la « jouissance viagère » des biens devant composer leur succession ?

Outre l'avantage d'assurer dans bien des cas une vie familiale sans heurt, cette méthode consacrerait légalement une situation de fait créée bien souvent par ce qu'il est coutume d'appeler : les bons enfants.

Pour songer à demander un partage, les enfants devraient désormais attendre, et ce serait justice, le décès de leur père et de leur mère.

Les droits de nue propriété que les enfants recueilleraient dans la succession du prémourant de leur père ou mère garantiraient ces derniers contre toute tendance à la dissipation des biens successoraux, par leur auteur survivant, sans leur consentement.

Ces considérations nous mènent directement à l’étude de l’influence des régimes matrimoniaux sur les dévolutions successorales et à la critique de ces régimes, et spécialement de l'immutabilité des conventions matrimoniales.

E. BOIRAR.

Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 302